Dans la tête de Joëlle Mestrallet
Joëlle Mestrallet a déjà connu le haut niveau. C’était en CSO, une discipline où l’un de ses élèves, Obiwan de Pilière, a enlevé la Coupe des Nations du concours mythique de Calgary. Dimanche, c’est un autre de ses « gros bébés », comme elle appelle affectueusement ses chevaux, qui prendra part au Qatar Prix du Jockey Club. Look de Vega (K) porte les couleurs du haras de la Morsanglière, la structure que les Mestrallet ont acquise il y a une vingtaine d’années, quand la passion des chevaux a pris de l’ampleur… Ne vous y méprenez pas : cette relation presque maternelle avec ses chevaux n’empêche pas Joëlle Mestrallet de garder la tête bien sur les épaules. Cette ingénieure de formation a trouvé dans le monde du pur-sang la rigueur qui faisait défaut aux sports équestres.
Par Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
Les chevaux ont toujours fait partie de la vie des Mestrallet. Joëlle et Gérard, l’ancien patron d’Engie (ex GDF-Suez), ont été, malgré une carrière professionnelle bien remplie, cavaliers amateurs, avant de logiquement mettre leurs enfants à dos de poney. Ils avaient signé pour de longs week-ends sur les terrains de concours hippique… Joëlle Mestrallet se souvient : « Nous sommes partis vivre cinq ans en Belgique, et j’ai alors acheté une jument pour me promener. Comme je l’adorais, j’ai souhaité la faire reproduire… Or elle ne remplissait pas. Je voulais comprendre, donc j’ai lu, je me suis documentée, et je me suis passionnée pour la gynéco, l’élevage. Par la suite, cette jument ne pouvant donner de poulain, j’ai acheté une poulinière. »
Les enfants grandissent et passent à cheval. L’une des filles de Joëlle, Caroline, évolue à très bon niveau. Il lui faut des montures… « Je lui ai acheté des juments plutôt que des hongres, en pensant à l’élevage ensuite ! » Les Mestrallet ont alors une petite propriété dans l’Oise. Mais rapidement, le nombre de chevaux augmente, et la place vient à manquer. « La famille Paillot, bien connue dans les sports équestres mais aussi dans le trot, mettait en vente un haras dans le Pays d’Auge. Nous avons acheté le haras de la Morsanglière en 2003. À l’origine, il s’agissait d’y élever des chevaux de sport. » Avec succès, puisque nombre de chevaux élevés à la Morsanglière (affixe Jo) se distinguent au meilleur niveau.
Des chevaux de sport aux pur-sang, progressivement
C’est peu avant l’achat de la Morsanglière que les pur-sang ont, une première fois, fait irruption dans la vie des Mestrallet. « Mon mari était en déplacement à Pau pour un rendez-vous avec François Bayrou. Il n’a pas voulu qu’il reparte sans avoir rencontré Jean-Claude Rouget, la star locale, comme l’appelait François Bayrou… Un peu plus tard, avec Noël Forgeard, ils se sont associés sur une jument. » Cette Hancora (Septième Ciel) gagne d’emblée. C’était en 2002 et il n’était pas encore question d’élever des pur-sang ou de développer l’écurie. Il faut attendre une dizaine d’années pour que la situation évolue. « L’un de nos amis, qui avait des trotteurs, m’a convaincu de m’intéresser aux chevaux de course. Il est vrai qu’économiquement, l’élevage de chevaux de sport n’a pas beaucoup de sens…. Il m’a présenté Lucien Urano. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus, et pour m’initier au galop, il m’a proposé d’acheter une jument ensemble. Cette jument, c’était Lucelle, la mère de Look de Vega. Henri Bozo, avec qui Lucien Urano travaillait, m’avait accompagnée à la Louvière, à la rencontre de Chryss O’Reilly. C’était un peu avant la vente d’août, et elle m’avait présenté Lucelle. J’avais adoré la pouliche. Nous l’avons donc achetée aux ventes avec Lucien Urano. J’ai eu de bons professeurs ! »
