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vendredi 27 décembre 2024

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Les « FR » font exister la France hippique

Les « FR » font exister la France hippique

En terme de parts de marché médiatique, la montée en puissance de l’obstacle (au détriment du plat) est l’une des deux grandes mutations des dernières décennies chez nos voisins anglo-irlandais. La seconde, c’est que les médias hippiques en langue anglaise – à quelques exceptions près, comme le TDN – réduisent fortement la couverture internationale, en plat comme en obstacle. C’est d’ailleurs assez notable dans un quotidien comme le Racing Post où il devient de plus en plus difficile de publier un sujet s’il ne concerne pas directement les acteurs de la filière anglo-irlandaise. Ainsi, outre-Manche, en dehors des courtiers et de quelques professionnels très introduits, très peu de gens suivent l’obstacle français. Cela peut paraître surprenant quand on connaît la réussite impressionnante des « FR » sur les obstacles anglo-irlandais. Mais c’est malheureusement ainsi. Et c’est donc vraiment par le prisme de la réussite de son élevage que la filière de l’obstacle français parvient à se faire une petite place au sein des discussions hippiques dans la langue de Shakespeare.

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Une situation ubuesque

Si l’on sort du cercle des acteurs les plus pointus, on a même parfois l’impression qu’en matière d’obstacle, la France n’est pas prise en compte. Et parfois, on en arrive à des situations ubuesques. Eddie O’Leary, personnage influent au sein du microcosme de l’obstacle anglo-irlandais, s’est retrouvé être sous-enchérisseur sur le futur champion Envoi Allen (Muhtathir) en février 2018, chez Tattersalls Ireland, après une victoire de point-to-point. Quelque temps plus tard, en évoquant la scène, il confiait au Racing Post : « Envoi Allen était par Muhtathir. Et Muhtathir n’avait jusqu’alors jamais donné un vrai bon sauteur. J’ai arrêté d’enchérir et Cheveley Park Stud l’a eu pour 400.000 £. » Qu’en était-il vraiment ? En février 2018, l’étalon avait pourtant déjà produit Salder Roque (Prix Alain du Breil, Gr1) et trois autres gagnants de Groupe à Paris. Mais dans les yeux d’Eddie O’Leary, malgré le taux de réussite hallucinant des « FR », seule la compétition entre Angleterre et Irlande est significative. D’où l’impression d’avoir « découvert » Muhtathir (Elmaamul), alors que nous, Français, le considérions déjà comme un étalon confirmé. Ce qui est d’autant plus fou, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. En janvier 2023, It’s for Me a gagné avec la manière à Navan, devenant le deuxième Jeu St Éloi (Saint des Saints) à remporter un bon bumper en peu de temps outre-Manche. Le betting de Cheltenham s’est alors enflammé et soudainement, l’Irlande et l’Angleterre ont semblé découvrir leur père… que nous connaissions tous ici, en France. Au point qu’on pouvait lire dans la presse étrangère : « Jeu St Éloi est plus ou moins un étalon inconnu en Grande-Bretagne et en Irlande. Ce qui prouve encore une fois la capacité de la France à produire des chevaux de haut niveau issus d’origines relativement obscures. » En lisant ces lignes, un certain nombre d’éleveurs français ont dû tomber de leur chaise ! À cette date, Jeu St Éloi avait en effet quatre générations en piste, 250 produits en âge de courir, 45 victoires en obstacle et trois lauréats black types à Auteuil… Gagner une « bonne » sur les obstacles parisiens, c’est tout de même une autre paire de manches que s’imposer, même avec facilité, dans un bumper ! Jacques Détré se souvient de cette période : « Avant ces deux victoires successives de bumper, j’avais eu quelques touches pour vendre l’étalon, mais très peu. Et je n’avais pas donné suite. Quelques courtiers commençaient à acheter des foals de Jeu St Éloi dans les élevages français, mais pour des sommes relativement modestes. Tout s’est accéléré après les deux victoires de bumper que vous évoquez. J’ai ensuite reçu une offre très conséquente, au moment où je me présentais à la présidence de France Galop, avec l’éventualité de devoir mettre de côté mon activité professionnelle. » Moins d’un an plus tard, Jeu St Éloi était vendu en Irlande et il sera liste pleine en 2024. Tous les Irlandais qui lui envoient des juments croisent les doigts pour que Kargese (Jeu St Éloi) remporte le JCB Triumph Hurdle (Gr1)…

Quatre journées cruciales pour les étalons français

Les valeurs sûres du parc français (Doctor Dino, No Risk at All, Saint des Saints, Cokoriko…) sont évidemment bien représentées dans le programme du meeting. Mais pour les jeunes étalons, où ceux qui ont jusqu’alors bénéficié d’une exposition plus faible, une victoire cette semaine à Cheltenham peut complètement changer la donne. Surtout si la victoire en question est obtenue dans un Gr1. Tout s’accélère alors, les produits qui sont dans les herbages français prennent soudainement de la valeur. Et la probabilité est réelle que l’étalon fasse l’objet d’une grosse proposition de la part d’un haras irlandais… ou d’une plus élevée que la précédente s’il y a déjà eu offre ! ChÅ“ur du Nord (Voix du Nord) et Martinborough (Deep Impact) font partie des meilleurs étalons d’Europe selon le taux de gagnants par partant. Les deux ont déjà sorti de bons chevaux en France, capables de briller à Auteuil. Mais l’irrationalité du marché fait qu’un bon gagnant lors du meeting de Cheltenham compte 100 fois plus que cette réussite statistique à Paris. L’un et l’autre ont de sérieux atouts dans le betting, et si Majborough (Martinborough) ou Jeriko du Reponet (ChÅ“ur du Nord) triomphent sur les obstacles de Prestbury Park… alors leur père va bénéficier d’un coup de projecteur considérable. De la même manière, les destins d‘It’s Gino (Perugino), de Bathyrhon (Monsun), Doha Dream (Shamardal), Joshua Tree (Montjeu) et autres Clovis du Berlais (King’s Theatre) – liste non exhaustive – pourraient être radicalement changés si les Dieux de Cheltenham sont de leur côté.

