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jeudi 26 décembre 2024

AccueilInternationalSon aïeul entraînait Gladiateur et il veut sauver le pari hippique !

Son aïeul entraînait Gladiateur et il veut sauver le pari hippique !

Son aïeul entraînait Gladiateur et il veut sauver le pari hippique !

Lecteur de , William Woodhams n’a rien à vous vendre, puisqu’en tant que citoyen français, vous ne pouvez pas ouvrir un compte chez un bookmaker anglais. Mais il partage une ambition avec vous : celle de remettre les courses sur le devant de la scène !

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Aussi étrange que cela puisse paraître (vu de France), les courses ne sont plus le cœur de métier de beaucoup de « books » anglais, alors même que leur histoire s’est bâtie sur le galop. Cette dimension historique, justement, est très chère à William Woodhams. Il faut dire qu’il a quelques antécédents… Chaque fois que vous allez à Longchamp, vous passez devant la statue de Gladiateur (Monarque), un cheval profondément lié à son histoire familiale. C’est en effet son aïeul qui l’entraînait ! Ce lauréat de la Triple couronne fut le premier français à remporter le Derby. À l’époque, en 1865, cette victoire eut un retentissement exceptionnel. Et un demi-siècle après la défaite française, on l’appelait « le vengeur de Waterloo ». Ultra-dominateur des deux côtés de la Manche, Gladiateur est encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs chevaux de l’histoire des courses européennes.

À cheval entre France et Angleterre

Né en France, Gladiateur courait sous les couleurs de son éleveur, le comte Frédéric Lagrange. Snobisme oblige, les grands propriétaires de l’époque n’avaient que du personnel anglais. Et Gladiateur était entraîné par Tom Jennings. Ce Britannique avait deux cours d’entraînement : l’une à Newmarket (la célèbre Phantom House Stables) avec 20 à 30 chevaux, et l’autre à Chantilly (rattrapée aujourd’hui par l’urbanisation) avec le même effectif. Cela veut dire qu’il faisait régulièrement l’aller-retour entre les deux pays, ce qui paraît assez fou vu les conditions de voyages de l’époque ! Il se trouve que la famille Jennings a fait souche en France par l’intermédiaire de la dynastie Head, une branche qui semble plus vivace que jamais avec les jeunes Christopher et Victoria. À l’inverse, en Angleterre, après avoir donné d’illustres handicapeurs et autres journalistes, la fibre hippique était en train de s’éteindre dans la famille. Jusqu’au jour où William Woodhams claque la porte de LVMH, après cinq ans de bons et loyaux services, avec une idée en tête : devenir bookmaker. Drôle d’idée pour un quadra des années 2020 ! Ce diplômé de Harvard est marié à la DJ et critique musicale Annabel Simpson. Il fait partie des propriétaires de « L’Entente, Le British Brasserie », un restaurant parisien (à trois minutes du métro Opéra) qui fait référence à l’entente cordiale entre nos deux nations.

