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jeudi 26 décembre 2024

AccueilA la uneLouisa Carberry : « J’essaye de traiter chaque cheval comme un bon cheval »

Louisa Carberry : « J’essaye de traiter chaque cheval comme un bon cheval »

Louisa Carberry : « J’essaye de traiter chaque cheval comme un bon cheval »

Jour de Galop. – Ce sport, c’est vraiment très dur…

Louisa Carberry. – À chaque course, à chaque obstacle… la peur est là. La crainte d’être déçue mais aussi et surtout de décevoir. On se demande en permanence ce qu’il va se passer. Les entraîneurs sont en général des gens courageux. Audacieux aussi. Il faut y croire et avoir confiance en son travail. Ce qui est dur, c’est lorsque cela se passe mal, parce que la confiance s’érode. Et cela arrive à tout le monde.

Où est la limite entre l’audace et la faute ?

Il faut être réaliste et ne pas demander l’impossible aux chevaux. Depuis le début de l’année, nous avions le Grand Steeple en tête avec Gran Diose (Planteur). Pour sa rentrée, il n’était pas du tout prêt. Et nous le savions. Clément Lefebvre le savait également. J’étais satisfaite de sa cinquième place. Mais beaucoup ont été déçus. Certains ont douté du niveau du cheval. Si bien qu’il s’est présenté dans la grande épreuve en tant qu’outsider. On ne peut pas arriver sur une telle épreuve en pensant gagner. C’est trop difficile. Mais, par contre, nous avions tous confiance dans le cheval, dans sa préparation, dans sa progression physique… Gran Diose était vraiment au pic de sa forme. Et c’était à lui de jouer. Merci à lui !

Pour lequel de vos trois Grands Steeple avez-vous eu le plus de pression ?

Le premier de Docteur de Ballon (Doctor Dino), personne ne nous attendait. Aucune pression. La deuxième fois, l’attente était réelle. Les gens étaient là pour le voir faire quelque chose de spectaculaire. Le problème, c’est que sa préparation n’avait pas du tout été simple. C’était donc vraiment très stressant. Arriver en outsider, c’est bien plus confortable. Dimanche dernier, notre seule pression, c’était de bien faire et de permettre à notre cheval de prouver sa qualité. J’étais moins tendue qu’avec Docteur. De toute manière, nous n’aurions pas pu faire plus le matin. Gran Diose était exactement là où nous voulions qu’il soit. Et c’est vraiment rare avec les chevaux. Très souvent, on arrive le Jour J avec de petits problèmes ou un terrain pas idéal. Mais là, tout était réuni pour bien faire.

Votre plus belle victoire, c’est peut-être aussi d’avoir réussi à préserver la santé de Docteur de Ballon, qui n’était pas son point fort, pendant autant d’années ?

Ce qui est marrant, c’est que Gran Diose et Docteur de Ballon sont totalement différents. Le premier toise 1,80 m, il pèse 600 kg et est fait en descendant. C’est typiquement le type de cheval qui, théoriquement, est sujet aux problèmes de santé. Docteur toise 1,60 m, c’est un athlète, léger, avec une belle action. Et pourtant, c’est lui qui a eu les soucis de santé. Mais pour compenser, Docteur avait une extravagance et une générosité peu ordinaires. Nous faisions vraiment attention à le travailler suffisamment, mais pas trop non plus. Qu’il arrive prêt lors des grands rendez-vous, mais sans exagération. Malheureusement, malgré toutes les précautions, Docteur n’a pas été épargné par les problèmes durant sa carrière. Malgré cela, aux courses, il n’avait rien perdu de sa superbe. À 8ans ou 9ans, il était meilleur que jamais. De toute manière, les bons chevaux ont une qualité qui compense bien des choses. C’est en eux. Un animal plus limité a besoin que toutes les planètes soient alignées. Les vrais cracks se surpassent. Docteur de Ballon était persuadé d’être le meilleur !

