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lundi 23 décembre 2024

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Passé, présent et avenir avec Luca Cumani

Passé, présent et avenir avec Luca Cumani

C’est à l’heure de l’apéro que, comme deux amis au zinc du célèbre Camparino, à côté du Dôme de Milan, nous avons discuté du présent, du passé et de l’avenir des courses ainsi que de l’élevage du pur-sang en compagnie de Luca Cumani.

Par Franco Raimondi

fr@jourdegalop.com

Jour de Galop. – Le crack japonais Equinox a été nommé meilleur cheval au monde avec un rating canon de 135. Auriez-vous imaginé cela il y a 25 ans ?

Luca Cumani. – En 1997, quand j’ai eu mon premier partant dans la Japan Cup, Mons, j’aurais répondu : non, jamais. Les chevaux étaient d’un assez bon niveau mais les hommes, eux, n’avaient pas une approche correcte dans la vie quotidienne et la routine d’une écurie. Ils les regardaient comme des animaux sauvages ! Quand je suis retourné au Japon huit ans plus tard et que j’ai gagné avec Alkaased, j’ai changé d’avis. Les professionnels et leur personnel ont énormément progressé dans leur rapport avec les chevaux. En plus de ça, l’élevage a beaucoup évolué. Quand j’ai commencé dans la profession, les achats japonais consistaient essentiellement dans des étalons rejetés par les marchés européen et américain. Quand Sunday Silence est arrivé, les investissements dans les poulinières de haut niveau se sont multipliés. Le Japon a bâti un élevage de top-niveau, grâce aux allocations et un vrai travail de recherche sur le marché des étalons et des poulinières de grande classe, en Europe mais aussi dans les autres continents. Désormais, ils ont de super chevaux qui brillent dans tous les pays, sur le gazon et le dirt, ils continuent à investir et, même si la famille Yoshida reste dominante, d’autres éleveurs très actifs sont arrivés dans le haut du marché. Je reste persuadé que c’est la progression au niveau du savoir-faire avec les chevaux qui a vraiment tout changé.

La France a retrouvé sa compétitivité en 2023 avec des très bons résultats dans les Groupes. Est-ce le fruit du hasard, d’une baisse du niveau anglais, ou existe-t-il une autre explication ?

On ne peut faire une analyse en se basant sur une seule saison. Ce genre de sujet, comme la baisse de régime anglaise, doit être étudié sur deux ou trois années. La reprise de compétitivité de la France n’est pas une surprise, sa place se situe au même niveau que l’Angleterre et l’Irlande, comme toujours. Je pense que le point de départ, c’est l’élevage qui a sans doute progressé. La qualité des étalons en France est bien meilleure qu’il y a une dizaine d’années. Le nombre croissant de poulinières anglaises et irlandaises envoyées à la saillie en France en est une illustration. Le niveau de la jumenterie est bon et les allocations et les encouragements à l’élevage incitent à bien produire. En plus, les grands entraîneurs expérimentés ont gardé leur envie et des jeunes prometteurs sont sur le bon chemin.

« La qualité des étalons en France est bien meilleure qu’il y a une dizaine d’années »

On parle toujours du faible niveau des allocations en Angleterre comme du plus grand problème pour le système. Quelles sont les autres raisons de cette période un peu délicate ?

Je trouve que le galop anglais a démontré une résilience exceptionnelle dans des conditions difficiles. Les investissements des propriétaires du Golfe tout au long des dernières décennies ont permis au galop anglais de garder sa place en Europe alors que les propriétaires anglais ont bien tenu le coup, même s’il est frustrant de courir des chevaux qui coûtent des millions pour une espérance de gains minime. Les grandes opérations de course et d’élevage continuent à investir, c’est une bonne raison pour se montrer optimiste.

Remontons le temps : dans quel pays vous installeriez-vous comme entraîneur si vous deviez commencer aujourd’hui votre carrière ?

Je suis depuis cinquante ans dans un pays qui, hormis le froid et le mauvais temps, me plaît beaucoup. Mais le système « courses » qui marche le mieux est celui de l’Australie : il y est assez facile de trouver des chevaux à entraîner et les allocations sont bonnes. Mon fils Matteo s’est installé en Australie. Le problème, c’est que ce pays est très isolé et qu’entraîner est un métier qui prend beaucoup de temps. On travaille de 5 h du matin à 20 h le soir, et en étant basé en Australie, on risque de s’isoler un peu du reste du monde, ce qui est très grave maintenant que les courses sont un sport globalisé.

