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dimanche 22 décembre 2024

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Qu’elle est happy, ma valley

Qu’elle est happy, ma valley

Comme en France, les enjeux baissent à Hongkong. Alors l’Institution locale prend violemment le taureau par les cornes pour sortir au plus vite de ce mauvais cycle. Et son volontarisme est très inspirant pour nous.

Emmanuel Roussel

Éditorialiste invité

Une première visite aux courses de Hongkong, particulièrement sur l’hippodrome urbain de Happy Valley le mercredi soir, au centre de la ville, est de nature à revitaliser l’optimisme du plus blasé des sociopros. Pleines comme un œuf, les tribunes verticales de l’hippodrome illuminent ce joyau vert qu’est la piste tandis qu’entre les courses, pendant sept minutes, un groupe de musique entonne des tubes qui entraînent instantanément des groupes de jeunes à danser, une pinte de bière ou un verre de chardonnay à la main. « Happy », c’est bien le mot*.

Avec 88 réunions par an, réparties sur les deux hippodromes qu’il possède, le Hong Kong Jockey Club (HKJC), qui cumule les missions de France Galop, du PMU et de la Française des Jeux en bénéficiant d’un monopole sur chacune de ces activités, réalise un chiffre d’affaires annuel de 36,3 milliards d’euros, soit pratiquement quatre fois celui du PMU et deux fois celui de la Française des Jeux. Près de la moitié de ces enjeux est réalisée sur les courses.

Une baisse globale de 6 % des enjeux

Et l’on se dit qu’ils sont bien chanceux, les Hongkongais, de jouir d’une croissance éternelle. Sauf que les paris sont en baisse là-bas, comme en France. Qu’en pense le patron (CEO) du HKJC ? « Je comprends le pessimisme ambiant qui existe dans certaines nations hippiques, a expliqué Winfried Engelbrecht-Bresges, lors d’un point presse organisé la semaine dernière. Il n’est certes pas infondé car nous sommes face à un défi mondial. Ici, à chaque fois que l’économie est touchée, l’argent disponible pour parier diminue. Donc contrairement à ce que l’on croit parfois vu de l’étranger, Hongkong n’est pas immunisé. Notre chiffre d’affaires domestique baisse de 10 %, une perte compensée en partie par le simulcasting de nos courses, mais nous constatons une baisse globale de 6 % des enjeux. Trente pour cent de nos clients génèrent 70 % de notre chiffre d’affaires. Or beaucoup de ces gros parieurs sont dans l’immobilier, la bourse et l’industrie manufacturière chinoise, c’est-à-dire trois secteurs touchés par des difficultés économiques. Et nous constatons une baisse de 23 % sur ce segment de clientèle. »

Agir pour recruter des jeunes

Immédiatement, plusieurs questions s’imposent : cette baisse est-elle définitive ? « Non, nous pensons qu’elle est temporaire. » Comment y remédier ? « La majorité de nos clients a 50 ans et plus. Comment recruter de plus jeunes parieurs ? Nous avons eu un peu de réussite dans ce domaine, mais nous allons continuer de beaucoup investir pour répondre aux besoins des générations Y (nées entre 1980 et 2000) et Z (nées après 2000). Nous avons par exemple recruté quelqu’un de Tencent Music [Tencent est une compagnie chinoise notamment propriétaire de WeChat, application de messagerie ultra-polyvalente, et de nombreuses applications sur le net, ndlr] qui aime les courses et nous aide à nous adresser à ces générations qui ne communiquent pas comme nous, sont constituées de communautés plutôt que d’individualités. Ces groupes échangent et communiquent entre eux différemment. »

Au-delà de ce recrutement significatif, quels moyens veut investir le HKJC pour faire venir plus de jeunes ? « Pour mieux les servir, nous engageons plus de 40 millions d’euros dans un espace qui doit ouvrir en octobre 2025 à Sha Tin. Il y en aura un en décembre cette année à Happy Valley, mais le prochain sera plus abouti. Ce sera le théâtre d’une expérience connectée des courses comme on n’en a jamais vu jusqu’ici… »

Et la gamification ? « Nous y pensons aussi mais en restant nécessairement sur les courses réelles. Les vrais chevaux et les jockeys en chair et en os font partie du jeu. Les générations que nous visons sont hyper-connectées, mais l’expérience sur l’hippodrome est essentielle. Quatre-vingt-quinze pour cent de nos enjeux se font sur le digital. Pourtant, c’est aux courses que le public apprécie le mieux notre activité comme sport et comme théâtre de relations sociales. »

Un vivier de propriétaires en Chine Pop’

Voilà pour la relève des turfistes. Elle doit être assurée du côté des propriétaires par des investissements sur le territoire de la Chine Populaire. Après celui de Pékin, c’est à Shenzen que doit être ouvert un clubhouse destiné aux propriétaires de demain. La petite sœur de Hongkong est devenue une métropole à son tour, et Winfried Engelbrecht-Bresges lui-même se dit impressionné par son dynamisme. « Shenzen est devenue incontournable. C’est une ville proprement extraordinaire. Nous pensons qu’au cours des deux ou trois prochaines années, nous y recruterons 100, peut-être 150 propriétaires [ce qui est un grand nombre pour HK et son numerus clausus, ndlr], pour la plupart de jeunes entrepreneurs comme on en trouve beaucoup dans cette cité. Cela devrait nous aider à revitaliser nos casaques. »

