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jeudi 26 décembre 2024

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Des mots sur les maux

Des mots sur les maux

Comment perdre toujours plus et toujours plus souvent ? Les jockeys se confient. Et l’on se rend mieux compte des montagnes qu’ils doivent parfois soulever pour pratiquer leur métier : « Une fois, j’ai dû perdre 8 kg en trois jours. Et le plus que j’ai perdu le matin d’une course, c’était 4,5 kg grâce à un bain chaud… » La préoccupation est permanente, stressante, angoissante : « La balance est notre ennemi. Je me pèse en me levant, après être allé travailler des chevaux, lorsque je fais mes séances de bain pour suivre ma perte de poids, le soir en rentrant des courses et avant d’aller me coucher. » Et c’est là que le mental joue un rôle assez décisif, même s’il ne peut pas tout : « Le plus dur c’est le mental. On pense que c’est le poids le plus compliqué mais finalement c’est le mental. Lorsque tout va bien, que nous gagnons des courses, tout est plus facile. Nous sommes motivés à suivre des régimes et manger correctement mais lorsque nous traversons une mauvaise passe, c’est un peu plus compliqué car il ne faut pas craquer. »

Il existe les « recettes » célèbres : « Se faire vomir est la facilité mais il faut savoir le faire. Généralement, ça se passe 15 minutes après le repas afin que la digestion ait déjà commencé. » Et les petits trucs plus inattendus : « Mettre de l’alcool à 90 degrés sur notre corps avant d’entrer dans le bain… »

Il y a aussi ceux qui composent avec la réalité : « L’augmentation des poids est un débat compliqué. Malheureusement, il faut faire avec son corps. Je trouve que les poids sont bien comme ils sont, avec la tare de 2 kg. Ma taille et mon poids sont un désavantage mais il faut faire avec. »

Et ceux qui prennent les devants pour éviter de tutoyer les extrêmes : « Grâce à mon coach et à ma nutritionniste, je pense avoir trouvé une stabilité. »

Le médecin : « 2 % de poids perdu par déshydratation représente 20 % de temps de réaction en moins. »

Durant la période de la Covid, les saunas présents sur les hippodromes ont été fermés. Et sous l’égide de François Duforez, ils n’ont jamais été réouverts. Le médecin-conseil de l’Association des jockeys depuis 2015 nous parle des bonnes pratiques – déjà en place et à mettre en place. Y compris des éléments inattendus, comme des collations prises au vestiaire.

Jour de Galop. – Pourquoi aviez-vous fait le choix de ne pas rouvrir les saunas après la Covid ?

François Duforez. – Il y a plusieurs raisons. La première était une opportunité. À cette période, c’était la chasse à la bactérie. Dans un sauna, il fait chaud et humide, ce qui est problématique. Le deuxième point concerne les risques d’utiliser ce type de pratique pour parvenir à faire le poids. Une étude réalisée et parue aux États-Unis met en avant les effets dangereux des pratiques de « sèches ». Une conclusion : le sauna est délétère à long terme sur certains organes. À court terme, une déshydratation intense avant une course entraîne la perte de temps de réaction : 2 % du poids du corps perdu par déshydratation représente 20 % de temps de réaction en moins. Dans ce métier, la partie physique est importante mais la lucidité l’est tout autant.

Quelles alternatives ont-elles été mises en place ?

Sur certains hippodromes, les saunas ont été remplacés par des vélos et des tapis de course. Hommes et femmes peuvent s’échauffer, perdre du poids tout en gardant leur lucidité. Au niveau du suivi des jockeys, nous avons sollicité les médecins de France Galop pour calculer les masses grasses des jockeys lors des visites annuelles, afin de savoir quelle était la marge de perte de poids de chacun. S’ils le souhaitent, les jockeys peuvent également réaliser des visites plus approfondies avec des professionnels qui travaillent notamment avec les sportifs de l’Insep.

