Comment donner le – mauvais – exemple
La reconversion est un sujet central et l’un des premiers angles d’attaque des « anticourses ». Nous l’avons vécu en France il n’y a pas si longtemps que cela et d’autres pays ont eu droit à leurs reportages polémiques sur le sujet, du Royaume-Uni à l’Australie. En revanche, nous n’avions pas vu arriver le sujet de la reconversion comme argument d’une personnalité des courses contre l’ensemble d’un pays hippique.
Par Anne-Louise Echevin
ale@jourdegalop.com
C’est pourtant ce qu’il s’est passé il y a peu, au début du mois d’avril, avec le propriétaire américain John Stewart (Resolute Racing). Il a dépensé des fortunes aux ventes l’an passé et veut devenir un acteur essentiel des courses américaines, peut-être même être un exemple pour les courses de son pays. Il a aussi été underbidder sur la yearling de Winx – expliquant vouloir faire en sorte que les investisseurs japonais ne l’achètent pas et qu’elle puisse rester en Australie en course comme à l’élevage. Il a donc un problème avec le Japon hippique. À tort ou à raison, ses raisons sont les siennes et nous importent peu ici. La méthode, en revanche, pose un vrai problème à partir du moment où il s’est fendu d’un tweet non seulement assassin, mais aussi dangereux, que nous vous mettons en copie ici.
Nous vous le traduisons : « Le Japon (Japan Racing Association) ne devrait pas être autorisé à participer au Kentucky Derby tant que le Japon n’ouvrira pas ses courses aux propriétaires étrangers. Le processus pour obtenir une licence de propriétaire est restrictif et le processus est excessivement lourd, ce qui fait que quasiment aucun compétiteur international ne peut accéder aux allocations de courses japonaises sponsorisées par l’État japonais. Souvenez-vous que le Japon est connu pour ne pas respecter les chevaux américains. De fait, les Japonais ont tué [at ate, possiblement « and ate » si l’on considère qu’il s’agit d’une faute de frappe, donc ont mangé, ndlr] un gagnant du Kentucky Derby 1986 Ferdinand à la fin de sa carrière au haras. Les chevaux sont considérés comme un mets fin au Japon. » Il conclut avec un lien d’un article de Bloodhorse sur le sort du pauvre Ferdinand.
Une méthode… discutable
Passons sur la première partie du tweet. John Stewart n’a pas caché son envie de donner une nouvelle impulsion aux courses de son pays – c’est tout à son honneur – ainsi qu’à l’élevage américain – encore tout à son honneur – et il est très présent sur les réseaux sociaux pour partager cette aventure en impliquant le grand public – encore une fois, à son honneur. Mais il veut bannir une nation hippique du Kentucky Derby en utilisant l’après-course et l’abattage des chevaux en argument. Précisons que son compte X/Twitter a peu de suivi, tout comme celui de Resolute Racing, ce qui est normal puisque ce sont de jeunes profils, créés en février 2024… Et heureusement, car l’effet de telles remarques est un désastre potentiel !
– Le cas Ferdinand. Il est vrai… Et remonte à plus de vingt ans. L’affaire Ferdinand a été un véritable électrochoc aux États-Unis (la mise en place du Ferdinand Fee en soutien à la reconversion, par exemple), au Japon… et partout dans le monde hippique. La situation a beaucoup évolué. Il y a désormais des accords pour les étalons américains basés au Japon qui, en fin de carrière, retournent ensuite dans leur pays d’origine (c’est le cas de Silver Charm ou I’ll Have Another, pour citer deux exemples). Le Japon a pris conscience de la nécessité d’agir de façon plus organisée – au-delà d’initiatives personnelles – sur le sujet, dans un pays où replacer les anciens chevaux de course est un défi ne serait-ce que géographique. En 2022, l’ancien président de la Japan Racing Association Masayuki Goto a souligné lors de la Conférence internationale des autorités hippiques que « gérer les problématiques liées à la retraite des chevaux de course » faisait partie des trois concepts principaux de l’axe J.R.A. 2030 – celui pour « continuer d’apparaître comme une organisation de confiance et fiable auprès de la société et du gouvernement. » Il existe désormais un Old Friends Japan et, depuis 2017, un comité au sein de la J.R.A. sur la question des chevaux retraités, devenu le Thoroughbred Aftercare and Welfare, en association avec l’État. Au-delà des pistes a par ailleurs aussi beaucoup échangé avec le Japon sur le sujet de la reconversion, pour échanger les bonnes pratiques et, sous l’impulsion de Godolphin Japan, le cavalier de concours complet Boyd Martin se rend régulièrement au Japon pour éduquer autour de la reconversion des pur-sang… Est-ce parfait ? Est-ce assez ? Probablement pas, mais il y a du mieux et tout un travail en cours, royalement ignoré dans un tweet qui ramène le pays vingt ans en arrière.
