Le grand jour de Laura Vanska
L’Australien Bren O’Brien anime une excellente newsletter quotidienne – The Straight – et dans celle de mardi matin, il explique : « De tout temps, la filière hippique a été le domaine des rêveurs, de ceux qui veulent « y arriver » même si les probabilités de réussir sont minces. Si Chris Waller, sans le sou, n’avait pas rêvé et tenté sa chance en Australie, nous n’aurions pas eu Winx, Nature Strip ou Verry Elleegant. » Il est difficile de comparer quiconque à la réussite monumentale d’un Chris Waller. Mais la description qu’en fait Bren O’Brien peut s’appliquer à bien des jeunes entraîneurs qui font le grand saut sans avoir une famille argentée pour les soutenir. Les statistiques sont clairement contre eux. Car au bout de la route, après des années de travail acharné, de matinées glaciales, d’interminables trajets en camion… seuls quelques-uns réussiront vraiment. À quelques exceptions près, chacun fera un jour ou l’autre une rencontre, qu’elle soit humaine ou équine, qui peut changer le cours de sa vie…. À condition de saisir cette opportunité. Laura Vanska, venue d’un pays où il n’y a pas de galop, est certainement à un tournant de son parcours professionnel. Dimanche, elle sellera en effet Birthe (Study of Man) au départ du Prix de Diane Longines (Gr1). Le (premier) grand jour est arrivé.
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Alain Jathière, Christine Guilbert et Laura Vanska vont vivre le grand frisson classique, dimanche à Chantilly. Birthe va tenter de leur offrir leur premier Gr1 en plat. Mardi midi, Laura Vanska nous a confié au sujet de la gagnante du St Mark’s Basilica Coolmore Prix Saint-Alary (Gr2) : « Birthe a fait un galop plus sérieux la semaine dernière. Cela s’est bien passé. Elle a bien récupéré. Mardi matin, elle a fait un bout vite afin de s’ouvrir les poumons, et pour qu’elle ne soit pas trop fraîche. Aurélien Lemaître est content. C’est une pouliche facile le matin, elle fait le minimum. » Dans la région de Chantilly, la météo alterne entre averses et grand soleil : « Lors du Saint-Alary, elle a prouvé sa capacité à aller – aussi – dans le souple. Je n’ai pas d’inquiétude de ce côté-là . Elle a beaucoup changé depuis le début de l’année. Ce n’est plus la même qu’avant [où elle était vraiment « bon terrain dépendante », ndlr]. »
Trois achats, deux gagnants de Groupe
Laura Vanska a présenté son premier partant en 2021 et elle n’a qu’une dizaine de chevaux à l’entraînement. Mais Birthe est son troisième black type : quasiment tous les ans, son effectif réduit a fourni au moins un cheval « en gras ». Ce n’est pas rien. Si la représentante d’Alain Jathière et de Christine Guilbert transforme l’essai dimanche, alors les années de labeur de Laura Vanska auront payé. La prise de risque aussi. Elle n’a acheté que trois chevaux aux ventes dans sa vie et deux sont gagnants de Groupe ! Quand on parle de faire mentir les probabilités…
Le premier s’appelait Chez Pierre (K) (Mehmas). Et il n’a coûté que 25.000 € lorsqu’il était yearling à Deauville. Préparé pour les breeze up par Laura Vanska, alors à la tête d’une écurie de pré-entraînement, il a fait tomber le marteau à 100.000 €. Elle explique : « J’aurais aimé pouvoir le garder, mais je n’en avais ni les moyens, ni la capacité. Le jour où il a débuté en course, j’étais dans une salle de classe de l’Afasec pour essayer de décrocher une licence d’entraîneur public. Chez Arqana, à 2ans, il n’a fait « que » 100.000 € car c’était le premier cheval que je présentais aux breeze up. Et quand je l’ai acheté, yearling, il avait une tendinite juvénile. D’où le fait qu’il n’atteigne que 25.000 €. Cela faisait peur à beaucoup de gens. L’éleveur-vendeur avait confiance en son poulain. Et nous nous sommes donc associés. » Assez tôt, Chez Pierre a montré des capacités, mais il a vraiment fallu pianoter pour ne pas compromettre sa santé : « Il a quand même eu besoin d’un peu de temps. La Covid a été une chance car il n’est pas passé aux breeze up au printemps, mais à la vente d’été. Cela lui a été très bénéfique. C’était un grand poulain, très fort. »
Très tôt, elle a montré qu’elle sortait de l’ordinaire