Le jour suivant la victoire dans le Grand Steeple, il faut remettre ses bottes, retourner à l’écurie et remonter les chevaux qui vont courir les réclamers.

C’est très bien ! On garde les pieds sur terre ainsi. Lundi, je suis allée à Durtal sous la pluie et mon partant n’était pas à l’arrivée. Cela remet les idées en place. C’est ça les chevaux. Un jour, nous sommes sur le toit du monde, le lendemain, on termine dernier !

Ce n’est pas un hasard si la camaraderie entre jockeys d’obstacle est aussi forte. Chacun comprend les risques et l’âpreté du métier. C’est là que réside une partie de la beauté de ce sport.

Et puis chaque cheval a son objectif. Peut-être qu’un de mes pensionnaires aura pour sommet de sa carrière une victoire à Savenay. Et si on y arrive, c’est vraiment une grande satisfaction.

Vous êtes Anglaise. Votre époux, Philipp, est Irlandais. Mais les gens de la région vous ont vraiment adoptés. Votre réussite fait la fierté de l’Ouest.

Je suis très attachée à ma nationalité anglaise. Mais après une décennie dans l’Ouest, se sentir acceptée comme faisant partie de la communauté hippique locale a de la valeur à mes yeux. J’y accorde beaucoup d’importance. L’Ouest et les courses, c’est une longue histoire. Beaucoup de grandes carrières sont nées dans cette région. Et c’est aussi là qu’ont été élevés Gran Diose et Docteur de Ballon. Cette culture a aussi enfanté Clément Lefebvre qui vient de Craon.

Vraiment, cette région connaît beaucoup de réussites, petites et grandes.

Senonnes marche sur l’eau !

Il faut dire que par le passé, le centre d’entraînement était critiqué. Certains se moquaient même de Senonnes. Quand vous voyez Adrien Fouassier remporter le Prix Ganay (Gr1) avec Haya Zark (Zarak)… c’est magnifique. Et quelques semaines plus tard, Gran Diose s’offre le Grand Steeple. On peut entraîner un très bon cheval ici et avoir de grandes ambitions. Je tiens à souligner l’influence très positive impulsée par l’arrivée de Geoffrey Gaucher. En l’espace de cinq ans, l’outil de travail a tellement évolué. Tout est fait pour qu’on travaille parfaitement. Merci à tous ceux qui œuvrent au quotidien pour que nous, entraîneurs, puissions préparer nos pensionnaires.

Après la course, j’ai croisé Alain de Royer Dupré, votre ancien patron. Il m’a dit : « C’est une remarquable cavalière. Et désormais un entraîneur hors pair. Ce fut un plaisir de l’avoir à la maison. Sa formation de base est excellente. J’aime beaucoup les gens qui viennent de l’équitation classique. Il faut dire que récupérer un cheval comme Gran Diose, ce n’est pas facile, car il a eu un passage à vide. C’est du très bon travail. Il faut être capable de sentir les choses pour parvenir à un tel résultat ».

C’est très sympa. Surtout venant de lui. Je veux dire, ses mots comptent énormément pour moi, peut-être plus que ceux de tout autre professionnel.

J’ai même du mal à y croire. J’ai tellement d’admiration pour ce Monsieur. Quand je suis arrivé chez lui, je ne connaissais pas grand-chose aux courses françaises. J’ai découvert sa qualité d’entraîneur, mais aussi un homme de cheval exceptionnel. Il a toujours laissé ses chevaux venir d’eux-mêmes, en les écoutant. Je ne serai jamais à son niveau, mais je peux m’en inspirer. C’est quelqu’un qui sait apprécier la qualité d’un bon cheval. Je suis très contente de savoir qu’il était là dimanche, car Gran Diose méritait ça, de gagner devant une foule de connaisseurs. Je suis tellement fière de mon pensionnaire que j’ai vraiment envie de le voir apprécié à sa juste valeur.

