NORMANDIE BREEDING… LE JOUR D’APRÈS

Après la gloire américaine, les Vitse sont donc revenus à ce qu’ils savent faire de mieux : élever des chevaux, eux-mêmes, du matin au soir, cinquante semaines par an. Et Guillaume Vitse d’expliquer : « En dehors de deux semaines de vacances, c’est nous qui nourrissons les chevaux tous les jours de l’année. Il est important d’avoir l’Å“il sur tous les détails. » Avec une poignée de juments, Normandie Breeding parvient à sortir un (ou plusieurs) black types tous les ans, ce qui est statistiquement impressionnant. Actuellement, c’est bien sûr Fraise des Bois (Zelzal) qui est au cÅ“ur de l’attention. Invaincue en quatre sorties, elle vient de gagner le Critérium du Bequet – Ventes Osarus (L) de sept longueurs. La troisième, La Samana (Goken), a ensuite battu les anglo-irlandaises dans le Prix de la Vallée d’Auge (L). Les attentes sont donc d’autant plus fortes autour de Fraise des Bois en vue du Prix du Calvados (Gr2), le 17 août. Guillaume Vitse confie : « Pour nous, c’est absolument colossal. Un bon 2ans est tellement important pour un éleveur. » Dans la réussite de Fraise des Bois, on retrouve de nombreuses choses qui constituent les mantras des époux Vitse : aller à un étalon auquel on croit, sans être obsédé par le marché à l’instant T, et se creuser la tête pour trouver LA jument.

Artifix (Lawman) est la mère de Fraise des Bois, mais aussi d’Around Midnight (Almanzor), gagnant du Critérium de l’Ouest (L). Pas mal pour une jument acquise 12.000 € dans un réclamer ! Guillaume Vitse poursuit : « L’élevage, ce sont également des coups durs et nous avons perdu une bonne jument achetée à Goffs. En contrepartie, la joie des victoires de nos élèves, même lorsqu’ils ne nous appartiennent plus, est immense. C’est cette passion, qui apporte du bonheur aux gens, qu’il faut réussir à transmettre. Goûter à la joie des victoires en tant qu’éleveur… c’est énorme. » Les Vitse ont toujours fait partie du fan-club de Zelzal (Sea the Stars), un cheval aux « stats » solides (10 % de ses partants sont black types) et qui a effectué la majorité de sa carrière à petit prix. Sa « grosse » génération a un an en 2024 et, avec ses 2ans de l’année, il a déjà « sorti » quatre gagnants en sept partants. Guillaume Vitse détaille : « Zelzal est sous-estimé. C’est un très bon étalon avec un tarif accessible, qui apporte de la vitesse. Nous avons trois bons yearlings de lui. Il y a récemment eu un excellent article dans Good Morning Bloodstock à son sujet. »

L’autre fil rouge de Camille et Guillaume Vitse, c’est d’aller aux ventes uniquement avec des chevaux ayant un profil commercial. Dès lors, pour une foule de raisons différentes, ils ont conservé certains de leurs élèves en les syndiquant avec des amis pour soutenir leurs juments. C’est le cas du frère d’Unquestionable (Wootton Bassett). Ou encore de Toimy Son (Twilight Son), dont ils ont conservé un pourcentage avec des associés, dont Mandalore Racing. Toimy Son vient de gagner un gros handicap sur le mile de Goodwood (doté de 77.000 £ au gagnant) à 5ans. Une belle performance pour ce cheval qui fut un bon 2ans – sept sorties et black type à cet âge – avant de gagner une Listed l’année suivante : « C’est un peu un cheval de cÅ“ur. Gagner à Goodwood… quel kiff ! Et pour la jument, c’est formidable. Elle nous a donné une très bonne yearling. » La sÅ“ur – par Armor (No Nay Never) – passe en effet à la v.2 dans le lot de Normandie Breeding. L’éleveur poursuit : « En tant qu’éleveur, la seule manière de s’en sortir, c’est de vendre de bons chevaux. Nous ne conservons que ceux qui n’ont pas véritablement de valeur commerciale. La syndication permet aussi de faire découvrir les courses à des personnes extérieures… » Par le même jeune étalon d’Al Shaqab Racing, le lot 446 est le premier produit vivant de la bonne My Love’s Passion (Elvstroem) : « Super poulain issu d’une très bonne jument, il est taillé pour être un 2ans. La jument a été battue dans le Papin par A’Ali, un jeune sire dont nous présentons un yearling ! Armor est un jeune étalon vraiment très intéressant. »