Chez Pierre a couru huit fois dans sa carrière, pour six victoires, dont les Maker’s Mark Mile Stakes (Gr1) devant Modern Games (Gr1). Rien que ça ! Le deuxième achat de Laura Vanska à Deauville, Katleiya (Gleneagles), a gagné au Qatar. Le troisième, acheté avec Tina Rau, n’est autre que Birthe. La pouliche n’a coûté que 12.000 €. Forcément, à ce prix-là , elle n’est pas parfaite. Mais elle montrait quelque chose : « Aux ventes, je ne discute peut-être pas assez avec les gens. Mais je veux vraiment consacrer un maximum de temps à regarder les chevaux. J’essaye d’être concentrée. Birthe avait bien breezé. Mais je ne regarde jamais les chronos à ces ventes. Cela ne m’intéresse pas. » Une fois à Chantilly, l’entraîneur a détecté que Birthe, comme Chez Pierre, sortait de l’ordinaire. Elle se souvient : « Après les breeze up, elle est partie cinq semaines à l’herbe. Elle est arrivée assez tard à l’écurie et nous avons repris le travail très tranquillement. Lors de son premier passage sur le gazon, elle n’avait pas beaucoup de boulot, mais on voyait de manière évidente que c’était une pouliche de classe. Dès son premier galop, Birthe a montré quelque chose de peu commun. »
Assez rapidement, Laura Vanska a aussi identifié que sa pensionnaire, en bonne petite-fille de Deep Impact (Sunday Silence), préférait le bon terrain. Aussi, le printemps humide n’a pas facilité son retour à la compétition après sa victoire dans une Classe 2 à 2ans. Un succès qui n’était néanmoins pas passé inaperçu car les offres internationales ont afflué. La chance fut alors de croiser la route de Nicolas de Watrigant et la pouliche est restée en France. Par son intermédiaire, Laura Vanska a vendu sa part de la pouliche. Christine Guilbert, copropriétaire de la première heure, en a conservé 50 % : « Au final, la pluie de ce printemps a été un mal pour un bien. Cela nous a contraints à faire preuve de patience. La saison est longue et le fait de faire sa rentrée le 14 mars pourrait se révéler payant pour la suite. Nous lui avons laissé le temps de venir et avons ainsi évité de la courir sur un terrain qu’elle n’aimait pas. » Dès le départ, Laura Vanska a essayé de traiter ses pensionnaires « comme de bons chevaux » et cela implique de courir à bon escient : « Pour les propriétaires, cela demande une certaine patience. Il faut que les différentes parties soient sur la même longueur d’onde. »
L’expérience des jeunes chevaux
Amélie Ehrnrooth et son fils Philip Lybeck – du haras de Bourgeauville – sont certainement les seuls éleveurs de pur-sang anglais à avoir la nationalité finlandaise. Ce sont eux qui, en premier, ont envoyé un cheval à Laura Vanska. Très reconnaissante, elle explique : « Ils m’ont poussée à m’installer. Ma grande chance, c’est d’avoir été soutenue dès le départ par ces propriétaires qui m’ont confié des chevaux de qualité. Avec des pouliches ayant un peu de pedigree, j’ai pu viser de bonnes courses. Chaque année, j’ai pu avoir des partants dans des épreuves black types. Mais pour gagner, il faut un cheval « extra ». Je remercie vraiment les éleveurs et les propriétaires qui m’ont accompagnée depuis le départ. Grâce à eux, j’avais une chance d’y arriver. » Diplômée d’une école de commerce, avant de passer par le Darley Flying Start, Laura Vanska parle – outre sa langue maternelle – le français, l’anglais, l’allemand et le suédois : « J’ai eu la chance de travailler dans de bonnes maisons en France et à l’international. Cela m’a permis de me mettre en selle sur des chevaux de classe à l’entraînement. Je monte mes pensionnaires le matin et quand l’un d’eux sort de l’ordinaire, cela me permet de m’en rendre compte assez rapidement. »
Au départ, Laura Vanska a fait un choix raisonnable sur le plan économique : le pré-entraînement. Et cette première entreprise fut un succès. Mais de cette période à Chamant, elle se souvient aussi des contraintes : « Bien sûr, travailler avec les très jeunes chevaux me manque. Mais quand on est dans un centre privé, on passe beaucoup de temps sur un tracteur. Et quand on commence à avoir de bons chevaux dans ses boxes, il faut que les infrastructures et la piste soient à la hauteur. Je vivais dans le stress d’abîmer un cheval. Mais ce fut riche d’enseignements. » Après un passage au haras du Bois en Normandie, Laura Vanska est donc revenue à Chantilly pour se concentrer sur l’entraînement exclusivement : « Les équipes de France Galop font du super travail. Revenir à Chantilly, ce n’était pas, finalement, une décision difficile à prendre. » Il faut dire qu’elle connaît bien ses pistes pour avoir travaillé pendant des années pour Francis-Henri Graffard, John Hammond et Nicolas Clément. L’histoire de notre sport prouve qu’on peut être un excellent assistant et échouer complètement lorsque l’on se met à son compte. Ce n’est tout simplement pas du tout le même métier car les qualités d’homme ou de femme de cheval ne sont plus suffisantes pour arriver à percer : « Le jour où on se lance, il faut apprendre à gérer une équipe et à conserver sa motivation, mais également à trouver des clients. Il faut que l’effectif tourne. Ce sont les premiers grands challenges d’un jeune entraîneur. »