L’effet papillon… et le retour de flamme

En 1972, le météorologue Edward Lorenz prononçait la phrase qui l’a rendu célèbre et que nous connaissons tous : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. » Une tête d’avance – ou de retard – à l’arrivée d’un Gr1 à Cheltenham peut avoir des conséquences considérables dans les campagnes françaises. Pour les étalons bien sûr, comme nous venons de l’évoquer. Mais également pour les éleveurs qui ont les mères, les sÅ“urs ou la souche d’un gagnant de ces épreuves tant convoitées. Il y a aussi un retour de flamme à cet effet papillon, comme l’a bien décrit notre confrère Martin Stevens dans l’édition du 28 février de son Good Morning Bloodstock. En détaillant la réussite de Masked Marvel (Montjeu), le journaliste décrypte : « Il lui a peut-être fallu être basé en France pour connaître la réussite en tant qu’étalon. J’ai bien peur que de plus en plus de chevaux qui rentrent au haras en Grande-Bretagne et en Irlande aient bien du mal à se faire un nom. Car leurs premiers descendants en piste doivent en permanence faire face à des « FR » plus aguerris qu’eux – y compris, désormais, ceux par Masked Marvel. » Quand un « FR » issu d’un étalon français brille, c’est donc un « GB » ou un « IE », qui n’est pas « valorisé », tout comme son père et l’ensemble de ses collatéraux. Ainsi, une spirale quasi-infernale s’est mise en place. Dans les ventes irlandaises, à effectif constant, la proportion de « FR » est passée de 10 à 22 % en l’espace d’une décennie. Et lors du meeting de Cheltenham, comme l’a souligné notre ami James Thomas, on est passé de 68 « FR » (19 % des concurrents) au départ en 2004 à 167 en 2019 (33 % des concurrents). Plus de partants, donc plus de victoires… et plus de visibilité, donc une plus grande attractivité commerciale. En 2024, on trouve 17 « FR » favoris dans le betting des 28 épreuves du festival de Cheltenham. Toute la presse anglo-irlandaise prévoit une « French invasion », comme ce fut le cas lors du meeting de Punchestown. Gardons notre calme, car en obstacle plus qu’ailleurs, on doit affronter la glorieuse incertitude du turf. Il ne faut donc pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, car les « FR » restent minoritaires, les « IE » et les « GB » représentant toujours entre 60 % et 75 % des champs de partants finaux. Et on le sait, parfois, une tête ou une encolure transforme une victoire en défaite… et réciproquement.

Avec Cheltenham, l’obstacle écrase le plat

En France, c’est le trot qui est le sport hippique le plus populaire, devant le plat. L’obstacle, en termes d’enjeux et de couverture médiatique, arrive en troisième position. De l’autre côté de la Manche, c’est l’inverse. Pas de trot à l’horizon, et l’obstacle règne (désormais) en maître devant le plat, mais cela n’a pas toujours été le cas. Si vous étiez allés à Cheltenham pour le meeting dans les années 80, vous auriez certainement rencontré un public issu de la bonne société et moins nombreux qu’aujourd’hui. Jusqu’au tournant des années 80 et 90, le plat faisait encore jeu égal avec les sauteurs en matière de popularité. Mais ensuite, tout a changé. En 2009, un sondage hippique avait été mené dans le cÅ“ur de Londres. Quasiment personne n’avait entendu parler de Sea the Stars (Cape Cross), récent vainqueur de l’Arc. Ils étaient par contre assez nombreux à connaître le nom de Kauto Star (Village Star), gagnant de la Gold Cup (Gr1) à Cheltenham quelques mois plus tôt. Les bookmakers et le Jockey Club (propriétaires d’Aintree et de Cheltenham) ont foncé tête baissée pour promouvoir le festival qui met en scène la rivalité anglo-irlandaise. Les « books » financent des suppléments dans la presse généraliste et des avalanches de contenus dans les médias spécialisés. Le Jockey Club, de son côté, a investi massivement dans les infrastructures pour le grand public, améliorant et agrandissant notablement les espaces destinés aux spectateurs qui payent leur entrée le moins cher. Un peu comme une prophétie autoréalisatrice, tout s’est emballé autour de l’obstacle et tout se concentre de plus en plus sur le meeting du mois de mars. Et aujourd’hui, si le Grand National reste l’épreuve la plus jouée de l’année chez les parieurs britanniques… 20 des 30 courses bénéficiant des plus gros enjeux sont à Cheltenham. En 2016, le Racing Post a fêté ses 30 ans. Et la rédaction a listé les 30 articles qui ont généré le plus d’audience. De 1986 à 2001, les deux tiers concernaient le plat. De 2002 à 2016, les deux tiers des papiers les plus lus évoquaient l’obstacle. La situation est certainement encore plus polarisée actuellement, car chaque année, l’obstacle et Cheltenham grignotent du terrain au détriment du plat.

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