Invincible Spirit frappe deux fois dans les Guinées
Dans le contexte moderne de notre sport, les Guinées sont devenues LE classique européen le plus important sur le plan commercial. Et dans la carrière d’un futur étalon ou d’une future poulinière, un podium sur le mile de Newmarket au mois de mai, cela change totalement la donne. Cette année le grand gagnant, du point de vue de l’élevage, n’est autre que Godolphin, c’est-à -dire l’association des puissances de la famille Maktoum. Car l’entité apparaît à la fois en tant qu’éleveur du lauréat de l’épreuve des mâles, Notable Speech (Dubawi), que de celle des femelles, Elmalka (Kingman). Pour la division étalonnage de l’entité, Darley, la victoire est d’autant plus conséquente que Dubawi (Dubai Millennium) donne ainsi son quatrième gagnant des 2.000 Guinées (Gr1) après Night of Thunder, Makfi et Coroebus. C’est donc un succès de plus de Galileo (Sadler’s Wells), l’étalon de référence de l’élevage moderne.
L’autre grand gagnant, c’est le vétéran Invincible Spirit (Green Desert) qui est à la fois le père de mère de Notable Speech et le père de père d’Elmalka. À l’âge de 27ans, celui qui fait la fierté de l’Irish National Stud continue de saillir. Au crépuscule de sa carrière, on mesure à quel point l’élève du prince Faisal a marqué son temps : 275 black types (soit 15 % de ses partants), 76 gagnants de Groupe, une bonne trentaine de fils étalons et 734 filles ayant eu au moins un produit en course. Dans ce tableau idyllique, malgré la victoire de Notable Speech, il faut cependant souligner une fausse note : Invincible Spirit est nettement moins performant en tant que père de mère. Et c’est tout de même vraiment étonnant.
Pointer du doigt le talon d’Achille d’une légende vivante comme Invincible Spirit, ce n’est pas d’une élegance folle. Alors pour nuancer le tableau, commençons par souligner le positif. Son fils Kingman a vécu un grand week-end. Outre les Guinées d’Elmalka, il faut citer la victoire de la candidate au Diane Friendly Soul dans les William Hill Pretty Polly Stakes (L). Kingman et I Am Invincible (Invincible Spirit), actuellement tête de liste en Australie, sont de sacrés ambassadeurs pour leur paternel qui a aussi deux fils au haras en France ayant produit des gagnants de Gr1 en plat : Lawman (au haras du Mazet) et Charm Spirit (au haras du Logis Saint-Germain). N’oublions pas Territorries (Dalham Hall Stud) qui, stationné à un tarif raisonnable (10.000 £), tire son épingle de jeu (10 % de black types par partant) avec l’invaincu Lazzat comme fer de lance.Â
Par Adrien Cugnasse
ac@jourdegalop.com
L’illusion de fréquenceÂ
En tant que père de mère, Invincible Spirit a pu compter ce week-end sur le gagnant des Guinées (Notable Speech), mais également sur Kitteridge (3e des Pretty Polly Stakes, L) et Some Skye (3e du Prix de la Seine, L). Notable Speech est par ailleurs le sixième gagnant de Gr1 d’Invincible Spirit en tant que père de mère.Â
Ça laisse rêveur ! Pour autant, cette série de black types est-elle représentative ? Si j’étais publicitaire, j’utiliserais le phénomène Baader-Meinhof pour vous faire croire que oui. L’illusion de fréquence biaise notre perception. Or les chiffres laissent à penser le contraire. Que disent-ils ? Dans le rôle de père, Invincible Spirit a lui-même donné 6 % de gagnants black types par naissance (c’est beaucoup). Mais en tant que père de mère, c’est seulement 1 %. Il est normal qu’un sire ait un taux de réussite plus faible dans ce second rôle. Mais un pourcentage six fois inférieur est un peu commun. Pour mieux le situer, on peut comparer ces deux chiffres avec ceux de quelques pères de mère de référence comme Pivotal (8 % et 4%), Galileo (11 % et 5 %), Montjeu (8 % et 4 %) ou son père Green Desert (8 % et 4 %). Dans ces quatre exemples, c’est donc du «fois deux». On trouve aussi des étalons dont l’influence semble encore plus forte via leurs filles, comme Kendargent (Kendor), qui compte 4 % de lauréats de stakes par naissance, à la fois comme père et comme père de mère. Dès lors, on comprend pourquoi ses filles sont de plus en plus recherchées…
Enfin, il est aussi intéressant de constater que le frère utérin d’Invincible Spirit, le très bon Kodiac (Danehill), a également un gros écart entre sa réussite en tant que père (5 %) et en tant que père de mère (1 %). Déjà trois fils de Kodiac au haras, ayant tous commencé à petit prix, ont donné un gagnant de Gr1.