On peut avoir de bons chevaux, mais si l’équipe est nulle, ça ne fonctionne pas…

Justement, chez Alain de Royer Dupré, j’ai connu une équipe de premier plan. L’entraîneur ne peut pas monter et soigner toute l’écurie. Monter une équipe, la faire vivre et la faire durer dans le temps, c’est la chose la plus difficile de mon métier car il faut traverser les périodes d’euphorie mais aussi les passages de méforme. Au-delà de la qualité propre à chacun, le challenge, c’est de faire adhérer les gens à votre méthode. Nous avons trouvé des jeunes, ouverts et capables de découvrir une manière de faire sensiblement différente de celle de nos voisins. En l’espace de dix ans, j’ai beaucoup appris sur l’aspect humain de mon métier. Et j’ai encore beaucoup à apprendre. Il faut une ambiance positive mais studieuse, avec du respect et de la solidarité. Chaque personne est importante dans une écurie.

Alain de Royer Dupré n’entraînant pas de sauteurs, comment avez-vous appris votre métier ?

En Angleterre, après le concours complet, je suis devenue cavalière d’entraînement chez Henrietta Knight, l’entraîneur du champion Best Mate (Un Desperado), pendant un an. Mais j’étais juste « au lot », pas à temps plein, pour le fun. Mon premier véritable emploi dans les courses, c’était chez Alain de Royer Dupré. Au bout d’un moment, je suis allé le voir pour lui dire que je voulais essayer l’obstacle, tout en prenant des responsabilités. Il m’a suggéré David Windrif, mais il n’avait pas de place. Je suis donc resté chez Alain de Royer Dupré où j’ai continué à énormément apprendre. Lorsque je me suis lancée, Philipp était à mes côtés. Il a une très grande expérience acquise en tant que jockey, mais aussi auprès de son père, comme chez François-Marie Cottin.

Sans Philipp, j’aurais mis beaucoup de temps à comprendre certaines choses. Nous avons trouvé notre propre système, petit à petit. En dix ans, nous avons d’ailleurs vraiment fait évoluer notre manière de faire. La vision ne change pas mais nous essayons de progresser. Dans tous les cas, j’essaye de traiter chaque cheval comme un bon cheval. À la fin de son parcours, il est probable qu’il ne sera pas un champion. Mais dans tous les cas, nous aurons fait le maximum pour lui permettre d’atteindre la plénitude de son potentiel. C’est à lui de jouer ensuite.

On dit que chaque entraîneur a un nombre optimal de pensionnaires. Cela peut être 10, 50 ou 200 chevaux. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne manière de voir les choses. Certains sont très forts pour diriger une armée de 200 animaux avec l’équipe adéquate. D’autres sont à leur apogée avec un petit effectif. En ce qui concerne notre écurie, j’ai du mal à déterminer un nombre précis. Actuellement, nous avons une quarantaine de pensionnaires. Si nous en avions deux fois plus, perdrions-nous la qualité de travail qui fait notre force ? Je ne sais pas car tant qu’on n’a pas essayé, c’est impossible de savoir. Au fond, je crois que mon grand rêve, c’est plus de remporter de belles courses… que toutes les courses. Je n’échangerais pas les trois Grands Steeple contre un cheval d’or.

Cela étant dit, quand on a moins de chevaux, on a les mains dans le cambouis et on fait beaucoup de choses soi-même. Et j’essaye de profiter au maximum de belles journées de courses pour consacrer du temps aux propriétaires. On peut vivre une aussi belle après-midi à Durtal qu’à Auteuil. C’est une grande satisfaction quand on peut partager de bons moments avec ces personnes qui nous ont fait confiance.

Votre sport, l’obstacle, a considérablement évolué en l’espace de quelques années.

