Patrick Joubert, ses chevaux, sa philosophie
Hip Hop Conti, le champion du cross issu d’une minuscule jument
Les chevaux élevés par Patrick Joubert « à la maison » sont facilement identifiables grâce au suffixe « Conti ». Champion du cross de Pau, Hip Hop Conti fait donc partie de ceux-là . Le pensionnaire d’Emmanuel Clayeux, son co-éleveur, est un pur spécialiste du cross de Pau. Ce n’est pas pour déplaire à Patrick Joubert : « J’adore le cross, enfin celui de Pau précisément. Je trouve cela magnifique, ce n’est que du bonheur que de voir les chevaux sur les fromages palois. Hip Hop Conti a une histoire assez amusante. J’ai acheté sa mère, Starmoss (Astarabad), en association avec Emmanuel Clayeux à Arqana [10.000 €, ndlr]. Elle faisait 1,50m les bras levés. Il aura fallu deux heures trente pour la faire monter dans le camion l’emmenant au débourrage. Elle a été à l’entraînement chez Emmanuel et il s’est avéré qu’elle n’était pas bonne, elle avait plus de caractère qu’autre chose. Le tout mis bout à bout, elle n’avait donc pas grand-chose pour faire une poulinière ! Mais j’aime la génétique, les souches : elle est par Astarabad, ce qui me plaisait, et sa grand-mère a donné Mansonnien, ce qui me plaisait aussi. Et Starmoss a produit… Les mystères de la génétique ! Elle ne doit pas faire 1,6m0 et ses poulains, au sevrage, sont déjà plus grands qu’elle (rires) ! Il faut ensuite les étalons et un peu de chance. Hip Hop Conti est par Lauro (Monsun), que j’ai acheté en association avec Cercy à Arqana. Malheureusement, il n’a jamais sailli plus de 25 juments par an et ils n’ont pas pu le garder. Si j’avais eu la structure pour l’accueillir, je l’aurais fait… Il ne donne que des gagnants ! Hip Hop Conti est un cheval fantastique. Il a très bien pris ses vacances 2023. Les chevaux au repos ont tendance à fondre, à se démuscler. Ce n’est pas son cas, il est reparti à l’entraînement comme il est rentré en vacances. Il n’y a jamais de problème avec lui, c’est un vrai bonheur. »
Par Anne-Louise Échevin
ale@jourdegalop.com
Kind Lovely, le cadeau de Net Lovely
On se souvient de Net Lovely (Network), amenée tout en patience par son entourage pour se révéler pleinement à l’automne 2011. Elle a conclu sa carrière par une deuxième place dans le Prix La Haye Jousselin (Gr1), en 2012. Derrière Net Lovely et sa fille Kind Lovely, c’est surtout une longue et belle histoire d’amitié entre Patrick Joubert et Paul Couderc : « Nous nous connaissons depuis si longtemps… Et tout est facile, il n’y a jamais le moindre désaccord. Nous nous sommes rencontrés aux courses à Moulins – dont je suis d’ailleurs membre du Comité de l’hippodrome, là encore une superbe piste ! Je ne le connaissais pas mais il m’a dit qu’il souhaitait acheter une jument par Mansonnien. J’avais Line Lovely, je lui ai proposé et il a pris la moitié. Elle avait été achetée avec Emmanuel Clayeux. Elle n’était pas bonne. Je l’ai récupérée au haras, racheté la part d’Emmanuel… Elle nous a donné Net Lovely, une superbe jument de course qui, au début, a vraiment mal produit. Nous essayons de faire en sorte que les produits de mes juments aillent chez l’entraîneur qui gérait leurs carrières. Les premiers produits de Net Lovely sont donc allés chez Emmanuel, sans réussite. Nous n’avons pas voulu encore l’embêter avec un produit de Net Lovely, et Kind Lovely est donc allée chez Dominique Bressou. Je suis un peu embêté vis-à -vis d’Emmanuel… Mais nous allons donc lui envoyer son frère, un splendide poulain par Doctor Dino ! »
Gazelle Lulu, un achat sous pression !
