MÉTHODES ET PRATIQUES VÉTÉRINAIRES
Comment gérer les déviations angulaires du foal ?
À l’invitation de la clinique équine de Méheudin, située à Écouché, dans l’Orne, les éleveurs de pur-sang de la région d’Argentan et au-delà ont pu assister à une conférence sur les déviations angulaires du foal. Animée par le Dr Antoine Lechartier et le Dr Paolo Ravanetti, elle a permis de faire le point sur ce problème orthopédique… qui peut vite se transformer en problème économique.
Par Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
Qu’est-ce qu’une déviation angulaire ?
La déviation angulaire des membres des foals, contrairement aux déviations sagittales, concerne les défauts d’aplombs qui se remarquent en regardant le poulain de face.
On parle de valgus, une déviation latérale de l’extrémité distale du membre (poulain avec les genoux qui rentrent), ou de varus, le défaut inverse (le membre va vers l’intérieur, cagneux). Les déviations angulaires sont liées à des problèmes de croissance osseuse. Schématiquement, l’os grandit par trois endroits :
– aux extrémités : c’est la croissance épiphysaire (qui a fréquemment lieu in utero) ;
– au niveau du périoste (l’enveloppe osseuse) : c’est la croissance diaphysaire, qui permet à l’os de s’élargir plutôt que de s’allonger ;
– au niveau des plaques de croissance : c’est à ce niveau que le potentiel de croissance est le plus important… mais aussi le plus limité dans le temps (on parle de fermeture définitive des plaques de croissance).
Quelles en sont les causes ?
Les causes peuvent être congénitales ou acquises. Dans le premier cas, la déviation a pu se produire pendant la gestation, en raison d’un déséquilibre alimentaire de la jument (excès de zinc et carence en cuivre, notamment), ou de maladies telles que les placentites, la leptospirose ou la piroplasmose. Dans le cas des déviations acquises, il s’agit de réponses du squelette du foal aux contraintes mécaniques, lesquelles peuvent concerner la dureté du terrain sur lequel le foal évolue, le poids du poulain, des erreurs de parage…
Un vrai sujet économique
Les déviations angulaires (comme les autres défauts de conformation) représentent un coût important pour l’éleveur. Des études ont été menées en Irlande et en Australie afin d’évaluer la fréquence de ces défauts et leurs conséquences économiques. En Irlande, sur un échantillon de 1.711 foals, 11,5 % des poulains présentaient des déviations angulaires. En Australie, sur un échantillon de 1.500 foals de haras basés dans la Hunter Valley, 32,5 % des sujets montraient des défauts orthopédiques, et 10 % des foals n’étaient pas vendables en raison de déviations angulaires. Ramené à l’échelle du pays, cela représente un coût estimé à 9,8 millions de dollars par an !
Comment expliquer une telle incidence économique ?
Les acheteurs aux ventes de yearlings sont devenus de plus en plus exigeants dans le tri des poulains, en relation avec le choix plus important qui leur est proposé : si dans les années 80, les top-étalons ne saillissaient qu’entre 50 et 60 juments par an, on constate aujourd’hui que parmi les étalons à plus de 30.000 € la saillie, aucun n’est représenté par moins de 100 yearlings. Logiquement, une offre accrue implique une sélection plus sévère.
Le marché s’étant progressivement axé sur la précocité, les acheteurs sont plus regardants quant à la conformation des yearlings. En effet, pour supporter un entraînement et des efforts précoces, l’animal doit être le plus “parfait” possible. De même, en raison du réchauffement climatique, les chevaux sont amenés à évoluer sur des pistes de moins en moins souples. Pour résister aux contraintes mécaniques d’un sol ferme, le cheval doit, là encore, bénéficier d’une conformation correcte sous peine de risques de blessure.
Quel examen pour caractériser la déviation angulaire ?
Selon l’angle de déformation de la jambe, le traitement diffère. C’est pour cette raison que le vétérinaire doit d’abord déterminer l’angle de déviation. L’examen clinique en station et en mouvement reste la meilleure manière de juger du besoin de correction. Il sera complété par un examen radiographique en cas de suspicion d’atteinte particulière telle que le défaut d’ossification par immaturité ou une épiphysite. Il permet également de mesurer un angle de déviation.
Schématiquement une déviation à la naissance inférieure à 10 °, ou à 5° avant les six semaines de vie du poulain, sera traitée par des traitements conservateurs (90 % des déviations angulaires sont gérées en maréchalerie mais parfois, il faut envisager d’autres solutions).
Les traitements chirurgicaux
Pour des déviations au niveau du boulet supérieures à 5 °, ou du carpe supérieures à 10 °, un traitement chirurgical doit être mis en place s’il persiste avant la fin de la période de croissance rapide dont la durée diffère selon l’articulation concernée.
Les techniques chirurgicales sont schématiquement les suivantes :
– La technique la plus ancienne vise à accélérer la croissance du côté concave de la déviation : c’est l’élévation periostée ou striping. Elle peut être remplacée par une stimulation à l’aiguille de la plaque de croissance.
– La technique la plus utilisée actuellement a pour principe de ralentir la croissance osseuse et concerne donc le côté de la jambe qui est le plus long (côté convexe). Autrefois, on plaçait un “pont” de part et d’autre de la plaque de croissance. Aujourd’hui on insère une vis à travers la plaque de croissance, ce qui génère moins de complications et un résultat esthétique optimal.
– Dans les deux cas, l’intervention doit avoir lieu dans une fenêtre temporelle courte, quand le potentiel de croissance de l’articulation est le plus fort, et de toute façon avant que la plaque de croissance ne se ferme définitivement.
Ainsi, on peut considérer que pour qu’un traitement chirurgical d’une déviation angulaire soit efficace, il doit avoir lieu :
– pour les boulets : avant les deux mois du poulain ;
– pour les carpes (genoux) et les jarrets : le délai est plus long (entre 4 et 16 mois), mais dépend de la technique.
Un suivi post-opératoire indispensable
Dans le cas de la pose d’une vis transphysaire, la déviation peut se sur-corriger si la vis n’est pas retirée à temps. Il convient de suivre au quotidien l’évolution de la déviation, et de retirer la vis (une opération simple, qui peut désormais s’effectuer sans coucher le poulain) quand 80 à 95 % de la correction souhaitée est atteinte.
L’incidence de la chirurgie sur la performance future
Une étude de 2010 a été réalisée sur 53 chevaux présentant un varus du carpe uni ou bilatéral traité avec la pose d’une vis. Leur vente et leurs performances en course ont été suivies jusqu’à l’âge de 3ans et comparées avec des chevaux non atteints du même âge. Le sexe, le membre affecté, le type et l’angle de la déformation angulaire, le type de chirurgie, la date de retrait des implants et l’apparence du site chirurgical ont été pris en compte. Aucune différence n’a été relevée entre les deux groupes de chevaux pour ce qui concerne le prix de vente, le nombre de courses, le nombre de victoires et les gains.