« Les étalons très haut de gamme vont devenir un luxe pour les éleveurs qui font courir pour le plaisir »

L’élevage du pur-sang est-il devenu une activité réservée à quelques superpuissances ou existe-t-il encore de la place pour les petits ?

Il y a une trentaine d’années, il était certainement plus facile pour les petits de trouver une brèche et de briller au plus haut niveau. On pouvait toucher une bonne poulinière à un prix décent, la croiser avec un étalon sympa à un prix accessible et rêver de sortir un crack. Maintenant, cette brèche est plus dure à trouver. La règle dans l’élevage est encore celle fixée depuis soixante ans par Bull Hancock de Claiborne Farm : « Breed the best to the best and hope for the best » (littéralement, croisez le meilleur avec le meilleur et espérez le meilleur)… Le poids des grands étalons est devenu plus important aux courses ces dernières années et il faut un vrai coup de génie pour s’en sortir.

Durant les deux ou trois dernières années, le prix de saillie des étalons haut de gamme a beaucoup progressé. Un petit haras qui vise la qualité comme Fittocks Stud peut-il garder le même niveau qu’auparavant ?

Pour la première fois cette année, nous avons décidé de ne pas envoyer de juments à Dubawi et Frankel qui sont les meilleurs étalons en Europe. C’est dommage puisque notre objectif est de viser l’excellence mais, à 350.000 £, si on doit vendre des yearlings, ce n’est plus jouable. Déjà, il faut avoir une poulinière assez bonne pour aller à ces étalons, disons une jument qui vaut plus de 500.000 £. Après un calcul rapide, si on ajoute au prix de saillie l’amortissement de la poulinière et une part de risque puisque le produit peut avoir des défauts, on arrive à un yearling qui a coûté plus de 600.000 £ au moment de passer sur le ring. J’ai présenté deux Frankel dans le book 1 de Tattersalls en 2022 : l’un, magnifique, a été acheté par Coolmore et Peter Brant pour 1,9 MGns, l’autre a été adjugé 150.000 Gns à Godolphin. Si l’on calcule le prix moyen on peut se dire qu’on a bien vendu, mais un Frankel à 150.000 £ reste une vente avec une forte perte. Cela dit, les deux ont gagné… Je pense que plusieurs éleveurs dont c’est l’activité professionnelle ne peuvent plus se permettre ce risque. C’est-à-dire que les étalons très haut de gamme vont devenir un luxe pour les éleveurs qui font courir pour le plaisir.

La bataille entre Coolmore et Godolphin qui a animé les courses au cours des 25 dernières années a également désormais glissé sur le marché des étalons. L’écart entre les deux superpuissances qui existait à l’époque du grand Galileo s’est un peu réduit. Quelle sera l’évolution au cours des prochaines années ?

Les fils de Galileo qui ont officié et officient à Coolmore n’ont pas assuré la relève du père, même s’ils ont produit à un niveau correct. C’est pour cette raison que la superpuissance irlandaise a investi sur les Scat Daddy, Justify, qui est parti très fort, et No Nay Never ainsi que sur les Siyouni et qu’elle a acheté Wootton Bassett. Darley a touché son Galileo avec Dubawi, qui est très prometteur comme père d’étalons, et peut compter sur des autres jeunes reproducteurs qui ont bien démarré avec leurs premiers chevaux en piste et aux ventes. Et il ne faut pas oublier Juddmonte qui a Frankel, le vrai successeur de Galileo, et Kingman, alors que Son Altesse l’Aga Khan a Sea the Stars en Irlande et Siyouni en France.

Vous avez cité Sea the Stars, le dernier gagnant du Derby qui a vraiment réussi comme étalon. Cette année, Adayar et Westover, deux étalons classiques par Frankel, sont partis au Japon. Peut-on parler d’une révolution en cours dans l’élevage ?

Il est dommage que des chevaux d’un tel niveau ne trouvent pas leur place en Europe et c’est un problème puisque tous les étalons qui ont brillé sur 2.400m sont condamnés par le marché sans leur donner de chance. Je peux en citer une bonne douzaine. Le Japon n’a pas de problème avec les étalons qui ont gagné les grandes courses sur la distance classique, bien au contraire. Je pense qu’il s’agit surtout d’une mode qui passera, même si le segment vitesse et précocité est très fort.

