L’ÉDITO
Courses creuses : les accepter et en faire un atout
Emmanuel Roussel
Éditorialiste invité
En France, on n’aime pas parler trop directement d’argent, alors on parle de partants… C’est du pareil au même puisqu’il existe une corrélation nette entre le nombre de chevaux au départ et le montant des enjeux, qui financent les allocations. On montre donc du doigt les courses creuses – et, par là même, le programme de sélection qui en génère le plus.
Cette année, avec les terrains lourds d’un hiver qui n’en finit pas, le nombre moyen de partants dans les treize courses identifiées comme possibles tremplins vers les classiques s’est élevé à 6,45. Malgré cela, il y a toujours beaucoup de concurrents dans les classiques ; on l’a encore vu dans les Poules d’Essai et ce sera pareil à Chantilly.
Cette faiblesse est-elle pour autant récurrente ? Non. Au cours des quinze dernières années, dans la filière classique, les années creuses et les années pleines se sont succédé régulièrement. 2023, par exemple, était très bonne.
Ni responsables ni coupables
À qui la faute ? Aux entraîneurs français ? Non. Statistiquement, leurs homologues britanniques courent à cette époque de l’année leurs pensionnaires ni plus ni moins fréquemment que les écuries françaises (2,8 courses par cheval en France contre 2,85 en Grande-Bretagne pour les dix entraîneurs qui fournissent le plus de partants).
Au programme ? Non plus. Le but des courses préparatoires est de permettre à tous les candidats potentiels à l’objectif de se préparer dans les meilleures conditions, en plat comme en obstacle. C’est aussi de faire en sorte qu’il n’y ait pas de course avant LA course. On ne peut donc pas résumer l’intérêt d’une filière de sélection au nombre de chevaux qui y participent. Le processus de sélection cherche au contraire à réduire le nombre jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus qu’un.
Faudrait-il supprimer certaines étapes ? Mauvaise idée car les entraîneurs choisiraient alors d’autres voies pour éviter les coups et nous risquerions la rétrogradation de nos Grs2 et Grs3. De plus, les rares partants que nous gagnerions ne changeraient pas radicalement l’intérêt des préparatoires pour les parieurs. Ce serait pure perte.
Cote fixe et paris multiples
Que faire, dès lors, pour neutraliser l’effet délétère de ce programme creux sur nos finances ?
C’est du côté de l’offre de paris qu’il faut chercher l’espoir, par exemple avec la cote fixe. Certes, elle rapporte moins que le pari mutuel, raison pour laquelle elle ne doit pas entrer en concurrence avec le mutuel sur les paris traditionnels (gagnant/placé, couplés, etc.). Elle demande aussi plus d’expertise, ce qui la rend plus coûteuse – mais de moins en moins – à mettre en ligne que le mutuel.
La cote fixe permet d’élargir considérablement l’offre, quel que soit le nombre de partants : le nombre de paris disponibles sur un match de foot vous en convaincra. Un parieur sportif mise à la fois sur le score correct, l’auteur du premier but et le résultat d’un autre match, par exemple, mais il peut ajouter un résultat de base-ball japonais et… un duel à Chantilly ! Ce qui rend intéressant une « course » qui ne réunit au départ que deux partants (les deux équipes d’un match de foot) peut aussi fonctionner sur une course de 4 à 6 chevaux.
Les paris hippiques pourraient ainsi intégrer une offre sportive, qui est exclusivement en cote fixe.
Autre avantage, la cote fixe n’a pas besoin d’une grosse masse d’enjeux pour bien fonctionner. J’ajouterais aussi qu’elle est abordable pour le néophyte parce que les propositions sont plus simples et nécessitent moins d’expertise. Et enfin qu’elle est rassurante car fixe (pas d’évolution de cote).
C’est, certes, un coup de canif dans le contrat mutuel, mais le monde a un peu évolué, depuis 1891. Et surtout, dans ce domaine, depuis 2010. La question ne se pose pas de savoir si nous devons nous aligner sur les paris sportifs, qui recrutent aujourd’hui dans les nouvelles générations, mais de savoir quand et comment.
Et dans cette hypothèse, la bonne nouvelle est que nos courses creuses, si bien adaptées à la cote fixe, deviendraient un atout pour le galop.
Alors acceptons la réalité, et adaptons-nous !