Aux ordres avec Christophe Lemaire
C’est un beau week-end classique qui attend les amoureux du plat. Newmarket accueille les 2.000 Guinées, samedi, et les 1.000 Guinées dimanche. À Churchill Downs, la fête va commencer dès vendredi soir (pour la France), avec la réunion des Kentucky Oaks (Gr1). Et, dans la nuit de samedi à dimanche, ce sera le tour de la plus mythique des courses américaines : le Kentucky Derby (Gr1). Le « Run for the Roses », aussi surnommé « les deux minutes les plus excitantes du sport », possède une place à part dans notre univers et même dans la culture plus populaire. Week-end classique… et week-end pouvant potentiellement lancer des rêves de Triple Couronne, anglaise comme américaine.
Newmarket, le Rowley Mile, 1.600m gazon ligne droite. Churchill Downs, ses Twin Spires, 1.800m dirt, deux tournants… Deux parcours classiques bien différents, deux ambiances à part. Christophe Lemaire les connaît bien et nous met en selle pour ce week-end pas comme les autres.
Newmarket, ses ondulations, son « Dip »
Le parcours du Rowley Mile est particulier. Ondulé tout le long et avec le fameux « Dip », cette cuvette qui peut en déstabiliser plus d’un. Certains chevaux aiment… D’autres détestent. Nous ne savons pas si Newmarket peut se révéler une hantise pour quelques jockeys… Mais une chose est certaine, Christophe Lemaire adore, lui qui a remporté les 1.000 Guinées avec Natagora et les 2.000 Guinées avec Makfi. Nous lui avons donc demandé le secret pour ces Classiques : « Il faut monter un cheval avec ses aptitudes ! Prenons Natagora, par exemple. Elle avait beaucoup de vitesse et avait d’ailleurs remporté les Cheveley Park Stakes (Gr1). Elle allait tout le temps devant et, avec elle, je n’ai pas changé de tactique. Nous sommes partis vite, venus le long du rail extérieur en progression. La piste de Newmarket est assez bosselée, en ce sens assez irrégulière. Le Rowley Mile demande donc beaucoup d’équilibre. Il faut un cheval qui ne change pas constamment de jambes et ne perd donc pas de temps. Or certains chevaux peuvent se désunir, surtout s’ils se retrouvent débordés dans une course rythmée, et ils peuvent perdre de l’énergie. La partie vraiment stratégique se trouve à 500m du poteau : c’est le moment où il faut prendre de l’élan car, ensuite, on entame la descente puis cela remonte dans les 200 derniers mètres. Il faut songer à un toboggan. C’est le conseil que m’avait donné Sir Henry Cecil : si on lâche une balle du haut d’un toboggan, elle va ensuite remonter dans son élan, mais si on la lâche en bas du toboggan, ce ne sera pas le cas. Il faut donc laisser les chevaux s’allonger à ce moment-là et prendre l’élan pour passer la montée. Dans les 200 derniers mètres, il faut résister, être dur et tenir. Une Natagora avait certes beaucoup de vitesse, mais elle était facile, maniable, elle avait pu aller devant et mener dans son rythme et, comme elle était bonne, elle est allée au bout. »
Peloton(s), attendre ou avancer ?
Difficile de prévoir une stratégie de course à l’avance. Sur la ligne droite de Newmarket, on sait qu’il n’est pas impossible de se retrouver avec un peloton qui se sépare. « Le parcours peut être piégeux, surtout si on se retrouve avec deux pelotons. Et si on ne se trouve pas dans le bon, cela est préjudiciable. Il faut aussi faire attention, si on est plutôt attentiste le long du rail, à ne pas se faire bloquer car les chevaux de l’extérieur ou en pleine piste peuvent se rabattre. La route peut être très longue en pleine piste sans appui… sauf pour Frankel (rires) ! Je pense qu’il vaut mieux rapidement être en bonne position. J’ai rarement vu des chevaux revenir des derniers rangs pour s’imposer dans les Guinées. Cela n’est pas impossible pour autant mais il faut savoir sauter dans les « bonnes roues » et ensuite se faire ramener. Olivier Peslier, avec Cockney Rebel, y était parvenu. »
Entre Epsom et Royal Ascot
