160 ANS DE COURSES À DEAUVILLE
L’historien Yves Aublet est la mémoire de Deauville, sa ville de cœur. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont (Cahiers du Temps), paru en 2014. À l’occasion du 160 anniversaire de l’hippodrome de La Touques, les Franciscaines, le centre culturel de Deauville, l’ont invité à retracer l’histoire des courses sur la Côte Fleurie. L’occasion de partager des images rares, issues de sa collection personnelle ainsi que du Fonds Cheval des Franciscaines, constitué notamment de la donation Isabel et Louis Romanet.
Par Alix Choppin de Janvry
Yves Aublet : « Lorsque l’on parle du 160e anniversaire de l’hippodrome de La Touques, il faut commencer par rappeler que les toutes premières courses sur la Côte Fleurie se sont déroulées en 1863… sur la plage de Trouville ! De magnifiques gravures de l’époque ainsi que des comptes rendus dans les gazettes mondaines attestent d’un premier meeting estival comprenant des courses plates mais aussi de « hayes » (haies) – la mode était à l’anglophilie, surtout en matière de sport. Bien que ne réunissant que des cavaliers amateurs, cet événement a fait date, au point que le Cinquantenaire des courses fut fêté en 1913. »
Concernant l’hippodrome proprement dit, dont la construction intervient donc un an plus tard, elle doit tout, comme on le sait, au duc de Morny. Né en 1811, il est le fils naturel d’Hortense de Beauharnais, épouse de Louis Bonaparte, et de son amant le général Charles de Flahaut. Le duc de Morny est donc le demi-frère de Napoléon III mais aussi le petit-fils de Talleyrand, son père étant lui-même fils naturel du grand homme. Un sacré pedigree ! Pour l’anecdote, son patronyme Demorny lui vient d’un obscur officier au service de Joséphine de Beauharnais qui accepta, probablement moyennant finances, de céder son nom à l’enfant. Ce n’est qu’à l’âge de 18 ans, après avoir rencontré sa mère biologique pour la première fois, qu’il commence à l’orthographier « de Morny ».
Yves Aublet raconte : « Le général de Flahaut avait émigré en Angleterre après Waterloo et épousé une Anglaise, si bien que le jeune duc passe plusieurs étés de l’autre côté de la Manche, où il se prend de passion pour les courses hippiques. Après une brève carrière d’officier de cavalerie, il retourne à la vie civile en 1838, entre à la Société d’Encouragement et au Jockey Club. Il crée aussi son écurie de courses, et entreprend de convaincre son demi-frère de construire l’hippodrome de Longchamp, ce qui est chose faite en 1857. »
Morny est également fasciné par l’essor des stations balnéaires, qui ont fait leur apparition en France en 1812, avec Dieppe, et à partir des années 1830 avec Trouville, « la reine des plages ». Il se lance avec son médecin personnel, le Dr Olliffe, et l’architecte François Breney, dans l’urbanisation de l’autre rive de la Touques, où ne se trouve alors qu’un hameau d’une centaine d’âmes autour de l’église Saint-Laurent, donc la construction remonte au XIe siècle. Et à l’image des stations balnéaires en vogue – Le Touquet, Brighton en Angleterre ou Baden-Baden en Allemagne – ce lieu de villégiature huppé doit avoir son hippodrome ! Deauville émerge du marais en seulement quatre ans. La gare accueille ses premiers voyageurs en 1863, et les premières courses se déroulent les 14 et 15 août 1864. L’inauguration de l’hippodrome et de sa tribune en bois rassemble le Tout-Paris.
1864
L’hippodrome est dans un premier temps tridisciplinaire : on y court en plat, en obstacle et même au trot ! Le meeting inaugural sera d’ailleurs marqué par les exploits de la jument Bayadère, qui s’impose en steeple… et au trot attelé. Autres temps…
1890
Légende photo : Le plafond du pavillon des balances, datant de 1890
Le chalet des balances, qui voit le jour en 1890, est le plus ancien bâtiment préservé dans l’hippodrome actuel. Son exceptionnel plafond en châtaignier, bois qui a la particularité d’éloigner tous les parasites, est en parfait état de conservation.
1913
En 1913, la Société des courses de Deauville entreprend la démolition de la tribune en bois, remplacée par la structure en béton armé et briques que nous connaissons aujourd’hui. C’est aussi dans le contexte de ces grands travaux que la ligne droite est allongée, passant de 1.400m à 1.600m.
1993
Le 5 mai 1992, une tribune du stade Armand-Cesari de Furiani, en Haute-Corse, s’effondre, faisant 18 morts et 2.357 blessés. Ce drame sans précédent est à l’origine d’une nouvelle réglementation sur les établissements recevant du public (E.R.P.) à travers une loi du 13 juillet 1992. Face à ces nouvelles contraintes, le G.I.E. Galop, qui a absorbé la Société des courses de Deauville en 1921, décide la fermeture de deux hippodromes. Deauville, dont la tribune va bientôt fêter ses 80 ans et se trouve en très mauvais état, est dans le viseur. L’hippodrome doit son salut à Madame le Maire Anne d’Ornano – dont un des adjoints sera bientôt Philippe Augier – qui engage un vaste plan de rénovation de février 1994 à juillet 1995.
2003
Après Pau, Deauville est le deuxième hippodrome français à se doter d’une piste en sable fibrée.
2021
L’éclairage 100 % LED de la piste en sable fibrée et des bâtiments historiques permet une plus grande flexibilité dans la constitution du programme de courses tout au long de l’année. Dès 2022, l’éclairage est utilisé à l’occasion de 23 réunions.
2023-2024
France Galop entreprend la rénovation du restaurant panoramique, des salons de la tribune et des écuries historiques. Les cours les plus anciennes retrouvent leur lustre d’antan… voire un lustre qu’elles n’ont jamais eu, comme l’explique Guillaume Flavigny, directeur de l’hippodrome : « En raison de la proximité avec la Villa Strassburger, classée monument historique, les écuries et la tribune se situent dans une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (Avap). Toute rénovation est donc soumise à l’approbation de l’architecte des Bâtiments de France (A.B.F.). Pendant un an et demi, nous avons travaillé avec l’A.B.F. et la ville de Deauville pour essayer de retrouver l’apparence d’origine des écuries et se mettre d’accord sur un projet. Les bâtiments sont en moellon, une pierre locale, et en briques qui sont également un produit tout à fait local puisque ces dernières étaient fabriquées à Lisieux, comme celles qui ont servi pour la rénovation. Ces briques étaient recouvertes d’un badigeon, ce qui était une pratique courante dans la région au XIXe siècle. Cependant, nous n’avons pas retrouvé de documents attestant que les bâtiments avaient toujours été badigeonnés et l’architecte des Bâtiments de France a finalement imposé le retour à la brique rouge et au « joint anglais », une technique plus habituellement utilisée sur les bâtiments en silex. Les écuries que vous voyez aujourd’hui n’ont donc peut-être jamais eu cette apparence ! Ce sont des techniques de restauration qui ne sont maîtrisées que par quelques entreprises du patrimoine vivant, telles que la société Lefèvre qui a Å“uvré sur les écuries. Il y a eu un gros travail de recherche et de préparation, certains outils ont même dû être importés d’Australie ! »
LA VIDÉO ANNIVERSAIRE
Pour fêter les 160 ans de l’hippodrome, Philippe Augier a fait réaliser une vidéo de 4’45 qui retrace l’histoire du lieu. Pour la voir, cliquez ici.