Dans les juments ayant marqué la vie de Patrick Joubert, impossible de ne pas évoquer la formidable Gazelle Lulu (Altayan), la mère de tant de chevaux de classe : Silviniaco Conti (Dom Alco), Toscana Conti (Dom Alco), Class Conti (Dom Alco) ou encore Galleo Conti (Poliglote), de retour à l’entraînement en 2024. « Gazelle Lulu était une poulinière de rêve, de celle qui vous donne un mâle, une femelle, un mâle, une femelle… Pour un éleveur, que demander de plus ? L’histoire de l’achat de Gazelle Lulu est assez folle… Elle appartenait à un monsieur qui tenait une brasserie à Moulins où j’allais souvent boire mon café. Nous avons ainsi sympathisé. Gazelle Lulu était assez fragile, n’avait pas vraiment de tissu. Elle s’est retrouvée chez ce monsieur, avec sa mère et l’un de ses frères. Mais il n’avait pas la fibre cheval, il en avait même peur je crois, puisqu’il rentrait dans les boxes avec une baguette, ce que les chevaux n’aiment pas ! Finalement, sa femme m’a presque forcé à acheter les chevaux. J’avais refusé mais elle m’a dit qu’un jour, il y aurait un accident et que cela serait de ma faute (rires) ! Donc j’ai cédé et je suis reparti avec Gazelle Lulu, sa mère et son frère. »
Silviniaco, une histoire de noms
Silviniaco Conti, quatrième produit de Gazelle Lulu, est devenu un formidable cheval d’obstacle en Grande-Bretagne, sous l’entraînement de Paul Nicholls. Il n’avait qu’un défaut : les montagnes russes de Cheltenham ne lui plaisaient pas. Silviniaco aimait les tracés plats et il a désormais une épreuve à son nom – le Silviniaco Conti Chase (Gr2) – sur l’hippodrome tout plat de Kempton, où il a remporté deux fois le King George VI Chase (Gr1). Les commentateurs britanniques ont certainement maudit Patrick Joubert d’avoir nommé ainsi le cheval ! Il nous explique l’histoire : « J’habite dans un village nommé Souvigny. Il se trouve que Silviniaco est son ancien nom, autour de l’an 1200. Donc j’ai appelé le cheval ainsi. À cette époque, on y frappait encore de la monnaie. Ma maison possède une cave d’une quarantaine de mètres de long, nous avons creusé à la pelle et à la pioche et avons retrouvé des pièces de monnaie frappées « Silviniaco ». C’était une belle découverte ! Le cheval est devenu un champion et j’ai trouvé un monsieur qui a pu me frapper de nouvelles pièces « Silviniaco », beaucoup plus grosses. Je les ai amenées avec moi à Cheltenham et je les ai offertes à tout l’entourage du cheval. Je dois encore en avoir une ou deux… »
L’aventure Gazelle Lulu n’est pas finie. Il y a Galleo Conti, et son dernier produit, Idyle Conti (Free Port Lux), est au haras. « Galleo Conti n’a pas eu de chance tout au long de sa carrière… C’est un super cheval et il devrait revenir cette année. Il est passé en vente à Arqana, préparé par un grand professionnel qui se nomme Jean-Marie Callier. Mais il appartenait à un lot de 2ans qui se mangeaient la queue ! Galleo Conti s’est donc retrouvé avec une queue de 50 ou 60 cm, ce qui n’était vraiment pas joli. Jean-Marie Callier a réussi à faire venir une dame, depuis Paris, qui lui a fait des sortes d’extensions. Il a été acheté par Guillaume Macaire et Pierre Pilarski [pour 180.000 €, ndlr]. J’étais un peu embêté et je suis alors allé les voir, leur disant que le poulain avait un problème. Ils étaient catastrophés. Puis je leur ai expliqué qu’en réalité, il n’avait quasiment pas de queue et ils ont bien rigolé ! J’ai Idyle Conti au haras, que je n’ai pas fait courir. Elle a un yearling magnifique par Nirvana du Berlais et est pleine de Clovis du Berlais. »