Quand son aïeul plumait les books

Avec ce brusque changement de carrière, William Woodhams renoue un peu avec l’ADN familial car son aïeul – Tom Jennings – n’avait pas peur du « flambe ». Et c’est peu de le dire. La chronique de l’époque nous apprend qu’il aurait joué (et gagné) des sommes monumentales grâce à Gladiateur. Il faut bien comprendre que, dans le contexte de l’époque, les courses étaient un ascenseur social de premier plan. Et pour les gens du métier, le jeu faisait partie intégrante des revenus. C’est bien simple, beaucoup d’écuries de Newmarket ont été bâties avec l’argent gagné au jeu. William Woodhams collecte patiemment les anecdotes familiales sur son illustre ancêtre et il nous a confié : « Dans mon salon, j’ai une grande photographie de Tom Jennings ! En 1863, alors qu’il se rendait en France pour assister à l’ultime galop de Gladiateur, il se rendit chez un certain Joseph « Tubby » Morris à Londres, un bookmaker bien connu à l’époque. Dix-huit mois avant le Derby, il misa 1.000 £ sur la victoire de Gladiateur avec un espoir de gain de 30.000 £. À son retour de France, il joua 1.000 £ de plus, pour un espoir de gain de 25.000 £ supplémentaire. Il pariait de telles sommes pour ses propriétaires mais ses gains personnels au jeu, sur ce coup, furent d’au moins 10.000 £ ! » Une somme considérable : 10.000 £ de 1863 représentent environ 150.000 £ de 2024, approximativement 175.000 €. William Woodhams a donc décidé d’embrasser la profession que son aïeul a systématiquement « épongée » ! Il précise : « Pour les vrais amoureux du galop anglais, le Prix de l’Arc de Triomphe est un passage obligé. C’est un rite initiatique ! Je trouve que le nouveau Longchamp est une très grande réussite. C’est splendide. Et je suis aussi très heureux de voir que la statue de Gladiateur est en bonne place. Je pense que les érudits de la chose hippique connaissent tous l’histoire de son cheval, peut-être moins celle de Tom Jennings. Nous aimons dire que Gladiateur était entraîné par un Anglais. Et vous vous souvenez avec bonheur de nous avoir botté le cul dans nos classiques ! (rires) Tout le monde tire la couverture à soi ! Nos pays sont théoriquement ennemis, mais quand nous voulons bien travailler ensemble, cela donne de grandes choses. Regardez Gladiateur et l’Euro Tunnel… » Tom Jennings, issu d’une famille d’agriculteurs et de maquignons, fut envoyé à Chantilly pour devenir apprenti chez Thomas Carter. Âgé de 13 ans seulement, il entre alors au service du célèbre Lord Seymour, personnage clé de l’histoire du galop français. Plusieurs « Jennings » se sont mariés avec des « Carter » lors des décennies suivantes. Et l’alliance de ces deux familles a eu une influence considérable sur la montée en puissance du sport hippique dans notre pays. Il serait trop long de citer tous les exploits de Tom Jennings l’entraîneur, mais on peut simplement dire qu’il a remporté dix fois le Prix du Jockey Club… dont une fois avec une pouliche ! Il est le recordman de victoires dans le classique.

Pourquoi les books délaissent les courses

Non sans humour, William Woodhams précise : « Ma famille a donné d’illustres entraîneurs, des journalistes hippiques vedettes, comme John et Eric Rickman… mais je suis le premier à passer du côté obscur de la force (rires). J’ai repris les rênes de Fitzdares, le plus vieux bookmaker actif sans interruption en Angleterre. C’est une maison à l’illustre histoire, avec des hauts et bas. Mais Fitzdares a toujours été du côté de l’innovation. Ce fut le premier book à utiliser des pigeons voyageurs pour obtenir les résultats des courses. Jusqu’au jour où l’oiseau revenant du Derby d’Epsom s’est retrouvé coincé dans un grenier au milieu de Londres (rires). Il a fallu cinq heures pour le retrouver ! »

À contre-courant, Fitzdares fait donc le pari des courses : « Nous faisons 50 % de notre chiffre sur le galop. Les paris sportifs ont pris une ampleur considérable. Le tennis, inexistant hier, est devenu énorme. Mais il faut bien comprendre une chose : il n’existe aucun sport sur terre aussi adapté au jeu que les courses. Absolument aucun. Le sport hippique et le jeu sont nés pour vivre ensemble. Sans le PMU, il n’y aurait plus de courses en France. Et sans bookmakers, ce serait la même chose en Grande-Bretagne où ils contribuent à hauteur de 750 millions de livres à la filière. Dans un contexte de lutte contre l’addiction, le grand challenge, c’est que les gros books veulent essayer de rendre le jeu moins risqué. Aussi, ils préfèrent avoir une nuée de parieurs qui jouent une petite somme, comme à la loterie. Plutôt qu’un cercle restreint de clients qui jouent 1.000 £ par course. Or, historiquement, 3 % des parieurs, les plus gros, représentent 80 % des revenus des bookmakers. Au même moment, les trois poids lourds anglais du secteur ont décidé de concentrer leurs efforts dans la bataille pour le marché américain. Le modèle de financement des courses britanniques est en crise et c’est un frein à l’internationalisation de la compétition qui, à mon sens, est très importante pour l’avenir. Il suffit de lire le programme de Cheltenham pour commencer à apprendre le français vu le nombre de « FR » au départ. Sacrés éleveurs français ! »

