Innover, inventer et se démarquer
Arthur Hoyeau nous a raconté l’histoire de Ramatuelle… et sa vision du métier de courtier, du marché et du monde des courses en 2024.
Jour de Galop. – Dans quel état d’esprit êtes-vous avant la tentative de Ramatuelle dans les 1.000 Guinées, dimanche à Newmarket ?
Arthur Hoyeau. – Évidemment, cela fait rêver ! Un classique britannique a forcément une place à part dans le calendrier et tenter d’aller battre les Anglais à domicile avec une pouliche française, c’est un beau challenge… Pour cette association, montée en partenariat avec les Monceaux, nous avons mis en place un groupe d’associés très cosmopolite et hétérogène, dont des clients loyaux comme Matthew Sandblom [Hollymount Stud, ndlr] et Ben Kwok. Christopher Head n’a pas de doute sur sa capacité à tenir les 1.600m de Newmarket. Nous y allons avec des espoirs. Nous vivons une belle aventure avec Ramatuelle et nous avons également des espoirs avec une autre pouliche de 3ans, Classic Flower [désormais copropriété de Gousserie Racing et Jean-Étienne Dubois après avoir débuté pour Jean-Étienne Dubois et l’écurie Hunter Valley, ndlr], dont la Commonwealth Cup à Ascot.
Ramatuelle a été achetée 100.000 € à la vente de yearlings d’août Arqana, le bon étant signé de votre nom, ainsi que de l’écurie des Monceaux et Hollymount Stud & Partners. Pouvez-vous nous raconter son achat ?
Je l’avais vue au haras avant les ventes et c’était une pouliche sur laquelle je m’étais fixé. Une fois à Deauville pour les ventes, cela s’est mal passé pour elle. Elle s’est coincée dans le box, donc elle n’était pas « carrée », et elle marchait dans le box. Mais je suis restée sur mon idée première. Il faut avoir des convictions ! Nous l’avons obtenue à 100.000 €, soit le prix de réserve. Quand on n’a pas le budget pour acheter « parfait », il faut savoir faire des concessions.
Lesquelles, selon vous ? Modèle ou pedigree ?
En ce qui me concerne, le modèle prime. C’est avant tout un sport « mécanique » et c’est notamment ce que mon expérience de pinhooker m’a appris. Les chevaux ne connaissent pas leur pedigree même si les résultats des courses montrent que cela joue évidemment un rôle important. Idéalement, je préfère avoir les deux, mais s’il faut faire un choix… Un point sur lequel je suis prêt à faire des compromis est le dossier vétérinaire. Je forme une bonne équipe avec le vétérinaire avec lequel je travaille et je l’écoute.
Vous êtes copropriétaire de Ramatuelle. De plus en plus de courtiers s’associent sur les chevaux qu’ils achètent. Pourquoi ? Pour rassurer les clients ?
Je ne peux que parler de mon cas. Avant d’être courtier, j’ai eu quelques bouts dans des chevaux et cela s’est bien passé. J’ai eu des revenus qui m’ont permis d’aller de l’avant et de réinvestir. Garder une part peut en effet permettre de rassurer les associés mais il y a toujours une part de risque. Cela ne doit pas nécessairement être la solution. Si on propose de bons projets, avec un objectif précis et réalisable, cela ne doit pas être une nécessité. Je ne le fais pas à chaque fois et ce n’est pas forcément quelque chose de calculé. Par exemple, cette année, j’ai monté un groupe pour acheter uniquement des mâles et, dans ce plan, j’ai dit depuis le début que je serai associé. Mais, parfois, il reste simplement une part à prendre.
Vous faites partie de la nouvelle génération de courtiers. Comment se fait-on sa place ? En étant présent, comme vous le faites, sur toutes les grandes ventes internationales : Europe, mais aussi Australie, États-Unis voire Japon ?
C’est ma manière de me démarquer. Quand on regarde la nature de ma base de clients, il y a finalement peu de français. Je n’ai pas l’impression d’avoir de « concurrence frontale » en France, où je suis finalement peu. J’essaye de développer mon carnet à l’international – où je passe donc beaucoup de temps – et de proposer à mes clients quelque chose qui corresponde à leurs attentes. Je crois beaucoup à l’internationalisation des courses, cela a toujours été mon angle d’attaque. La dimension internationale des courses est plus forte que jamais et je crois que cela va encore s’amplifier, pour les chevaux comme pour les acteurs. Ma stratégie a été d’acquérir de l’expérience dans les places importantes du galop dans le monde et de déterminer quelles sont les meilleures choses à en retirer, à chaque endroit. Il y a de moins en moins de frontières, chaque pays a quelque chose à offrir.
Vous fonctionnez beaucoup sur des associations de propriétaires. Pourquoi ?
