La vie rêvée des Vayre
Mercredi, 18 h. Grégory Vayre est au volant de son camion. Il prévoit d’arriver chez lui vers 22 h. Il s’est levé vers 4 h du matin, pour déposer un yearling dans la Nièvre, et récupérer des juments en région lyonnaise. C’est la vie qu’il a choisie. Grégory et sa femme Ambre, deux gros travailleurs, ont la réputation de ne pas compter leurs heures. Dimanche, ils délaisseront pour la journée leur haras situé non loin d’Alençon. Gold Tweet, le cheval de la famille, le cheval d’une vie, dispute le Grand Steeple-Chase de Paris.
Par Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
Grégory Vayre : « Avec Gold Tweet, rien n’est impossible »
L’histoire de Gold Tweet commence sur le bassin d’Arcachon, en avril 2019. Grégory Vayre assiste à la breeze up d’Osarus. Depuis un an, il investit dans les chevaux de course, lui qui est passé par l’école du concours hippique. « Mes parents avaient des chevaux de concours. Je montais, mais j’ai aussi commencé un élevage de chevaux de sport, que j’ai arrêté pour entrer au service de Roger-Yves Bost, comme cavalier pro. Mais j’ai toujours gardé cette fibre de l’éleveur. Les courses, je les ai découvertes en allant sur l’hippodrome de Pau. Nous habitions juste en face ! J’ai tout de suite accroché. Quand l’occasion s’est présentée, je n’ai pas hésité à basculer d’un monde à l’autre. En 2013, je suis devenu responsable du haras des Senora, à côté de Deauville. Puis j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, Ambre, qui résidait à Bordeaux. Les Watrigant m’ont proposé un poste de responsable du haras de Mandore, ce qui me permettait de me rapprocher de Bordeaux… »
Les premiers partants en 2018
Quand le couple décide de fonder une famille, Grégory rejoint Ambre, gérante de plusieurs restaurants à Bordeaux, et travaille à ses côtés. Les chevaux deviennent alors un loisir, si l’on peut dire. Sous la bannière AGV Karwin Stud, les Vayre constituent une écurie, majoritairement des chevaux d’obstacle, prêts à courir. Les premiers partants apparaissent en 2018… Entre Grégory Vayre et Gabriel Leenders, le courant passe de suite. Même passion, même goût pour entreprendre. Nous sommes donc en avril 2019 et Grégory inspecte les chevaux proposés à la breeze up d’Osarus. Le lot 58 lui plaît. Il est un peu efféminé, certes, mais son canter est sérieux. « Il était allé vraiment droit, comme un futur vrai cheval de course ! » Et dans la famille, ça saute. La deuxième mère, Jance (Agent Bleu), a gagné trois Listeds en obstacle, la mère a donné un gagnant sur les haies de Compiègne. Le marteau tombe à 14.000 €. « J’ai appelé Gabriel Leenders et il s’est associé avec moi. À l’époque, nous avions beaucoup de chevaux, une bonne quinzaine, et pas forcément de bons résultats. Nous avons décidé de sélectionner davantage et de vendre les chevaux moyens. Pour Gold Tweet, j’avais dit à Gabriel que s’il avait des amis qui souhaitaient s’associer avec nous, je voulais bien en céder un bout au prix que nous l’avions payé. Ruben Seror avait monté le cheval quelquefois le matin et il l’adorait. C’est ainsi qu’il est entré dans l’aventure, avec Mickael Lasry et Laurence Baudouin, qu’il manageait déjà  ! »
Apprendre la patience
Gold Tweet (nommé ainsi suite à un concours lancé sur Twitter) débute en mai de ses 3ans par un succès à Vichy. Il attaque les courses black types dès le premier semestre, puis s’épanouit pendant l’hiver à Cagnes, où il s’impose à deux reprises. Sa saison de 4ans est assez remarquable : il gagne le Prix Hopper (Gr3) au printemps à Compiègne, se classe quatrième du Prix Ferdinand Dufaure (Gr1) puis quatrième de nouveau sur les haies du Questarabad (Gr3). À l’automne, il reste en steeple, et prend notamment la troisième place du Prix Maurice Gillois (Gr1). Vichy, Cagnes, Compiègne, Auteuil, haies, steeple : la bande d’amis tient un cheval de qualité… et très polyvalent ! « Pour le remercier de cette saison bien fructueuse, nous avons voulu trop bien faire en l’envoyant en thalasso. Mais la marche dans l’eau ne convenait pas à sa conformation. Il s’est fait une petite entorse du jarret, et a été au repos pendant près d’un an ! »
Peut-être un mal pour un bien car Gold Tweet retrouve les hippodromes en fin d’année de 5ans avec un moral intact. « J’ai appris de mes erreurs de jeunesse. Lors de mes débuts en tant que propriétaire, j’avais tendance à trop mettre la pression aux entraîneurs pour courir et rentabiliser les investissements. Maintenant, je sais que si l’on veut faire durer les chevaux, il faut leur laisser le temps qu’ils demandent. Nous sommes devenus beaucoup plus patients. Nous faisons du « cas par cas » et n’hésitons pas à reprendre nos chevaux au haras quand ils ont besoin de repos. Gold Tweet passe toutes ses vacances à la maison ! C’est le cheval de la famille. Il est tellement gentil que c’est mon fils, Augustin, qui le rentre du pré. »
Désormais étalonniers et éleveurs en Normandie
Les Bordelais sont en effet devenus Normands depuis un peu plus de deux ans. Ils ont trouvé la structure qui leur correspond dans l’Orne, aux Monts-d’Andaines, à 45 km au nord d’Alençon. Ils sont désormais étalonniers et éleveurs ! « Nous avons vendu nos restaurants et avons décidé de sauter le pas, en souhaitant nous installer dans une région d’élevage. Nous avons trouvé cet ancien haras de trotteurs que nous avons entièrement repensé, en gardant une dimension familiale au projet. Nous avons trois étalons : Keiai Nautique, Van Beethoven et Nerium, et une cinquantaine de poulinières. La majorité est destinée à la production de sauteurs, mais nous avons aussi quelques juments de plat appartenant à des clients. Nous essayons de nous associer au maximum, d’abord parce que nous aimons le partage. »
Le partage et l’émotion
Dimanche, c’est évidemment en famille et entre amis que les Vayre soutiendront Gold Tweet, conscients de la chance d’avoir un cheval au départ de cette course. Ce bonheur, ils veulent le vivre encore et encore : « Gold Tweet est formidable car il s’adapte à tout ce qui lui est proposé. Je souhaite à tout propriétaire d’avoir un tel cheval, de gagner à Auteuil, en Angleterre… Avec lui, rien ne nous semble impossible. S’il y avait des courses d’obstacle à Dubaï, on tenterait le coup (rires). La Nakayama Grand Jump ? Mais pourquoi pas, si l’on est invité… On a vraiment envie de vivre des moments d’exception. Des émotions qui n’ont pas de prix. C’est ainsi que nous percevons les courses. »