Et l’ambiance, à Newmarket ? Nous ne sommes pas dans le faste très chic – guindé, diront certains – de Royal Ascot, ni à Epsom, où les personnes endimanchées se massent autour du rond tandis que, au centre de la piste, la fête foraine bat son plein. « C’est une ambiance champêtre, avec des food-trucks un peu partout. L’ambiance est détendue mais, malgré tout, c’est un endroit mythique des courses hippiques et un week-end classique. Pour un jockey français, les occasions de monter à Newmarket sont rares, il y a tellement de chevaux de légende qui sont passés par les Guinées, c’est un grand moment dans un lieu à part. L’ambiance est festive, entre celle d’Ascot et celle d’Epsom. » Alors, Christophe, un avis sur les chances de Ramatuelle (K) (Justify) ? « Je ne l’ai pas montée donc je ne la connais pas ! Mais, de ce que j’ai vu, elle est maniable et a de la vitesse en partant. Et, comme Natagora, elle a acquis de l’expérience à 2ans et cela va beaucoup lui servir pour les Guinées. Je crois que c’est très important. »
Les mathématiques du Kentucky Derby
Christophe Lemaire a monté deux fois le Kentucky Derby, avec des poulains japonais qui y découvraient le dirt à l’américaine. Oubliez les immenses étendues de Newmarket et sa large piste ! Churchill Downs est un chaudron, avec un « tourniquet » à l’américaine, un dirt qui projette pas mal… Et un peloton fourni, avec les purs « débouleurs » à l’américaine : le début de course est la portion la plus rapide du parcours, dans le pur style américain. « Vingt dans les stalles, une piste qui n’est pas si large que cela… Le départ est très important. Si vous vous retrouvez bloqués à l’extérieur en quinzième position, cela va devenir très compliqué. C’est une question de tempo et de rythme. Avant de monter pour la première fois la course, j’avais regardé tous les Kentucky Derby depuis 1980. Selon moi, c’est très mathématique. Si on passe la première portion dans des fractions de 22’’ à 24’’, les chevaux les plus durs gagnent. Si vous êtes en 24’’ à 26’’, ceux qui sont allés devant ne vont pas s’arrêter et il sera compliqué de revenir. C’est une « course à la mort », sans vraiment de temps mort. Lors de mon premier Kentucky Derby avec Crown Pride qui, selon moi, était un peu juste en tenue, je m’étais retrouvé devant avec Mickaël Barzalona [qui montait Summer of Tomorrow, un poulain confirmé de 1.200 à 1.400m, ndlr] et nous avions fait exploser les chronos. Cela avait été compliqué pour finir. La deuxième fois, avec Derma Sotogake, j’avais eu une très bonne course au milieu du peloton, le gagnant était dans mon sillage. Le poulain avait manqué du coup de reins pour finir. Le dirt américain est différent de celui que les chevaux japonais trouvent à domicile. Il y a beaucoup de kick back et il faut savoir gérer cela. Si ce n’est pas le cas, mieux vaut certainement attendre et venir finir. »
Le chaudron de Churchill Downs
Le Kentucky Derby est bien plus qu’une course. C’est déjà une semaine où, le matin, entourages, journalistes et passionnés viennent assister aux entraînements des chevaux. Et les soirées sont occupées avec différents événements, notamment caritatifs. C’est un événement social, très important dans la région, un rendez-vous « people » et une course qui a ses symboles : les roses, bien entendu, qui viennent garnir l’encolure du gagnant, ou encore le fameux Mint Julep, lequel n’est pas consommé avec modération ! Christophe Lemaire nous explique : « Le Kentucky Derby est une ambiance ! La course américaine dans toute sa splendeur. J’ai participé à de grandes courses mais, là -bas, j’étais à la fois jockey et spectateur, surtout la première fois. L’ambiance est telle que l’on sort de son corps. Les tribunes sont hautes et proches de la piste donc, lorsque l’on effectue la parade, on a cette impression d’être enveloppé. Il y a un mur de spectateurs. C’est la dernière course de la journée, le public a commencé à « s’échauffer » à 11 h, donc je vous laisse imaginer (rires) ! Cela crie très fort et le cheval doit rester bien détendu, bien dans sa tête. Il faut savoir gérer cela. » Test physique… et test mental !
De retour en piste dimanche
Nous avions laissé Christophe Lemaire sur une chute impressionnante le 30 mars, dans la Dubai Turf (Gr1). Le jockey avait eu la clavicule et une côte cassée. Il fera son retour en selle dimanche, à Tokyo, dans une réunion qui accueille la NHK Mile Cup, épreuve (non classique) réservée aux 3ans sur 1.600m – les 2.000 Guinées japonaises étant sur 2.000m – et avec une belle chance : Ascoli Piceno (Daiwa Major), gagnante l’an passé du Boussac japonais (Gr1) et deuxième pour sa rentrée des 1.000 Guinées japonaises (Gr1). « Je me remets en selle deux semaines et demie après mon opération, avec trois montes. Ça va ! J’ai remonté à l’entraînement mercredi matin, je me sens bien. »