Pourquoi les courses ont de l’avenir

Le modèle économique de Fitzdares, plus que celui de ces concurrents, est un pari sur le sport hippique. William Woodhams croit donc en l’avenir des courses : « C’est bien simple, à mon sens, le galop est « sexy ». Dans ce cercle fermé, il a été rejoint par le football et la Formule 1. Les courses ont une dimension visuelle exceptionnelle. C’est beau, tout simplement. Je dirais même que dans la liesse que l’hippodrome peut vous procurer, il y a un côté quasiment ésotérique. C’est presque une expérience religieuse, mais où la communion se fait avec un verre à la main. En ce sens, c’est souvent une transmission familiale. Les enfants qui viennent à l’hippodrome avec leurs parents ou leurs grands-parents seront les parieurs de demain. Mais c’est surtout un sport de la maturité. De tout temps, peu d’étudiants jouent aux courses à la vingtaine. On y revient plus tard. L’important, c’est que la graine soit là. Le galop est d’autant plus passionnant qu’il a une multitude de facettes : de la politique à l’agriculture, de l’animal à l’être humain… c’est un véritable feuilleton ! Cette qualité intrinsèque de ce sport lui donne la possibilité de traverser les époques. Par ailleurs, le galop fait des progrès à grande vitesse en matière de réduction des risques et du bien-être animal. »

Ce n’est plus un marché d’offre

En ce qui concerne la domination croissante de l’obstacle sur le plat chez les parieurs anglais, il précise : « Au mois de janvier et de février, il ne fait pas bon vivre en Angleterre. C’est assez déprimant. Et pour sortir de cette torpeur, nous avons créé un monstre qui s’appelle Cheltenham. Tout le marché du jeu gravite autour de ce soleil qu’est le festival. C’est une fête qui marque le début du printemps. Ajoutez à cela le fait que le parieur moyen a du temps pour apprendre à connaître les sauteurs car ils courent pendant des années. En termes de storytelling, les grands champions ont beaucoup fait pour l’obstacle. Cela étant dit, plus récemment, l’ultra domination de certaines écuries, comme celle de Willie Mullins, a fait baisser les enjeux. Cela rend le jeu moins excitant, clairement, car les Mullins s’imposent à des cotes faibles. Avec le retour du plat, on a des épreuves plus fournies et des gagnants à 20/1. Et c’est ce que nos clients recherchent. En Irlande, c’est encore autre chose : l’obstacle est une religion. Lorsque je regarde des courses françaises, je suis stupéfait par la beauté des hippodromes, comme Auteuil. Mais en termes de storytelling, l’obstacle français n’arrive pas à capter l’attention des parieurs anglais. Il faut aussi dire qu’il y a beaucoup trop de courses ici en Angleterre, le temps d’attention des gens est saturé. L’offre est trop importante, du point de vue du jeu. En tant que bookmaker, je pense qu’il faudrait concentrer le sport sur une compétition de meilleure qualité. Et non plus sur la quantité. Dire que les paris hippiques sont un marché d’offre correspond aux attentes des clients d’il y a deux décennies. C’était un marché d’offres… quand on ne pouvait parier que sur cela ! »

William Woodhams a souvent évoqué, dans les médias, la mauvaise image que les gens des courses aiment cultiver au sujet de leur propre univers : « Dans tous les sports, il y a des tensions, des discussions, des disputes… la différence, c’est que partout ailleurs, on lave le linge sale en famille. Dans les courses, surtout sur les réseaux sociaux, tout le monde exprime haut et fort son avis. Pour le meilleur, comme pour le pire. Si je dois voir le verre à moitié plein, je tiens à souligner que certaines des personnes les plus intéressantes du microcosme hippique anglais sont des journalistes. Il y a plus d’intelligence chez eux que chez ceux qui dirigent le sport. Vous ne verrez jamais ça au foot ou au rugby. »