En quoi cela peut-il redonner du baume au cœur à la Vieille Europe ? La réponse est sous nos yeux dix fois par an, lorsque les parieurs de Hongkong parient en Simple sur nos courses en masse commune. Leur participation se chiffre à plus de 8 millions d’euros pour la seule course du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe…

Le meilleur support de paris hippiques au monde

Le Hong Kong Jockey Club organise le World Pool, plateforme internationale de paris dont il est le détenteur. À travers cette machinerie, qui est en passe d’être mise à jour pour mieux connecter les différents marchés et offrir une plus large gamme de paris à partager, il propose à une vingtaine de pays tiers de lui confier la gestion de paris mutuels partageant les masses de tous les partenaires. Aujourd’hui, compte tenu du fait que le PMU avait déjà organisé sa propre plateforme, et aussi parce que les prélèvements français sont environ 30 % plus importants que ceux du World Pool, nous ne sommes pas directement liés au World Pool, mais plutôt associés à travers la marque World Pool by PMU.

Pour Winfried Engelbrecht-Bresges, la mission du World Pool dépasse toutefois un simple opportunisme commercial… « Le chiffre d’affaires de nos opérations en simulcasting atteint aujourd’hui environ 3,3 milliards d’euros. Grâce à notre prochaine mise à jour, nous aurons désormais la possibilité de réunir plusieurs sites dans un même programme. Nous pourrons aller jusqu’à douze courses, ce qui nous permettrait par exemple de commencer notre programme en Australie, suivre ici à Hongkong, puis en Afrique du Sud et en Europe. Nous obtiendrions le meilleur support de paris hippique au monde ! »

Comment progresse la plateforme ? « La demande a déjà répondu présent, reste à créer l’offre. Si les paris sur les meilleures courses internationales pouvaient être connectés sur une seule plateforme, l’ensemble des participants en tirerait un bénéfice. L’intérêt est très net pour les jeux à combinaison, qui ont besoin d’une forte contrepartie. » Suivez mon regard…

En somme, il s’agirait de créer des réunions internationales, à cheval sur plusieurs fuseaux horaires mais respectant les mêmes règles, les mêmes principes et les mêmes paris. Magnifique projet !

Que les courses deviennent un sport mondial

Également président de la Fédération internationale des Autorités hippiques, Winfried Engelbrecht-Bresges voit plus loin encore : « Si la population mondiale de chevaux de course recule, il y aura moins de chevaux capables de se distinguer au niveau international. Il est donc souhaitable que leur programme soit conçu de telle manière que nous puissions obtenir les meilleures courses possible en limitant la concurrence des différentes juridictions hippiques. Les allocations feront la différence et il faudra suivre cette voie, au risque de passer sur un second plan. Et je crois qu’à l’avenir, quelques grands partenaires adopteront une approche plus stratégique. Je suis également convaincu que nous devrons positionner l’hippisme comme un sport mondial, pour lequel les principaux organisateurs devront travailler plus étroitement ensemble. C’est une évolution naturelle. Nous ne sommes pas comme la Fifa, qui contrôle tous les droits d’organisation et ce sera donc plus compliqué. L’intérêt du World Pool est aussi d’inciter à une plus grande collaboration, pour le bien de tous. Prenons, par exemple, les difficultés de déplacement des chevaux en raison des règles drastiques de quarantaine, particulièrement en Australie. Peut-être que si nous étions tous unis pour le réclamer, nous pourrions obtenir un statut spécifique aux chevaux de niveau international qui leur permette d’être exemptés des obligations les plus restrictives, pour que les chevaux de différents pays se rencontrent plus souvent. Car les enjeux sont meilleurs dans le World Pool lorsque des chevaux de différents pays se rencontrent. »

Quel calendrier est envisageable ? « La transformation et l’uniformisation des règles prennent parfois du temps. Mais si vous pouvez faire valoir que c’est dans l’intérêt du client et des organisateurs qu’une règle des courses doit évoluer, alors il est plus facile d’avancer vers des règles communes. Cela nous permet aussi de faire en sorte que la participation de tous soit possible. Nous avons convaincu l’Afrique du Sud d’utiliser une partie des revenus du World Pool pour améliorer les conditions sanitaires, de telle façon que la Fédération internationale a pu guider, aider et suivre la régularisation des échanges hippiques entre le pays et le reste du monde. Le bien-être animal est l’un des plus grands défis que nous devons relever. Il y aurait du sens à utiliser ne serait-ce qu’une partie des revenus générés par le World Pool pour aller dans ce sens. »

La France montera-t-elle dans le train ?

Notre enjeu se résume ainsi : faut-il confier nos intérêts au World Pool en certaines occasions, quitte à baisser notre part de prélèvement, pour accéder à des masses plus considérables et utiliser notre programme d’élite de telle façon qu’il participe davantage à son financement, et à celui de la filière ? Peut-on, a contrario, longtemps faire route selon nos seules conditions, fussent-elles plus rémunératrices ?

Plus que commerciale, la réponse (par ailleurs soumise à l’approbation de l’État) est presque philosophique : existe-t-il un modèle d’avenir différent de celui que nous connaissons ? Tout porte à croire, en tout cas aujourd’hui, que ce modèle naîtra à l’Est, par-delà les fleuves et les montagnes.

* Aujourd’hui, la vallée est heureuse. Mais à l’époque (en 1840), les colons anglais ont choisi ce surnom par dérision, pour moquer ce marécage infesté de moustiques porteurs de paludisme qu’était à l’époque Happy Valley.

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