Celles qui réussissent
Être journaliste hippique, c’est exercer un métier de niche. Mais écrire sur l’élevage, c’est carrément se prendre de passion pour «une niche dans la niche» ! Et dans ce microcosme, il existe un running gag que l’on peut traduire ainsi en français : «Une bonne manière d’élever des mauvais chevaux, c’est de ne tenir compte que des statistiques. L’autre, c’est de ne pas en tenir compte du tout…!»
Si les filles d’Invincible Spirit sous-performent au haras, cela ne représente qu’une donnée parmi d’autres à prendre en compte. Il n’y a jamais de «rayures» absolues en matière d’élevage, mais plutôt des arbitrages à faire en âme et conscience. Aussi vrai qu’une jeune poulinière a plus de chance de produire un bon qu’une vieille, j’ai tendance à préférer (toutes choses égales par ailleurs) le dernier produit d’une gagnante classique ayant déjà donné cinq black types que le deuxième d’une pouliche en 17 de valeur !Â
Un certain nombre d’éleveurs avisés – ou n’ayant pas les moyens de Godolphin ! – ont tendance à être assez «souples» sur le père de mère dans le cas des juments ayant fait preuve de qualité en course. Et cela correspond au profil des génitrices des trois black types du week-end d’Invincible Spirit en tant que père de mère. Le lauréat classique Notable Speech est un fils de Swift Rose (Invincible Spirit), deuxième des UAE Oaks (Gr3) sur le dirt de Meydan. La mère de Kitteridge s’est classée quatrième de Listed, après avoir gagné un maiden au mois d’avril de ses 2ans à Newmarket en débutant. Enfin celle de Some Skye, Some Spirit (Invincible Spirit), avait décroché la deuxième place des Fairy Bridge Stakes (Gr3).
Statistiquement, le croisement avec Dubawi (Dubai Millennium) est l’un des plus efficaces pour les filles d’Invincible Spirit. Cela donne 24 partants, 18 gagnants (75 %) et quatre black types… dont un gagnant des 2.000 Guinées. À travers le monde, si on regarde les étalons ayant eu 10 partants (ou plus) avec les filles d’Invincible Spirit, c’est Intello (Galileo) qui détient la palme avec 11 gagnants sur 12 partants (91 %) dont Adhamo (United Nations Stakes, Gr1, Prix La Force, Gr3) et Marwad (deuxième des Mac Diarmida Stakes, Gr2).
Où l’on reparle de Selkirk et de son fils Cityscape
Pour en revenir à Elmalka, la gagnante des 1.000 Guinées, elle représente donc la rencontre du sang de Selkirk (son père de mère) et d’Invincible Spirit (son père de père), un croisement qui a fonctionné à plusieurs reprises récemment. C’est le cas d’Avenue de France, par Cityscape (Selkirk) sur une fille d’Invincible Spirit. Élevée par Thierry de La Héronnière et Alec Waught, Avenue de France a gagné un demi-million de dollars et cinq épreuves black types (dont un Gr2) aux États-Unis.Â
Elmalka est le 13e gagnant de Gr1 Selkirk (Sharpen Up) en tant que père de mère, un rôle dans lequel le fait d’être un outcross lui a permis de tirer son épingle du jeu. Ses derniers produits étant nés en 2012, il a désormais peu de filles sur le marché. Aucun de ses fils n’a véritablement eu sa chance au haras. Mais le meilleur est certainement Cityscape (Selkirk) dont le prix de saillie a oscillé entre 4.000 £ et 5.000 £ en une décennie de monte chez Overbury Stud (tout en alternant la monte en Amérique du Sud). Dans sa toute petite production, ces quelques descendantes au haras ont donné 10 partants et déjà deux black types. C’est prometteur pour un étalon dont les filles ne sont pas particulièrement recherchées sur un ring de vente. Elles représentent certainement un pari amusant à petit prix si on n’a pas forcément l’obligation de trouver la mère du futur top price du book 1 ! Outcross complet avec les juments européennes, Cityscape a brillé dimanche avec Caernarfon (Cityscape), troisième des Dahlia Stakes (Gr2) à Newmarket et La City Blanche (Cityscape), gagnant de la The Queen Mother Memorial Cup (Gr3) à Hong Kong. Sans oublier la « FR » Chili Flag (Cityscape) qui vient de remporter les Longines Churchill Distaff Turf Mile Stakes (Gr2), son deuxième succès de Groupe.