Que pensez-vous de l’accompagnement d’un nutritionniste ?

Je pense que c’est l’avenir. La France commence seulement à se professionnaliser du côté des nutritionnistes. Elle a un peu de retard sur ses voisins anglais et irlandais notamment. Par exemple, des collations dans les vestiaires ont été mises en place dans leur pays bien avant que nous le fassions. Il faut être pragmatique, les jockeys montent six, sept courses, reprennent ensuite la voiture pour se rendre sur un autre hippodrome. Avec cela, nous voulons éviter un accident de course mais également un accident de la route. La nutrition du sport évolue. Il y a une bonne dizaine d’années, tout tournait autour des calories. Désormais, il s’agit de travailler sur l’équilibre alimentaire et la personnalisation. Le jockey qui souhaite se faire entourer d’un coach mental et d’un nutritionniste a tout compris. C’est le comportement alimentaire et la motivation qui sont importants. Les nutritionnistes performants sont ceux qui accompagnent les individus par visioconférence ou par téléphone. Ceux de l’Insep opèrent un suivi quotidien. Tout seul, il est très compliqué de se motiver.

Est-ce qu’il y aurait une possibilité d’introduire des nutritionnistes chez France Galop ?

C’est une évolution logique. Nous essayons, avec France Galop, d’établir un maillage de coachs mentaux et de nutritionnistes. Des jockeys s’entourent déjà de ces professionnels, parfois après un accident ou seulement en prévention. Ce sont des sports de privation, dans les moments les plus compliqués, les jockeys peuvent se lâcher, ce qui n’est pas bon pour la santé. Mais nous remarquons une vraie évolution, le poids et le mental ne sont plus des sujets tabous. Auparavant, les jockeys ne parlaient pas de leurs problèmes, mais maintenant, ils souhaitent se faire entourer. Nous faisons tout, avec l’Association des jockeys et France Galop, pour aller dans ce sens. Nous avons une Assemblée générale le 26 avril à Chantilly, où nous allons proposer aux jockeys d’organiser une visioconférence avec le témoignage d’un des leurs, ainsi que la présence d’un préparateur mental. Les pilotes pourront poser leurs questions et nous faire part de leurs besoins.

Qu’en est-il de l’augmentation des poids ?

C’est la grande question ! Et c’est une question internationale. Les poids sont internationalement différents mais pour que les poids augmentent, il faut que tout le monde soit en accord. Un médecin de Liverpool a dit, lors d’un congrès à Dubaï, qu’il y a 90 ans, les tailles et les poids n’étaient pas les mêmes qu’en 2024 et que nous ne pouvions pas garder les mêmes normes. L’avis médical est important mais le poids des traditions semble l’être également. Nous avançons mais il faut surtout le faire main dans la main…

Fermeture des saunas, nutritionnistes… : l’avis des jockeys

• « Cela nous arrange car nous avons une livre (500 g) de plus sur la balance, ce qui n’est pas négligeable. C’est aussi une question de sécurité. Nous allions au sauna entre chaque course et nous étions un peu moins lucides. Désormais, nous avons le temps de faire la route pour nous « remettre dans le bain ». Je trouve l’idée bonne. »

• « Je ne suis pas fan du sauna. Je trouve que les enlever a été une bonne idée. De nombreux jockeys se faisaient vraiment mal et pouvaient perdre en lucidité, entraînant quand même quelques dangers. Finalement, nous n’utilisions pas les saunas à des fins récréatives… »

• « Malheureusement, nous n’avons pas le physique pour être jockey, on l’a fait par choix et nous savions à quoi nous attendre. Je suis allé voir plusieurs nutritionnistes. L’un d’eux a été très bon. Mais la plupart ne comprennent pas notre souci. Ils vont nous proposer un plan avec trois repas par jour mais cela n’est pas possible pour nous. »