Créer de l’engagement avec la data

« Au casino, la seule certitude, c’est de perdre. En ce sens, les casinos en ligne sont problématiques car cela ne s’arrête jamais. Dans ce contexte, l’antidote, ce sont les bonnes courses. Un pari hippique de qualité, qui fait appel à la réflexion et au débat… voilà ce qui crée de l’engagement. Mais pour y parvenir, il faut donner plus d’accès aux data pour les parieurs. Le jeune joueur aime analyser ces chiffres et il est donc essentiel de les lui fournir gratuitement. Si vous regardez la Formule 1, l’écran est envahi de chiffres. En France comme en Angleterre, il faut donner plus de données chiffrées aux joueurs ! C’est pour cela que nous avons créé une application gratuite, The Racing App. » Fitzdares a lancé des campagnes de communication très « classe », en reprenant les codes du luxe, à contre-courant des gros acteurs du marché : « Quand vous passez cinq ans chez LVMH, vous apprenez forcément deux ou trois trucs au contact de monsieur Arnault ! Le principal, c’est qu’il n’y a qu’une seule direction pour faire progresser son business : vers le haut. À l’inverse, les bookmakers anglais ont tiré le pari hippique vers le bas. Si vous en faites uniquement un support de pari discount à consommer en buvant de la mauvaise bière, vous dévaluez la valeur de votre produit. Quels que soient les revenus de vos clients. Le pari hippique doit être un loisir de luxe… accessible. Je n’ai pas forcément envie de rentrer ivre mort de l’hippodrome. Par contre, j’ai envie de parier en buvant un bon verre de vin. Et le plus fou, c’est que parfois je peux gagner de l’argent en faisant cela. Alors que si je me paye une soirée au restaurant avec le même budget, je suis certain de ne rien gagner. Cette possibilité du gain change tout. La premiumisation du pari hippique, c’est aussi lui donner la chance d’être moins addictogène et plus respectable. »

La « premiumisation » du pari hippique

Fitzdares a créé un club privé au centre de Londres où ses clients peuvent venir regarder le sport, boire un verre et rencontrer des amis. Il existe une déclinaison à la campagne, dans les Cotswolds, qui fait partie d’un golf. Les clients ont accès à ces deux lieux, ainsi qu’à une loge aux courses à Windsor et Cheltenham : « Tous les matins, je me pose cette question : si Louis Vuitton rachetait un bookmaker, comment ferait-il ? Les jeunes, riches ou moins riches, aiment les marques de luxe. C’est une des grandes révolutions de notre époque. Chez nous, la premiumisation du pari hippique passe par le service client. Si je vous dis ça, vous pensez certainement que je deviens terriblement ennuyeux et sans intérêt. Détrompez-vous. Notre grand investissement, c’est d’avoir réussi à monter une équipe d’experts qui répond au téléphone dès la première sonnerie. Nous vivons dans un monde où votre opérateur téléphonique est soit injoignable, soit représenté par un horrible call center. Dans cette époque aseptisée où le contact humain se raréfie, nous devons rendre les courses toujours plus humaines, plus incarnées et plus funs. Pour moi, un grand problème des deux côtés de la Manche, c’est la disparition des courses dans les grands médias généralistes. En particulier dans les journaux de référence. J’ai donc souhaité que nous prenions le relais en employant des contributeurs reconnus pour produire un journal sportif en papier – le Fitzdares Times – avec le secret espoir que le lecteur prenne du plaisir. Cerise sur le gâteau, on a vendu la quatrième de couverture à l’horloger Patek Philippe ! Statistiquement, les jeunes gens les plus riches du Royaume-Uni sont des joueurs de football. Et la majorité de l’équipe d’Angleterre joue chez Fitzdares… ce qui est rendu possible grâce à une discrétion totale et au sentiment d’être considéré comme des clients premium. » Fitzdares est un annonceur très présent dans les médias hippiques anglais.

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