Le petit paradis de la Morsanglière
De bons professeurs et une élève avide d’apprendre. « J’ai une formation d’ingénieur. Mon côté scientifique apprécie la rigueur, et je dois dire que le monde du pur-sang est bien plus rigoureux que celui du cheval de sport ! L’accès à l’information est bien plus simple, que ce soit pour les performances des chevaux, celle de leurs apparentés, les dossiers vétérinaires, etc. Le commerce est aussi beaucoup plus transparent. Dans le cheval de sport, les ventes aux enchères ne sont pas la norme. Et le petit éleveur n’a pas accès aux personnes capables d’acheter un cheval de haut niveau. Il faut passer par des intermédiaires, si bien que l’on sait pour combien on a vendu notre cheval, mais on ne sait pas combien il a été acheté ! Enfin, et cela compte quand on avance en âge, le cycle de valorisation est bien plus rapide ! » Petit à petit, les poulinières pur-sang ont remplacé les juments de sport, et la Morsanglière, véritable petit paradis dans les vallons normands, a changé d’orientation. « Outre nos juments, nous accueillons aussi celles de clients, et des chevaux en repos ou convalescence. Jean-Claude Rouget nous fait confiance pour ses chevaux qui ont besoin d’un break. Nous avons la chance d’avoir une super équipe, et l’environnement du haras est tellement calme que cela rejaillit sur les chevaux ! »
En famille
Pour la préparation des yearlings aux ventes, Joëlle Mestrallet fait logiquement confiance à Julie Mestrallet, qu’elle considère comme sa nièce, même si Joëlle et Francine, la mère de Julie, sont en fait cousines. « Julie et l’une de mes filles ont toujours été très proches, elles montaient en concours ensemble… Quand nous sommes arrivés en Normandie, c’est logiquement que nous nous sommes rapprochées. À présent, j’ai même plusieurs poulinières en association avec Julie. Nous discutons des croisements… Lucelle a pouliné tard de Kameko et elle est actuellement en Irlande pour être saillie par Starspangledbanner. Julie m’a conseillé cet étalon qu’elle aime beaucoup [on retrouve son nom, comme père de père, dans le pedigree de la classique CÅ“ursamba, élevée par Julie Mestrallet, ndlr] et Lucien Urano était partant aussi ! Je ne cherche pas forcément à refaire les croisements qui ont fonctionné une fois. Avec Lucelle, au début, nous avons essayé de reproduire le croisement qui a donné The Black Princess (Iffraaj), une sÅ“ur de la jument. Nous l’avons donc croisée avec Iffraaj, puis son fils Ribchester, un autre de ses fils, Wootton Bassett, mais c’est finalement avec un autre courant de sang, celui de Lope de Vega, que nous avons eu le meilleur de ses produits ! »
Les courses et les rencontres
Joëlle Mestrallet est bien trop cartésienne pour ne pas mesurer la chance qu’elle a de voir ses couleurs et son élevage représentés au départ d’un classique. Mais on sent aussi dans ses paroles l’importance du facteur humain. Il y a cette rencontre avec Lucien Urano, mais aussi celle avec les Lerner, puis avec Ronan Thomas… « Je ne connaissais pas Carlos Lerner avant qu’il n’achète une part de Look de Vega. C’est un personnage, quelqu’un de très près de ses chevaux, et j’aime beaucoup la façon dont son fils et lui s’en occupent. Au point que je lui confie également la sÅ“ur de Look de Vega, Alma Bella, qui est désormais poulinière. Quant à Ronan Thomas, c’est une personne charmante, et particulièrement fin à cheval. Il était important pour moi qu’il reste associé au cheval, car ils forment vraiment un couple. Ronan adore Look de Vega ! Cette aventure avec le poulain, et plus largement les chevaux de course, ce sont aussi des rencontres qui nous enrichissent. C’est passionnant. »