• « Je suis déjà allé voir un nutritionniste mais notre cas est vraiment particulier. Il est compliqué de mettre en place un programme avec le rythme de notre métier. Nos poids sont très différents en fonction des jours et fixer un programme précis est pour moi impossible. Maintenant, je connais mon corps, je sais ce qui me fait prendre du poids. Pour moi, les pâtes ne me font pas en prendre et une omelette va me rendre plus léger… Si nous choisissons de travailler avec un nutritionniste, il faut que ce soit quelqu’un qui soit constamment à notre contact… »

• « Lorsque j’étais plus jeune, je pratiquais des méthodes violentes pour le corps afin de perdre du poids mais c’était devenu dangereux pour moi. Dès lors, je n’arrivais pas à effectuer des années complètes car je demandais tellement à mon corps pendant six mois… J’ai grandi et compris que si je souhaitais durer dans le temps, il fallait vraiment que je trouve une solution. Grâce à mon coach et à ma nutritionniste, je pense avoir trouvé une stabilité. Il m’a fallu du temps pour comprendre mon corps et ce que je pouvais faire avec. Mais si j’avais pu avoir un coach et une nutritionniste dès le début, je n’aurais pas eu la même carrière. Ma nutritionniste est elle-même sportive et comprend très bien mes problèmes de poids. Elle a réalisé toute une batterie de tests afin d’estimer le plus petit poids auquel je pouvais monter, tout en restant en bonne santé. Je travaille avec elle depuis un an et mon poids a pu se stabiliser avec une perte de 3 kg. Tout a été progressif car je n’étais pas habitué à manger ce qu’elle me proposait. J’ai rapidement fondu. En même temps, j’avais déjà mon coach et je pense que tout s’est bien passé pour moi grâce à eux. Je suis obligé de faire du sport pour perdre du poids. Lorsque je dois monter à mon poids minimal, mon coach me prévoit des entraînements en rapport. Il faut de l’organisation. Les derniers kilos se perdent grâce au bain chaud et au sauna. Au niveau de mon programme alimentaire, ma diététicienne me laisse de la liberté lors des trois derniers jours avant la course. »

Et à l’Afasec…

Si l’Afasec ne forme plus seulement des pilotes, mais le personnel des courses au sens large du terme, elle reste le premier vivier de nos futures stars des pelotons. Lucie Chaume dirige l’établissement de Gouvieux : « Le sujet du poids est abordé à l’école avec des diététiciens. Dans le cadre de la formation « initiale », les élèves peuvent aborder ses sujets en cours de biologie humaine. Dans le cadre de la masterclass [amenée à former les futurs jockeys, ndlr], il y a eu deux prises de vue sur le sujet, avec l’intervention d’un diététicien. Honnêtement, nous n’avons pas d’élèves connaissant de réels problèmes de poids. S’ils sont grands, ils se dirigent rapidement vers l’obstacle. Le poids est un critère de sélection pour cette masterclass car nous n’allons pas faire miroiter à un jeune qu’il va réussir à devenir jockey en se faisant « sécher ». L’objectif est que l’élève présélectionné ou celui qui a postulé soit morphologiquement apte à devenir jockey, et tout cela en restant en bonne santé. Mais cela n’est encore pas arrivé. Dans le cadre de la masterclass, la notion du poids est intégrée car c’est la réalité du métier, ce n’est pas un tabou. Là-dessus, les élèves sont clairvoyants. Pour les élèves susceptibles d’être jockeys, nous inculquons la notion du poids, mais cela doit quand même partir d’un suivi réalisé par les parents, de façon plus large. »

Mise en place d’un poids individuel minimum de monte

En 2017, le code des courses a été modifié afin que soit désormais attaché à chaque jockey un poids individuel minimum de monte. Depuis le 1er mars 2017, un jockey ne peut pas être déclaré au départ d’une course à un poids inférieur à celui communiqué au médecin lors de la visite médicale annuelle.

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