– Le Japon est connu pour ne pas respecter les chevaux américains. Le concept nous échappe, la possibilité d’affirmer une telle chose aussi.
– Les Japonais ont tué un gagnant de Kentucky Derby. On passera sur l’aspect potentiellement xénophobe du tweet. Les Japonais : lesquels ? Faut-il incriminer toute une nation – ce qui est déjà fait dans la phrase précédente ?
– Les chevaux sont considérés comme un mets fin au Japon. Un récent reportage en France, sur des éleveurs de chevaux de trait exportant leurs animaux qui « finissent en sashimi », a créé la polémique. Le Japon est un pays hippophage… comme historiquement la France et nombre de pays où cela n’est aucunement illégal. Peut-être faut-il donc nous bannir du Kentucky Derby ou de la Breeders’ Cup ?
La démonstration de John Stewart est donc bancale… Difficile de parler de fake news, mais le fil de la contre-vérité n’est pas bien épais.
Le désastreux retour de bâton
La plupart des personnes ayant répondu au tweet de John Stewart n’étaient pas en accord avec lui. Il a donc eu droit à un véritable retour de bâton… sur les réseaux sociaux, donc potentiellement avec une forte visibilité. Et, logiquement, certains ont par exemple rappelé au propriétaire l’existence aux États-Unis des « kill pen« , ces lieux de stationnement et de vente à prix dérisoires d’équidés – dont des chevaux de course –, parfois dans des états terribles, qui finissent embarqués dans des camions pour atterrir dans les abattoirs du Mexique ou du Canada, et le fait que, de façon générale, les États-Unis hippiques ne pouvaient pas se permettre de donner des leçons à qui que ce soit dans sa manière de traiter les chevaux de course. Alors, qui est gagnant dans toute cette histoire ?
– Certainement pas le Japon.
– Certainement pas John Stewart ni les courses américaines mises, publiquement, face à leurs propres responsabilités.
– Et certainement pas les courses hippiques dans leur ensemble, puisque beaucoup des « antis » ne feront pas la différence si cela arrive aux États-Unis, au Japon, en Australie ou en France, tout comme beaucoup ne font d’ailleurs pas de différence entre hippique et équestre. Tenter de « se défendre » – de quoi au juste ? – en attaquant les autres, cela ne marche pas. C’est même très souvent contre-productif.
Sur le sujet de l’abattage des chevaux de course au Japon, il n’y a pas pourtant à aller bien loin si l’on est américain. La Peta s’est évidemment penchée sur le sujet et a publié des images ainsi que son « analyse ». Nous vous la livrons ici : « Jusqu’à 20.000 chevaux ont été tués au Japon en 2008, partiellement à cause de la surproduction de pur-sang aux États-Unis, où les chevaux de course sont considérés comme des produits jetables. » Cette façon d’affirmer les choses ne vous rappelle-t-elle pas l’argumentaire de John Stewart ?
Nous ne vous remercions donc pas, monsieur Stewart. Mais les « anticourses », eux, le peuvent. Quelles que soient les conséquences de votre tweet, vous venez de nous livrer le parfait exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire.