Romane Borrione, une Française au pays des data
Partie de zéro, la Française Romane Borrione a développé son entreprise d’analyse de données – Race Day Ready – qui se développe en Australie et également à Hongkong. Les entraîneurs externalisent l’analyse des données à l’entraînement pour améliorer leur prise de décision et faire baisser le nombre de blessures.
Venue de l’équitation classique, Romane Borrione a dans un premier temps travaillé aux Aga Khan Studs (assistante marketing). À cette période, elle a commencé à monter à l’entraînement chez la famille Nigge. Au même moment, après avoir pris part aux courses des grandes écoles, elle a obtenu sa licence de cavalière : « Rapidement, j’ai compris que c’est l’entraînement qui m’intéressait le plus. Alors qu’au départ, j’étais plutôt dans une optique “bloodstock”. Anne-Sophie Yoh, passée comme moi par le Mesb, m’a présenté Louis Le Métayer au moment où j’envisageais de partir en Australie. C’est ainsi que je suis arrivée chez Ciaron Maher où j’ai commencé par monter à cheval. »
Saisir sa chance
L’arrivée de Romane Borrione en Australie correspond aussi à celle du développement de la marque française de “tracker” Arioneo : « Lorsque Ciaron a reçu son premier équipement Arioneo, il m’a dit : “C’est une marque française et tu es française, toi aussi. Tu vas donc t’en occuper !” Cette opportunité est arrivée au bon moment, car j’avais bien compris que le “bloodstock” n’était pas ce qui me convenait le plus dans le contexte australien. J’ai donc saisi cette opportunité qui m’a été offerte pendant trois années chez Ciaron, à partir de mars 2020. » Romane Borrione n’a pas de formation scientifique “stricto sensu” : « J’ai beaucoup échangé avec l’équipe d’Arioneo et les vétérinaires. Et j’ai aussi beaucoup lu. Ciaron Maher a énormément de pensionnaires [il a entre 1.600 et 1.800 partants par an, soit trois fois plus que les leaders français, ndlr]. J’ai donc pu travailler et apprendre sur un échantillon de données très large. Le nombre de chevaux à l’entraînement et le fait que les effectifs soient dispersés sur de nombreux sites renforcent encore l’attractivité des technologies de tracking en Australie [Ciaron Maher a par exemple des chevaux sur sept sites différents, ndlr]. Les données sont complémentaires du ressenti de l’entraîneur et des cavaliers, mais aussi du travail des vétérinaires. Constituer une base de données permet aussi de consigner des éléments sur la vie du cheval : à quelle date est-il arrivé à l’entraînement ? Combien de temps a-t-il passé au pré-entraînement ? Où en est-il au niveau condition physique ? Quelle a été la quantité de travail avant sa précédente rentrée ? C’est d’autant plus important ici en Australie que les chevaux, et en particulier les 2ans, alternent beaucoup les périodes d’entraînement et de repos… »
Développer sa propre société
Dans un second temps, Romane Borrione a changé d’employeur. Elle travaille désormais pour Lindsay Park Racing, c’est-à -dire Ben, Will & J. D. Hayes, autre écurie du top 10 australien [la Française Morgane Molle a pris sa suite chez Ciaron Maher, ndlr]. En parallèle, elle a monté sa propre société avec un associé extérieur, Race Day Ready, afin de proposer ses services à d’autres professionnels : « Des entraîneurs d’Australie et de Hongkong sont venus me solliciter. La plupart des professionnels australiens n’ont pas le volume de chevaux pour employer à temps plein une personne qui fait de l’analyse de données. D’où l’intérêt d’avoir un prestataire extérieur comme Race Day Ready qui travaille avec différentes écuries. Un tel fonctionnement a d’autres avantages en matière de données. Le fait de disposer d’un échantillon très large, avec des sujets de différentes “maisons”, permet de mieux comparer, de manière anonyme, les animaux. De même, nous essayons de coupler nos études avec les courbes d’évolution des lactates ou les électrocardiogrammes. Dans chaque cas, l’idée est d’essayer de voir ce qui sort de la norme. Par exemple, je sais que les stayers hongres de 4ans ont une moyenne “x” de ce métabolite. On note vraiment une évolution des données avec l’âge chez certains chevaux qui progressent beaucoup de 2ans à 3ans. D’autres stagnent. Il y a aussi des 2ans qui montrent beaucoup au début, lors de leurs tout premiers galops par exemple, sans parvenir à reproduire le même niveau performance par la suite. Était-ce trop vite et trop tôt leur demander ? Il faudrait étudier la question. »
Anticiper les problèmes en amont
Le contexte dans lequel évolue Romane Borrione est particulièrement propice au développement de son activité : « En Australie et à Hongkong, la quantité de données et de vidéos disponibles pour chaque cheval est énorme. Cela me permet de travailler à distance. Je suis les “updates” des entraîneurs et des vétérinaires. Pour un cheval qui trotte un peu différemment de d’habitude, je vais par exemple aller chercher dans les données des signes qui traduisent un changement dans l’action à l’entraînement. Mon travail a un rôle dans l’aide à la prise de décision, en étudiant l’évolution de la condition physique. Que ce soit au niveau des engagements ou de la prévention des blessures. Car on suit le cheval au fil du temps et on connaît son historique personnel. Le cavalier peut ne pas remarquer de variations dans l’action le matin. Et c’est un signal pour un examen vétérinaire ou pour ralentir le travail. Cela permet de prévenir un problème à venir. Rien n’est infaillible et tout n’est pas visible avec les données. »
Détecter la qualité
« Les entraîneurs australiens aiment beaucoup faire appel aux données pour savoir si les chevaux sont bons… ou pas. Cela n’a rien de facile, car il y a une partie de subjectivité dans ce type de recherche. » Certains chevaux sont-ils des “morning glories” avec des données brillantes le matin mais des résultats décevants l’après-midi ? « Cela arrive parfois, mais c’est peu fréquent. On voit rarement des animaux qui sortent du lot le matin et qui ne font rien l’après-midi. Dans ce cas, c’est souvent parce que l’on compare avec un échantillon de chevaux trop restreint. Ou que le cheval a un problème non encore détecté, comme ceux qui souffrent de tachycardie. Ou encore que l’entraînement et l’environnement ne sont pas totalement adaptés. Cela étant dit, chez les “tout bons”, il y a une part d’inexplicable. Je suis un cheval qui a gagné sept Grs1. Ses données, le matin, sont très bonnes. Mais elles sont comparables avec celles d’autres bons chevaux qui n’ont pas le même palmarès. La différence, c’est le mental. C’est un vrai compétiteur. »