« Tous les étalons qui ont brillé sur 2.400m sont condamnés par le marché »

Le marché des yearlings en Europe, surtout en Angleterre, a marqué une baisse. S’agit-il d’une correction après une année 2022 euphorique ou d’un vrai signal de crise ?

Le marché est très vite sorti de la crise Covid, peut-être trop vite. Je préfère parler de correction mais la filière ne vit pas sur un nuage et on doit considérer l’économie et la politique. Il existe un manque de certitudes dans tous les pays, ce qui n’est pas trop favorable.

En 2023, aux ventes d’élevage, 62 femelles ont franchi le cap de 500.000 € et presque la moitié a été achetée par des Japonais, des Australiens et des Américains. L’élevage européen risque-t-il de perdre en qualité avec ces départs ?

L’argent est toujours le nerf de la guerre et nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé. Le Japon, l’Australie et les États-Unis sont des pays où les allocations sont plus importantes qu’en Europe, et surtout qu’en Angleterre. Il est logique que leurs acheteurs disposent de budgets plus importants et ils veulent investir où ils savent trouver la meilleure qualité. En même temps, les superpuissances basées en Europe ont formé des jumenteries de très haut niveau et elles produisent chaque année des pouliches qui assurent la relève. Parfois, ils peuvent s’offrir des pièces uniques mais ils sont tranquilles avec les femelles qui sont déjà à la maison. En tant que petit éleveur avec 20 poulinières, je suis plus inquiet sur l’augmentation des prix pour acheter une bonne jument…

L’année dernière, nous avons vu de jeunes étalons qui ont connu une magnifique réussite en piste comme aux ventes. Quelle importance donnez-vous à cette tendance ?

Quand j’étais entraîneur, je cherchais toujours les étalons confirmés. Maintenant, avec la puissance du marketing, il est devenu plus facile de vendre les produits d’étalons qui n’ont pas encore de chevaux sur les pistes. La raison est assez simple. Quand un entraîneur touche un cheval issu d’un étalon et que, pour une raison ou une autre, il n’arrive pas à s’en servir, il a vite fait de condamner l’étalon qui l’a déçu. Il en parle à un autre, qui à son tour en discute avec des confrères comme dans un petit village… Avec les débutants ce n’est pas possible : on ne peut pas dire que leurs produits sont difficiles à entraîner, qu’ils ne respirent pas bien, sont fragiles ou ne gardent pas leur forme.

« Les cracks d’antan ressemblent à Fausto Coppi, ceux de maintenant à un boxeur ! »

Revenons-en à l’entraînement. La méthode a-t-elle changé et le pur-sang du XXIe siècle est-il un animal différent de celui que l’on a connu ?

Si l’on regarde les photos des champions d’il y a trente ou quarante ans et qu’on les compare avec ceux d’aujourd’hui, on note bien la différence. Les cracks d’antan ressemblent à Fausto Coppi, ceux de maintenant à un boxeur ! Je ne pense pas que la méthode d’entraînement ait beaucoup changé, même si on a un support de technologie plus important. Quand j’ai commencé dans la profession, la nourriture des chevaux de course était simple : foin et avoine. Après sont arrivés les suppléments nutritionnels et les chevaux ont pris de la force et de la puissance.

L’entraîneur qui a battu tous les records est Aidan O’Brien. Est-ce un génie ou possède-t-il une puissance de feu plus importante que les autres ?

Il est sans le moindre doute un très grand entraîneur et il peut compter sur le meilleur choix de yearlings au monde. Il a surfé sur la vague Galileo mais il a également bien fait avec les produits d’autres étalons. Aidan O’Brien façonne des 2ans qui deviennent aussi de super 3ans, des pouliches et des poulains, des milers et de chevaux de grande tenue.

2024 sera la première année pour les courses anglaises sans Lanfranco Dettori. De quelle façon le scénario va-t-il être modifié ?

Lanfranco a joué deux rôles en même temps dans sa carrière. C’est un super jockey béni des dieux, d’un grand talent en selle mais aussi un vrai showman. Remplacer un top-jockey, c’est facile, et maintenant, pour ne parler que de l’Angleterre, on a Ryan Moore, William Buick et d’autres excellents pilotes. Il sera plus dur de remplacer le showman… Lanfranco a été le personnage le plus aimé par les turfistes « de base » et les parieurs. Je ne vois pas un autre Lanfranco mais il arrivera sans doute.

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