Il y a un modèle qui s’impose un peu partout à l’international et qui fonctionne bien : le modèle de la mutualisation. En tant que courtier, la logique est, selon moi, de décevoir le moins possible mes clients tout en ayant l’ambition la plus haute possible. Et, pour cela, l’idée est de répartir et mutualiser les chevaux et les clients. Il y a toujours une part de risque en achetant de jeunes chevaux. Si j’ai plusieurs clients, avec lesquels il est possible de trouver un accord sur le budget, alors nous pouvons ensemble investir sur davantage de chevaux et répartir les risques. Avoir un portefeuille solide de clients est essentiel.
Est-ce sur ce point que le métier de courtier a évolué par rapport à il y a trente ans ?
Il n’y a désormais plus de clients qui vont potentiellement acheter trente chevaux et sur lesquels il est possible de se reposer, de propriétaires attitrés. Par essence, il faut donc être encore plus imaginatif, avoir plus d’idées, plus d’innovations, être plus proactifs. Avec la technologie, communiquer est de plus en plus facile. Il faut arriver à se démarquer.
Du point de vue des vendeurs et du marché, on entend parfois que les associations de propriétaires sont problématiques puisqu’association voudrait dire moins de concurrence et donc un marché moins fort. Qu’en pensez-vous ?
Je n’y crois absolument pas et les marchés australien et américain le montrent. En associant mes clients, je vais pouvoir acheter ou être underbidder non pas sur un cheval, mais sur trois. Je crois que c’est une idée reçue.
Justement, qu’est-ce que la France a à offrir à de potentiels propriétaires américains, par exemple ?
Nous avons tous des points forts. Nous aimons bien râler en France mais, très sincèrement, je trouve que notre système fonctionne bien et qu’il est sain. Nous avons de belles courses, de beaux meetings. Parlez de Longchamp, Chantilly ou Deauville : les propriétaires étrangers adorent cela ! Comme tous les pays, nous avons des défis à relever. C’est le cas en Grande-Bretagne, sur le financement des courses, ou aux États-Unis avec la mise en place de l’HISA [Horseracing Integrity & Safecty Act, pour réguler au niveau national les courses, ndlr]. Quand on vise le haut niveau, chaque pays à ses attraits. Je n’ai jamais trouvé difficile de convaincre un propriétaire étranger à laisser ses chevaux en France.
Puisque l’on parle internationalisation… L’Europe, comme les États-Unis, s’inquiète de voir beaucoup de chevaux partir du côté de l’Est. Australie et potentiellement Hongkong pour les chevaux à l’entraînement, poulinières vers le Japon. Y a-t-il un danger sur un potentiel excès d’internationalisation et d’appauvrissement de nos courses et notre élevage ?
C’est la vérité. L’export se développe et « appauvrit », d’une certaine manière, notre élevage. Nous avons davantage de propriétaires et éleveurs commerciaux désormais. Mais ce sont ces ventes qui permettent de faire tourner le système financièrement, d’injecter du cash et donc de réinvestir. Je crois beaucoup au libre marché et à l’autorégulation du marché… Et je ne crois absolument pas à la mise en place de protectionnisme. On ne peut pas tout avoir. S’il y a un déséquilibre actuellement, si on a l’impression d’assister à une fuite des talents, je suis persuadé que tout cela va se réguler sur le long terme. Des chevaux partent, oui, mais font de la place pour d’autres.
La saison de vente est lancée, notamment celle des breeze up concernant les jeunes chevaux – celle d’Arqana se tiendra le samedi 11 mai. Quelle est votre analyse ?
Le marché de la breeze up est sélectif et polarisé. Est-ce une nouveauté ? Absolument pas, il me semble ! L’appétit pour les bons chevaux est présent, en Europe comme ailleurs, et cela ne changera pas. Aux breeze up, on ne peut pas imposer d’acheter un cheval qui n’a pas performé. C’est ainsi. Je pinhooke moi-même, essentiellement aux États-Unis… Parfois cela marche, parfois moins ! L’important, c’est la « ligne du bas », celle à la fin de la saison.
La saison des ventes de yearlings approche à grands pas. L’an dernier, le débat – du côté des îles Britanniques, le marché français faisant mieux que résister – était de savoir s’il y avait un marché qui baissait par manque d’intérêt ou un marché en réajustement, après des performances assez exceptionnelles. Comment se présente 2024 selon vous ?
Je ne vois pas de raisons pour avoir une croissance folle du marché des yearlings… mais je ne vois pas de raisons pour assister à une baisse de l’activité. Il y a quelques inconnues en Europe actuellement, selon les différents pays, mais le marché des yearlings s’est bien porté dans l’ensemble l’an dernier, je crois. Il y a de l’envie, portée par la qualité des courses européennes, nos grands meetings. Il est certain que le marché européen est de plus en plus tourné vers l’export, de plus en plus de chevaux sont à vendre. Mais nous avons toujours la qualité ici et je suis optimiste.