EN DIRECT AVEC L’ENTOURAGE DES ANGLAIS
Vendredi après-midi, nous avons contacté l’entourage des meilleurs chevaux anglais au départ du Prix Maurice de Gheeest (Gr1) qui aura lieu dimanche : Jane Chapple-Hyam (Mill Stream), Charlie Hills (Khaadem) et Tim Palin (Shouldvebeenaring). Et nous avons appris beaucoup de choses.
Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Mill Stream est issu de Gleneagles, un étalon qui, en bon fils de Galileo (Sadler’s Wells), produit plutôt des classiques que des sprinters : trois de ses quatre gagnants de Gr1 ont réalisé leur fait d’armes au-delà de 2.000m. Jane Chapple-Hyam, l’entraîneur de Mill Stream, a donc souhaité lui donner une chance de suivre la voie classique. Elle a pris son temps et il a débuté au mois de juillet de ses 2ans. Rapidement, il a été rallongé sur 1.400m dans les Acomb Stakes (Gr3) où il a montré qu’il ne tenait pas : « Dès lors, il était évident que nous n’avions pas un cheval pour les Guinées et nous avons donc décidé de rester sur 1.200m, nous a expliqué l’entraîneur britannique lorsque nous avons échangé avec elle vendredi après-midi. Cela étant dit, je ne doute pas qu’il tienne désormais les 1.300m du Prix Maurice de Gheest. »
Mill Stream a donc hérité de la vitesse de sa mère, une gagnante sur 1.000m qui a donné un autre sujet « vite » avec le bon 2ans Asymmetric (Showcasing). Pour les écuries de taille moyenne, en Angleterre, il faut parfois essayer « d’inventer quelque chose » pour sortir du lot et survivre. Jane Chapple-Hyam n’a pas un gros effectif et en mettant un peu moins la pression à ses 2ans, elle a bâti des carrières à succès sur le long terme, là où beaucoup sont « cramés » très tôt chez ses confrères : « Je crois que le fait d’avoir seulement cinquante chevaux a aussi ses avantages. Cela donne la possibilité de se concentrer sur chacun d’entre eux. Ce qui n’est pas forcément le cas quand on en a cent cinquante. Mais bon, Mill Stream est un très bon cheval, très régulier au meilleur niveau. » Son propriétaire Peter Harris a lui-même entraîné par le passé. Il connaît donc les affres du métier et la nécessité de parfois faire preuve d’une certaine patience : « Il comprend totalement mon travail. Et c’est plus facile, dans ce contexte, d’annoncer les bonnes comme les mauvaises nouvelles. »
Jane Chapple-Hyam poursuit : « Tous les propriétaires et tous les entraîneurs rêvent de « sortir » des étalons. Espérons que Mill Stream va gagner un autre Gr1 pour renforcer son CV et idéalement, cela serait dès dimanche ! » Remporter la July Cup est pour beaucoup un objectif en soi, surtout avec un entier qui aura un jour ou l’autre vocation à entrer au haras. L’épreuve de Newmarket est en effet une stallion making race, comme l’ont prouvé Ten Sovereigns (No Nay Never), Muhaarar (Oasis Dream), Starspangledbanner (Choisir), Oasis Dream (Green Desert), ou encore Anabaa (Danzig)… Pourtant, quand on interroge son entraîneur sur ce magnifique début de saison, elle nous surprend en insistant sur le fait que le véritable objectif de l’année de Mill Stream, c’est Deauville ! « Le Prix Maurice de Gheest est la course que nous visons depuis très longtemps. Mill Stream fait bien Deauville où il a gagné à deux reprises. Nous avons donc ciblé le Prix Maurice de Gheest de longue date. C’est son principal objectif de l’année, sa priorité. D’une certaine manière, gagner la July Cup… c’est du bonus. En fonction de la manière dont il va courir dimanche, nous pourrons faire des plans pour le reste de l’année. Dans tous les cas, il a reçu des invitations internationales. En Europe, Mill Stream est engagé dans l’Haydock Sprint (Gr1) et dans les Qipco British Champions Sprint Stakes (Gr1). » Mill Stream a notamment été invité à participer à The Everest en Australie, une course sur 1.200m avec l’équivalent de 12 millions d’euros d’allocations (plus du double de l’Arc !) au mois d’octobre à Sydney. Son entourage semble moins enclin à l’idée d’aller aux États-Unis pour la Breeders’ Cup, et le cheval devrait rester à l’entraînement l’année prochaine à 5ans. En attendant ces réjouissances extra-européennes, c’est donc Deauville. Mill Stream a voyagé dans la nuit de jeudi à vendredi pour éviter la chaleur : « Je voulais être certaine qu’il pourrait se détendre samedi et être fin prêt pour dimanche. »
Khaadem, c’est quand il veut
Selon les ratings, le deuxième meilleur concurrent du Prix Maurice de Gheest (Gr1) est Khaadem (Dark Angel). À 8ans, ce n’est plus tout à fait un jeune homme. Il a des jours avec et des jours sans. Mais quand le terrain est rapide et qu’il est en forme, ce vétéran est capable de grandes choses. Il l’a récemment prouvé à Royal Ascot en conservant son titre dans les Queen Elizabeth II Jubilee Stakes (Gr1), une course où Mill Stream finissait troisième. Lors de leur sortie suivante, dans la July Cup, Mill Stream a gagné et Khaadem a terminé dixième. Charlie Hills, son entraîneur, nous a confié vendredi au téléphone : « Il a absolument besoin d’un terrain rapide et d’un train soutenu. C’est un formidable cheval, mais d’un jour à l’autre, ce n’est plus le même. Un matin, il prend le mors et vous pensez avoir Nijinsky dans vos boxes. Le lendemain, vous avez un modeste ouvrier devant vous. Je pense qu’il connaît mieux les courses que nous, car il a déjà vu beaucoup de choses dans sa carrière… ! » Selon l’équipe d’échellistes de Timeform, nous avons cette année le plateau de sprinters le plus faible depuis dix ans en Europe. Cette « analyse » fait actuellement débat outre-Manche, car pour plusieurs entraîneurs, le fait qu’aucun cheval ne domine nettement la catégorie ne veut pas dire que l’ensemble est faible…
Pour Shouldvebeenaring, adieu la bague de mariage !