Vautour, le champion au destin tragique
Des champions sur les obstacles anglo-irlandais, il y en a eu bon nombre ces dernières années… Un a su capter l’imagination : par son physique, ses sauts exceptionnels d’une grande élégance et si aisés, son équilibre parfait. Il s’agit de Vautour (Robin des Champs), triple lauréat (entre autres) à Cheltenham. Il a connu une fin tragique, se fracturant une jambe dans un paddock. Vautour a capté l’imagination de beaucoup de passionnés. Il a été élevé par Nicolas de Lageneste et Patrick Joubert : « Il avait débuté chez Guillaume Macaire, qui était vraiment impressionné par ce cheval. Son nom a été particulièrement bien choisi, il était un vautour. Quand on regarde l’oiseau par rapport au cheval, cela collait parfaitement. Malheureusement, il a connu une fin tragique… Je suis certain qu’il aurait gagné la Gold Cup. Avec Nicolas, nous nous connaissons depuis longtemps, nous sommes voisins. J’emmenais mes juments chez lui pour aller à la saillie de Royal Charter à l’époque. C’est une association qui dure depuis 35 ans, sans jamais aucun problème. Les chevaux élevés chez lui courent sous ses couleurs, ceux chez moi sous les miennes. Tout est simple. »
Vendre parce qu’il le faut, courir quand il le faut
Une trentaine de poulinières. Trente-cinq à quarante chevaux à l’entraînement. Patrick Joubert doit vendre même s’il reconnaît le faire moins : « Il faut faire tourner la boutique. Avec mon effectif, je ne vous dis pas la facture à la fin du mois ! Il y a des offres que, parfois, on ne peut pas refuser. Dans le passé, j’en avais refusé une, l’entraîneur ne voulait pas vendre, et le cheval s’est accidenté. Il faut garder raison. Actuellement, je suis plutôt pour moins vendre à l’étranger avec toutes les modifications autour des primes à l’éleveur à l’étranger. Nous verrons si cela change. Mais il faut rentrer de l’argent. Alors j’entends que je suis riche car nous aurions vendu nos terres pour la construction d’un aéroport, mais ce n’est pas le cas ! Nous avions été expropriés « d’utilité publique » et avions été payés ce que ces messieurs voulaient bien nous payer. Je me suis ensuite installé dans l’Allier. Je suis toujours céréalier mais j’ai moins la passion. Ma passion, c’est les chevaux et, sans eux, j’aurais arrêté mon activité. De base, je suis lyonnais et ma famille – déjà du milieu céréalier – n’avait rien à voir avec les chevaux. Mais je les ai toujours aimés, je passais devant les prés en me rendant à l’école, je montais… Et voilà . »
La passion et la raison qui, parfois, pousse à vendre pour faire tourner la boutique. Courir, aussi, mais surtout pas à n’importe quel prix et Patrick Joubert annonce la couleur : « Mes 3ans ne verront pas un hippodrome cette année ! Je suis patient et mes chevaux sont tardifs. Je ne veux pas qu’ils courent à 3ans, nous l’avons encore fait en 2023 et il y a eu des problèmes. Devoir attendre que mes élèves et représentants aient 4ans pour débuter ne me pose aucun souci, bien au contraire. »
Rendez-vous mardi… à Vincennes !
L’obstacle… et le trot ! On dit souvent que les passerelles sont multiples entre les deux univers et Patrick Joubert s’est piqué au jeu. « C’est la passion du cheval et j’ai donc investi, en association, sur quelques trotteurs. Je suis copropriétaire d’un 3ans invaincu en deux sorties, Lutin des Bordes (Bilibili). Il devrait faire ses premiers pas à Vincennes mardi prochain… J’aime beaucoup la mentalité des entraîneurs de trot, qui sont pour moi des gens proches de la terre. Et les pensions sont moins chères (rires) ! »