Pour le meilleur comme pour le pire, beaucoup de choses ont changé. Dans le positif, on voit que désormais, plus de propriétaires étrangers se laissent tenter par l’aventure française. C’est très important pour la filière car si le commerce est essentiel, il ne faut pas vider le réservoir de bons chevaux. La France a beaucoup de bons entraîneurs. Il faut inciter les acheteurs à leur laisser des chevaux. C’est mieux pour le suivi du cheval, pour l’éleveur aussi et pour la filière en général.

La syndication a progressé en France, mais elle doit encore se simplifier. C’est l’avenir car cela permet de lancer des propriétaires dans le grand bain. Partout en Europe, la compétition est bien plus rude. C’est de plus en plus difficile de gagner des courses car les entraîneurs sont toujours plus professionnels. Il n’y a qu’à voir avec les 3ans. Lorsque je suis arrivée, on en voyait arrêtés en face, d’autres qui sautaient « gros ». Aujourd’hui, ils partent tous comme des pros et tout le monde est à l’arrivée.

Vu de l’étranger, la France est un pays où on a une chance raisonnable de réussir. Surtout en province. Pour autant, c’est aussi risqué car entraîner à la campagne, c’est parfois aussi s’enterrer.

Certains pensent que c’est facile dans les provinces françaises et qu’il suffit de se baisser pour ramasser des allocations. Rien n’est moins vrai. Le premier challenge, en tant qu’étranger, c’est de débarquer dans un endroit où l’on ne connaît pas grand monde. C’est même très dur. En France, effectivement, les allocations sont intéressantes si on a un cheval compétitif. Mais en contrepartie, les charges, les impôts et les 35 heures, cela rend la vie du chef d’entreprise vraiment difficile.

Je n’ai jamais envisagé de débuter en Angleterre car, ne serait-ce que du point de vue financier, cela me semblait impossible. Mais il faut aussi saluer la réussite des meilleurs. En Irlande, effectivement, Willie Mullins et Gordon Elliott ont une force de frappe phénoménale. Mais cette réussite, ils ne la doivent qu’à eux-mêmes.

De ce point de vue, c’est partout pareil. Il faut essayer de s’inspirer de la réussite des meilleurs. J’ai un petit effectif, mais parfois j’arrive à battre les leaders de la profession car j’avais le meilleur cheval de la course. D’autant plus qu’en obstacle, le bon peut venir de partout. Ne pas avoir de grands pedigrees est moins rédhibitoire qu’en plat. La plupart de mes pensionnaires sont arrivés dans ma cour avec leur propriétaire ou leur éleveur. Il faut être ouvert d’esprit, en particulier au niveau généalogique. Le plus important, c’est l’athlète. On voit que les Doctor Dino ont cette envie de travailler qui fait les bons chevaux. Mais pour autant, on ne peut pas rayer ceux qui sont nés d’un père moins illustre.

Quel impact ont vos deux premiers Grands Steeple sur le plan professionnel ?

Le premier était humainement très fort. Mais d’une certaine manière, les gens sont restés prudents. Le deuxième a eu plus d’impact sur le plan professionnel. C’était une confirmation. Cela a fait naître une certaine confiance et de nouvelles personnes ont souhaité travailler avec nous. Il faut aussi dire que le fait que les courses françaises soient diffusées en Angleterre sur Sky Sports Racing nous a bien aidés pour attirer des propriétaires étrangers. Je pense que c’est aussi le cas pour d’autres entraîneurs installés en France.

J’espère que le troisième Grand Steeple, avec un cheval d’un type complètement différent, va prouver que notre équipe est capable de faire du bon travail sur le long terme. Si vous êtes basés à Londres, vous avez moins de temps de trajet pour aller voir votre partant à Auteuil que dans le nord de l’Angleterre. Pour une catégorie de propriétaires anglo-irlandais avec un budget intermédiaire, la France représente une opportunité incomparable. Surtout s’ils élèvent leurs chevaux.

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