La semaine de l’élevage
Il se passe quelque chose d’exceptionnel chez les jeunes étalons
Neuf étalons français de première production ont déjà sorti un ou plusieurs gagnants avec leurs 2ans. À l’échelle du parc français, c’est certainement un record. Ils n’étaient que deux dans ce cas l’an dernier et un seul il y a deux ans. Personne ne serait donc surpris si, malgré une jumenterie parfois inégale, ce cru contenait une ou deux pépites. Les mois à venir vont être passionnants !
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
Les neuf heureux pères sont Hey Gaman (New Approach), Van Beethoven (Scat Daddy), Stunning Spirit (Invincible Spirit), Yafta (Dark Angel), Romanised (Holy Roman Emperor), Hello Youmzain (Kodiac), Wooded (Wootton Bassett), Headman (Kingman) et Threat (Footstepsinthesand). Tout le monde s’accordera pour dire qu’une hirondelle ne fait pas le printemps et qu’avant de crier au génie, il faut juger ces jeunes étalons sur un plus large échantillon. Mais cela reste un signe très positif, à un stade de leur carrière où tout le monde cherche à lire dans le marc de café. Pour rappel, Pedro the Great (Henrythenavigator) avait sorti son premier gagnant le 30 avril, Siyouni (Pivotal) le 17 avril, Wootton Bassett (Iffraaj) le 9 mai et Galiway (Galileo) le 29 mars ! Voilà un quatuor qui a rendu de fiers services aux éleveurs français, petits et grands, sur toutes les distances et à tous les âges. Les chevaux de tenue ont forcément besoin d’un peu plus de temps, mais Zarak avait ouvert la marque dès le 13 juillet. Souvenez-vous, à partir du mois de septembre, les succès des premiers Zarak (Dubawi) s’enchaînaient à un rythme effréné. Et en fin d’année, il avait obtenu avec ses premiers 2ans un score stratosphérique : 18 gagnants (50 %) et quatre black types (11 %) sur 36 partants. On connaît la suite de l’histoire !
Les chiffres, les chiffres et encore les chiffres !
Ce qui se passe avec les étalons de deuxième production outre-Manche est tout aussi passionnant. On ne peut pas connaître un meilleur début de carrière que celui de Blue Point (Shamardal) et de Too Darn Hot (Dubawi). Dans des profils très différents, notamment en matière de vitesse et de précocité, les deux ont donné des 2ans de premier plan, capables de briller au niveau Groupe, voire Gr1. Et ils remettent le couvert cette année au niveau classique avec Fallen Angel (Too Darn Hot), gagnante des 1.000 Guinées d’Irlande (Gr1), et Rosallion (Blue Point), lauréat des 2.000 Guinées d’Irlande (Gr1). La presse étrangère manque de superlatifs pour dépeindre leur réussite et c’est tout à fait justifié. Cela étant dit, comme toujours, il faut regarder les chiffres pour affiner son jugement. À ce jour, avec deux générations en piste, Blue Point a obtenu 74 gagnants (47 %) et 12 black types (7,7 %) sur 156 partants. De même, Too Darn Hot a “sorti” huit black types (8,2 %) et 42 gagnants sur 97 partants (43 %) dans l’hémisphère Nord. Nous ne sommes que le 30 mai et beaucoup de produits de ces deux jeunes sires vont avoir la possibilité, dans les mois, à venir de décrocher une victoire et/ou du black type. Dans tous les cas, en surfant sur la réussite de leurs fers de lance respectifs, leurs tarifs 2025 vont probablement augmenter, Blue Point étant actuellement proposé à 60.000 € et Too Darn Hot à 65.000 £. Des tarifs très certainement mérités mais qui, d’office, les réservent à une certaine élite, que ce soit au niveau des éleveurs ou des juments. Et justement, quel a été le niveau de leur jumenterie ? Le premier book de Blue Point comprenait 79 juments black types (42 %) et celui de Too Darn Hot pas moins de 94 (57 %). Honnêtement, c’est vraiment beaucoup. Surtout pour Too Darn Hot, car depuis Frankel, aucun débutant européen n’avait sailli une telle qualité de juments, à l’exception de Baaeed (Sea the Stars). Cela ne diminue par la valeur de leur réussite, mais les éleveurs n’étant pas dupes, il va falloir que le feu d’artifice soit permanent pour justifier les attentes du marché.