D’où viennent-ils ?
Notable Speech et Elmalka ont tous deux été élevés par Godolphin, mais leurs origines sont bien différentes. Si on remonte un peu le papier d’Elmalka, on retrouve La Mer (Copenhagen), sa quatrième mère, qui fut meilleure 2ans et meilleure 3ans en Nouvelle-Zélande à la fin des années 1970. Elle a gagné pas moins de 24 courses ! La Mer fut importée en Europe par le célèbre capitaine Rogers d’Airlie Stud selon un principe alors très novateur : une championne, même venue de l’autre bout du monde, reste une championne. Il faut aussi dire que cette La Mer venait d’une très bonne famille développée par Tesio lui-même. Après avoir beaucoup donné en course, La Mer a eu un peu de mal à transformer l’essai au haras (un black type sur sept gagnants). Mais sa descendance a fait souche en Europe, avec en particulier le triple gagnant de Gr1 Benbatl (Dubawi) et sa sœur Elmalka.
Concernant Notable Speech, c’est un descendant de Cherokee Rose (Dancing Brave) qui a fait carrière sous l’entraînement de John Hammond, lequel entraînait en France le second choix de Godolphin, avant que les équipes du cheikh Mohammed Al Maktoum fassent le choix d’envoyer ce type de chevaux en province. Cherokee Rose avait montré de la qualité à 2ans (deuxième du Prix du Calvados, Gr3), avant quasiment 12 mois sans compétition, De retour de convalescence, la 3ans a pris quelques places de Listed et le Cantilien avait dû faire des pieds et des mains pour la conserver à l’entraînement. Persuadé qu’avec du temps, et sur plus court, la pouliche « en avait encore sous le capot », il a réussi à convaincre l’entourage du cheikh Mohammed. La récompense est arrivée lors de sa saison de 4ans avec quatre victoires de Groupe, dont le Prix Maurice de Gheest et la Sprint Cup (Grs1). John Hammond a remporté trois fois le sprint d’Haydock, dont deux fois grâce à des chevaux raccourcis avec l’âge après avoir fait carrière sur le mile (Cherokee Rose et Polar Falcon). Cherokee Rose est l’aïeule de cinq gagnants de Gr1.
Le grand week-end de Lucien Urano et Lady O’Reilly
La regrettée Lady O’Reilly a réalisé un grand week-end par l’intermédiaire de ses élèves. De là -haut, elle a certainement été ravie d’assister à la victoire de Gala Real (Wootton Bassett) qui a remporté le Prix de la Seine (L) dans le style d’une pouliche de Diane. La victoire de Look de Vega (K) (Lope de Vega) l’aurait certainement ravi car même si elle ne l’a pas élevé, il est issu d’une origine qui est depuis 50 années dans les mains de la famille Goulandris. Look de Vega a été co-élevé par Joëlle Mestrallet et Lucien Urano. Les associations entre l’homme du haras des Charmes et la grande dame de la Louvière ont permis cette grande réussite. Lucien Urano a lui aussi connu un bon week-end grâce à plusieurs placés dans de bons maidens, mais aussi Look de Vega bien sûr et Magellan (Roaring Lion), lauréat du Grand Handicap de Printemps. En tant que propriétaire, il a récemment brillé grâce à Minoushka (Starspangledbanner), deuxième du Prix de la Grotte (Gr3). Elle a été acquise par Ghislain Bozo aux ventes, comme c’est aussi souvent le cas avec les poulinières de l’élevage Urano.