Dans leur quête de la bonne jument, Camille et Guillaume Vitse font souvent le pari d’une jument avec un physique et une locomotion, issue d’une grande souche, mais avec un « trou » d’une génération dans sa page. Ce fut par exemple le cas de la mère d’Unquestionable. Lifeline (Lawman), issue de l’immense souche Wertheimer des G (Goldikova…), correspond par exemple à ce portrait-robot. Elle a un bon yearling par Zarak (Dubawi), le jeune sire qui affole les statistiques depuis quelques saisons en Europe : « C’est un très bon modèle, un super marcheur aussi et on me dit qu’il est dans le modèle des bons Zarak. C’est la première fois que nous utilisions l’étalon. Ce type de grandes souches ne meurt jamais. À nous d’essayer de raviver la flamme, comme avec Artifix par exemple. »

La réussite aidant, les Vitse sont sollicités pour présenter des yearlings extérieurs. Le lot 203 a ainsi été élevé au haras de Long Champ. Elle est issue d’un croisement assez exceptionnel – Sea the Stars (Cape Cross) sur une mère par Monsun (Königsstuhl) – comme 10 black types dont deux lauréats de Gr1… en 28 partants seulement ! La mère a donné trois black types, dont le futur étalon Mythico (Adlerflug), triple lauréat gagnant de Groupe et en particulier des 2.000 Guinées allemandes (Gr2) : « C’est une fierté de présenter des yearlings d’une telle qualité. Pour éviter les problèmes de personnel, nous avons fait le choix de limiter la quantité de chevaux. »

Issu de l’élevage Levesque, le lot 510 est un fils de Saxon Warrior (Deep Impact). Sa mère est la sÅ“ur de Vigatata (Sea the Moon), qui effectue une belle carrière chez François Rohaut. C’est une belle famille française : « Ce poulain est un véritable athlète, je l’aime beaucoup. » Le lot 478 fait partie de la première génération d’A’Ali (Society Rock) avec un vrai pedigree de vitesse : « J’aime beaucoup ce type de chevaux. Society Rock, trop tôt disparu, a eu le temps de sortir de très bons sujets. »

Du tac au tac, avec Guillaume Vitse

Quelle est la chose la plus importante dans la préparation d’un yearling ?

Qu’il aille dehors. Nos poulains d’août vivent à l’extérieur. En ce moment, ils rentrent à 5 h 30 le matin et ressortent vers 10 h. C’est important pour leur psychisme. Alors oui, ils n’ont peut-être pas un poil parfait. Mais notre but, à Camille et moi, est avant tout de faire des chevaux de course.

Votre plus grand moment aux ventes ?

Unquestionable. Présenter un bon poulain comme lui, qui est nickel, c’est un sentiment formidable. Les équipes de Coolmore et d’Al Shaqab Racing n’arrêtaient pas de venir le voir. Quand Aidan O’Brien lui-même vient et « valide » le poulain… c’est presque « sit down and enjoy » car on sait que cela va bien se passer et qu’il va aller chez les meilleurs.

Votre plus grande déception aux ventes ?

Il y en a eu, mais il faut passer à autre chose…

Une routine, un porte-bonheur avant le passage sur le ring ?

Rien du tout !

La qualité que vous préférez chez un homme/chez un cheval ?

Chez un homme : qu’il soit honnête, même avec un sale caractère. Et j’aime les chevaux francs, qui vont de l’avant…

Le défaut pour lequel vous avez le plus d’indulgence chez un homme/chez un cheval ?

Pour un cheval, c’est son pedigree. Et pour les hommes, je ne condamne pas ceux qui peuvent se faire une idée fausse de vous au premier abord. Il faut être indulgent avec ces personnes et prendre le temps de faire connaissance.

Si vous pouviez refaire quelque chose, dans votre vie professionnelle s’entend, que referiez-vous ?

Rien. Le positif comme le négatif nous ont finalement tirés vers le haut.

Quel est le livre que vous recommanderiez au plus grand nombre ?

In Search of Shergar. Un grand souvenir de jeunesse, alors que j’étais en train d’apprendre l’anglais. J’avais acheté le livre à Newmarket. Une histoire terrible mais très puissante aussi.

Quelle est votre définition du luxe ?

Surtout être entouré par l’amour de son épouse et de ses enfants… et accessoirement avoir des chevaux en bonne santé. Bien sûr, c’est un vrai plaisir de voir la mère d’Unquestionable tous les matins.

Quel est l’enseignement le plus précieux que le cheval vous ait appris ?

Les animaux vous rendent humble. Il n’y a rien d’acquis. Jamais. Peut-être que si j’avais élevé Unquestionable il y a vingt-cinq ans, j’aurais fait des bêtises et mené la grande vie avec 250 hectares. Nous faisons encore des bêtises, mais j’essaye d’être dans la mesure.

À quel endroit vous sentez-vous à votre place ?

Dans les herbages, seul, avec les chevaux dans la lumière du matin. C’est magique.

LES YEARLINGS DE LA VENTE D’AOÛT

LES YEARLINGS DE LA V.2