Cette pression qui pèse sur leurs épaules
Notre univers a ceci de particulier que deux étalons ayant une réussite statistique bonne et comparable peuvent avoir des cotes très différentes. Si vous commencez votre carrière en saillissant à 8.000 € et que vous obtenez 10 % de black types par partant avec deux générations de 3ans en piste, presque tout le monde va considérer que vous êtes un bon étalon. Même si vous n’avez pas sorti de gagnant de Gr1. Si vous êtes dans la même situation statistique après avoir débuté à 30.000 € ou plus, le marché vous aura très certainement tourné le dos. Le premier profil a dépassé les attentes, le second n’y a pas répondu. Pourtant, les deux sont certainement de bons reproducteurs car moins d’un débutant sur 10 en Europe est capable d’atteindre un tel taux de réussite.
Le cas Study
J’aimerais attirer votre attention sur le cas de Study of Man (Deep Impact). Il n’a pas encore sorti son gagnant de Gr1. Et sa production est deux à trois fois moins nombreuse que celle de ses contemporains Blue Point et Too Darn Hot. Ayant débuté à 15.000 £ après une victoire dans une édition modeste du Prix du Jockey Club, l’attente était très modérée le concernant malgré un pedigree outcross somptueux. Surtout pour un cheval peu précoce (même s’il a gagné à 2ans) ce qui est pénalisant pour un jeune sire basé en Angleterre. Or Study of Man affole les compteurs : 19 gagnants (46 %) et sept black types (17 %) sur 41 partants. Sur ces deux critères, il survole nettement la mêlée. Cerise sur le gâteau, son fer de lance, Birthe (Study of Man), est issu d’une mère au profil très moyen (rachetée 22.000 € l’an dernier). Étonnant, n’est-ce pas ? Cette lauréate du Prix Saint Alary (Gr2) croise certainement les doigts en espérant que la pluie cesse de tomber sur Chantilly avant le Prix de Diane (Gr1) !
En pareille situation, on vous dira : « Oui, mais Kirsten Rausing l’a soutenu avec de super juments ». Un argument qui fait en partie “mouche” quand on se rend compte que la patronne de Lanwades a élevé trois des sept black types de son jeune prodige. Mais comme toujours, que disent les chiffres ? Study of Man a sailli 25 % de juments black types. Comparativement au jeune étalon européen “moyen”, c’est une bonne base pour réussir. Mais c’est nettement moins que Blue Point (42 %) et Too Darn Hot (57 %).
Encore le Jockey Club !
Si Study of Man venait à confirmer son excellent début de carrière au haras, il apporterait encore une pierre supplémentaire à la réussite de notre Derby dans sa version sur 2.100m en tant que stallion making race. Voilà de quoi irriter encore un peu plus la fraction la plus conservatrice de nos voisins anglo-irlandais. Cela étant dit, il faut certainement garder le triomphe modeste. Comme pour tout classique, certains lauréats du Jockey Club nouvelle formule ont déçu. Et le Derby d’Epsom finira bien par ressortir des étalons de talent car, par essence, ce type de réussite est cyclique. Dans ce sens, je vous encourage à lire l’excellente édition du 29 mai de Good Morning Bloodstock (newsletter du Racing Post). Notre ami Martin Stevens l’a titré : « Why I’m keeping the faith in the Derby as a stallion-making race in spite of a recent slump » que l’on peut traduire par « Pourquoi je garde confiance dans le Derby en tant que stallion making race malgré la crise actuelle. » Et pour être tout à fait honnête, c’est très convaincant !
Le profil des étalons français qui ont fonctionnéÂ
De 1994 à 2023 (si on écarte les étrangers du classement), 23 sires (français) ont fait au moins trois fois partie du top 10 de notre pays. Parmi ces 23, 70 % étaient eux-mêmes black types à 2ans. Seulement deux sur 23 n’avaient pas couru à cet âge, dont Anabaa (Danzig) qui avait eu les problèmes de santé qu’on lui connaît (et qui n’étaient pas liés à un côté tardif). Ce fil rouge se confirme avec les réussites françaises récentes, de Zarak à Galiway, de Siyouni à Wootton Bassett. Alors bien sûr, il y 2ans et 2ans : l’animal qui gagne au mois de mai n’a pas le même profil que celui qui débute à l’été ou à l’automne, ce dernier se projetant (théoriquement) plus vers son année de 3ans.Â
Néanmoins, cette question de la sélection des reproducteurs à 2ans dans notre pays est d’autant plus importante que la France est (avec l’Allemagne) le pays d’Europe avec la plus forte proportion de courses black types sur 2.000m et plus. Notre programme est donc beaucoup moins porté sur la vitesse/précocité que celui de nos voisins irlandais et (surtout) anglais.Â