Les choses (bougent) déjÃ
Il n’y a pas une seule manière de mesurer la réussite d’un entraîneur. Tout dépend du profil de ses chevaux, de ses clients et de leurs attentes. Laura Vanska a fait le choix d’avoir un petit effectif. Cela implique forcément un surplus de travail pour l’entraîneur qui a les mains dans le cambouis. Mais c’est aussi la possibilité d’être en accord avec ses clients et ses employés : « Mon seul luxe, c’est de pouvoir ne travailler qu’avec les gens que j’apprécie. Des personnes que je connais souvent depuis longtemps et qui me font confiance. » Après un parcours international, Laura Vanska aurait certainement pu tenter sa chance un peu partout à travers l’Europe ou le monde. C’est pourtant la France qu’elle a choisie : « Financièrement, c’est ici que cela avait le plus de sens. Contrairement à l’Angleterre, en France, on peut commencer sans fortune personnelle si on est prêt à travailler dur. Mes parents m’ont poussée à faire des études avant de me lancer dans les chevaux. Peut-être que s’ils avaient connu les courses, ils n’auraient pas été ravis que je m’installe entraîneur (rires). Mais ce n’était pas le cas et ils m’ont incitée à suivre ma vocation. » Sans l’ombre d’un doute, Laura Vanska est ce que l’on appelle une femme de cheval. Les chevaux ont toujours fait partie de son existence, depuis son enfance rurale jusqu’à ses années dans des écuries de CSO, avant de découvrir le galop.
Cette qualité essentielle, alliée à une certaine rigueur dans la gestion, lui a permis de débuter avec sagesse et stabilité son activité. Le bonheur, avec des années de labeur, s’est matérialisé par la première victoire de Groupe de Birthe. Alain Jathière, encore une fois en association avec madame Guilbert, lui a récemment confié un deuxième cheval. Il s’agit d’un Camelot (Montjeu) acheté à la breeze up Arqana par l’intermédiaire de Nicolas de Watrigant. Vraiment, Birthe est en train de changer la vie de son mentor. Mardi matin, les médias font littéralement la queue devant son écurie de Lamorlaye, et même TF1 a fait le déplacement sur les pistes d’entraînement ! Un peu plus tôt cette saison, la presse étrangère a commencé à s’intéresser à elle, avec en particulier un long article dans le TDN. Elle conclut : « Birthe, c’est vraiment la meilleure des publicités. »
À la finlandaise
La Finlande est un pays peu peuplé – cinq millions d’habitants – qui a toujours dû lutter pour son existence. Le climat y est si rude l’hiver que le galop y a été abandonné dans l’après-guerre. Il est tout simplement impossible d’entretenir des pistes là -bas. Les Finlandais ont de tout temps dû batailler, souvent les armes à la main, pour leur indépendance, entre l’ogre Russe à l’est et les monarchies scandinaves à l’ouest. Leur stéréotype, c’est la discrétion, la fiabilité et le côté très travailleur. Calme mais très déterminée, Laura Vanska correspond relativement bien à ce cliché et elle nous a confié avec le sourire : « Un Finlandais ne baisse jamais les bras ! » En France, au pays des 35 heures, les progressistes rêvent d’une vie libérée du travail. En Finlande, le sens de l’effort est une des valeurs centrales de l’éducation (mais pas la seule bien sûr). Le temps de travail hebdomadaire est de 40 heures. Et selon les Nations unies, en 2024, la Finlande occupe pour la septième fois consécutive la première place de la liste des pays les plus heureux du monde… Comme quoi, le travail peut rendre heureux !
Très finlandaise dans son approche, Laura Vanska ne court pas les mondanités pour recruter. Chacun sa méthode. Mais marche après marche, étape après étape, elle trace son chemin. Dimanche, à 16 h 05, des années de labeur vont trouver leur (premier) aboutissement. Étonnamment sereine à l’approche de cette échéance, elle nous a confié : « Quand le boulot a été fait, il n’y a plus de raisons de stresser. J’aime monter mes pensionnaires pour les connaître par cœur. Avec eux, je ne suis pas stressée. Si j’étais dans un bureau toute la semaine, je le serais bien plus… » À la finlandaise !