Tous les haras d’Irlande et d’Angleterre essayent de mettre la main sur les premiers fils d’Havana Grey (Havana Gold). Ainsi, Shouldvebeenaring, déjà deux fois placé de Gr1, est déjà assuré d’avoir une place à l’Irish National Stud suite à l’achat de sa carrière d’étalon. C’est un véritable jackpot pour ses copropriétaires qui courent sous la casaque de Middleham Park Racing XVIII. Tim Palin, le manager du syndicat, nous a confié vendredi : « Il part au haras en fin de saison. Ce fut un super cheval de course, espérons qu’il fera aussi bien dans sa nouvelle vie. Yearling, il a coûté 40.000 £. Pour les porteurs de parts, c’est un peu comme avoir gagné au Loto. C’est le cheval d’une vie pour la plupart d’entre eux. Sept copropriétaires feront le déplacement à Deauville et une victoire dans un Gr1, ce serait la cerise sur le gâteau. Quelle est la probabilité de connaître un tel destin avec un yearling acheté à ce prix ? Ce genre d’histoires est assez extraordinaire. » Le nom du poulain peut se traduire par « Cela aurait dû être une bague » : « Chris Thomson et Liz Watson avaient prévu d’acheter une bague de mariage. Mais le budget pour la bague est finalement passé dans une part de yearling ! Ils ont de l’humour et ce sont eux qui ont choisi le nom du cheval en lien avec ce choix radical. La suite de l’histoire, c’est que le cheval leur a fait gagner beaucoup d’argent. Depuis, ils ont donc pu acheter une très belle bague… »
Shouldvebeenaring vs Mill Stream, le sixième round
Tim Palin conclut : « Shouldvebeenaring aime beaucoup Deauville où sa victoire dans le Prix de Ris-Orangis (Gr3) est porteuse d’espoirs en vue du Prix Maurice de Gheest. L’an dernier, dans le Jean Prat (Gr1), il a terminé cinquième mais le terrain était trop souple. Et pour cause, Shouldvebeenaring affectionne tout particulièrement le bon terrain. Encore une fois, il va se bagarrer avec Mill Stream. Ils se sont rencontrés cinq fois. Mill Stream a gagné trois fois. Et Shouldvebeenaring l’a battu à deux reprises. Ce Maurice de Gheest va être très disputé, avec beaucoup de concurrents ayant une réelle chance. Shouldvebeenaring est en forme et a toujours bien couru en France. »
JANE CHAPPLE-HYAM, UN DESTIN HORS DU COMMUN
Installée depuis des décennies en Angleterre, Jane Chapple-Hyam a eu 1.000 vies. On vous les raconte.
Son père Andrew Peacock a dirigé le parti libéral australien avant de devenir ministre de la Défense puis ambassadeur aux États-Unis. Sa mère, Susan Renouf, faisait partie de la jet-set locale et son deuxième mari fut le mythique Robert Sangster, l’un des grands moteurs de l’ascension de Coolmore. Bien qu’australienne de naissance, Jane Chapple-Hyam a donc surtout vécu en Angleterre où sa passion pour les courses s’est développée au contact de ce beau-père assez hors normes. Mariée à l’entraîneur Peter Chapple-Hyam dès ses 18 ans, elle faisait partie intégrante de son équipe à cheval le matin lors de ses années fastes (Rodrigo de Triano, Spectrum, Dr Devious…). Mais en 2005, elle obtient le divorce et décide de devenir entraîneur à la quarantaine. Son beau-père Robert Sangster l’aurait sans doute volontiers soutenue mais il est mort depuis un an et Jane Chapple-Hyam se lance avec seulement quatre chevaux : « Je montais trois lots par jour et l’après-midi, j’allais aux courses, expliquera-t-elle plus tard à la presse australienne. Mais ce n’était pas moi qui dirigeais l’entraînement. C’était Peter qui donnait la direction à suivre. Après le divorce, je ne voulais pas rester à la maison à me tourner les pouces. Je me suis dit : « J’ai travaillé à ses côtés, autant essayer moi-même à présent. » C’est assez étrange comme situation car après avoir vécu les sommets en vivant avec un entraîneur classique, vous vous retrouvez à repartir tout en bas de l’échelle. »
Dès 2006, Jane Chapple-Hyam a prouvé ce dont elle était capable en remportant (avec un cheval à 100/1) le très prestigieux Ebor Handicap, une épreuve qui n’a pas vraiment d’équivalent en France. L’année suivante, Annie Skates (Mr Greeley) a fini deuxième des Breeders’ Cup Stakes (l’ancêtre de la Breeders’ Cup Juvenile Turf) à Monmouth Park : « J’attends encore que le jockey [feu Garrett Gomez, ndlr] vienne me dire comment s’est passée la course ! Il est descendu de cheval et est parti par un escalier sans nous adresser la parole… » Sur la base de ces succès, son effectif a petit à petit progressé jusqu’aux deux victoires de Gr1 de Saffron Beach (New Bay), dont le Prix Rothschild (Gr1) sur l’hippodrome de La Touques : « J’aime beaucoup venir courir en France et Deauville me réussit. »
Sa musique sur la côte Normande est en effet assez éloquente: 2.1.1.2.1.1.2…