La grande interview
Les chevaux et les fans avant tout
En septembre 2023, Masayoshi Yoshida a succédé à Masayuki Goto à la présidence de la J.R.A. Le voilà aux commandes de la superpuissance des courses mondiales : 20,5 milliards d’enjeux en 2023 sur un total d’environ 3.500 courses J.R.A. (oui, vous avez bien lu), une présence au sommet des classements internationaux jamais atteinte, des hippodromes pleins… Voici quelques éléments expliquant la réussite des courses japonaises, résolument tournées vers le futur et en réflexion constante sur leurs axes d’amélioration.
Par Anne-Louise Échevin
ale@jourdegalop.com
Jour de Galop. – Le système de courses de la J.R.A. est désormais cité en exemple partout dans le monde : enjeux élevés et donc fortes allocations, des chevaux de haut niveau et des courses de Groupe relevées. Quelle est la « méthode J.R.A. » ?
Masayoshi Yoshida. – La manière dont le système de courses est organisé est, à mon sens, l’élément crucial. Le processus de sélection en progression est vital – maiden, course à conditions, Listed puis Groupe – et maintenir cette pyramide est un travail essentiel. De même, nous avons bien conscience de l’importance de la chaîne autour de la carrière d’un cheval : élevage, débourrage, entraînement et compétition. Tout ceci est bien mis en place et harmonisé. De l’autre côté, nous avons facilité l’internationalisation de nos courses, tout en rassurant les éleveurs locaux, en intégrant la partie 1 du Blue Book en 2007 [ouvrant ainsi toutes les courses de Groupe aux chevaux internationaux, ndlr]. Je crois que cela a contribué à la progression des chevaux japonais. Les enjeux sont le premier élément de financement et de soutien de l’écosystème de courses japonais et les fortes allocations sont un facteur important de la réussite de notre système. Tout cela, il me semble, a participé à l’amélioration de nos chevaux, et donc à proposer des courses de qualité. Avec tous ces éléments réunis, je crois que les éleveurs ont pu importer des étalons de qualité – à l’image de Sunday Silence – et des juments de haut niveau en provenance de nombreux pays. Tout ce système de courses est notre force et il est désormais considéré comme un bon modèle par les institutions hippiques du monde entier.
En Europe comme aux États-Unis, beaucoup d’observateurs sont admiratifs de la longue carrière des chevaux japonais. Sauf problème de santé, un gagnant classique va courir à 4ans, voire 5ans, avant de devenir étalon. Comment rendre la « valeur sport » aussi importante que la « valeur business » ? Est-ce l’un des éléments expliquant la popularité des courses ?
Nous avons vu dans l’Arima Kinen, en décembre dernier, trois gagnants de Derby japonais en piste [Do Deuce, lauréat du Derby 2022, Shahryar, gagnant du Derby 2021 et Tastiera, qui a gagné le Derby 2023, ndlr]. Oui, les carrières des meilleurs chevaux sont plus longues chez nous. Il ne faut pas croire que les enjeux financiers autour des carrières d’étalon ne sont pas importants au Japon : ils le sont. Sur ce sujet, je crois que le niveau élevé des allocations est l’un des facteurs les plus importants. Mais il y a certainement des propriétaires qui veulent aussi répondre aux attentes des passionnés de courses ou voir les meilleurs chevaux s’affronter en piste. Quand les meilleurs chevaux de différentes générations s’affrontent, cela intéresse les gens. En conséquence, les enjeux sont meilleurs et les enjeux font les allocations… La J.R.A. fait donc son maximum pour pouvoir offrir ce type de courses au public.
« Quand les meilleurs chevaux de différentes générations s’affrontent, cela intéresse les gens »
Après quelques années de baisse, les enjeux J.R.A. sont repartis à la hausse en 2012. Entre cette année et 2023, ils ont progressé de 36 %. Depuis la France, nous avons l’impression que la totalité du Japon s’intéresse aux courses. Mais, lors de la Conférence internationale des autorités hippiques 2022, votre prédécesseur, Masayuki Goto, avait expliqué que les enjeux augmentaient parce que le « panier moyen » des parieurs existants était plus important, tandis que le nombre de personnes intéressées par les courses avait plutôt tendance à baisser. Qu’en est-il réellement ?
Selon les différentes études, environ 6 % de la population âgée de 20 ans et plus parie de façon régulière sur les courses. La conclusion est simple : nous avons encore de la marge et nous devons atteindre les 94 % restants. Il faut que les personnes qui voient nos publicités, comme les spots télévisuels, et sont intéressées par les courses, trouvent cela facile de parier. En ce sens, nous pensons qu’un des facteurs essentiels est de créer l’environnement pour y parvenir : trouver où regarder les courses, par exemple. C’est pour cela que nous proposons une variété de solutions de visionnage, y compris pour les courses en direct. En 2022, dans l’idée de promouvoir les courses de façon différente, nous avons lancé la création, dans certaines villes régionales, de lieux diffusant les courses sans aucun aspect de pari [les espaces Viesta, voir aplat, ndlr]. L’an dernier aussi, une application spécifique a été lancée, avec l’apport de technologies comme le tracking et les « jockeys cam ». Nous ne pensons pas que nous devons arrêter là et il nous faut continuer à développer de nouvelles technologies dans le futur.
Dans une interview à Nikkan Sport, peu de temps après votre élection, vous avez indiqué que le nombre de jeunes dans leur vingtaine représentait 4,7 % des spectateurs sur les hippodromes en 2019. À l’automne 2023, vous donnez le chiffre de 12 % pour cette même catégorie. Comme en Europe, les plus jeunes avaient tendance à considérer les courses comme un « loisir vieillissant ». Comment la J.R.A. a-t-elle changé la donne ?
J’ai en effet présenté les tendances sur notre public depuis 2019 dans cette interview, mais il ne faut pas réduire cela aux actions prises ces toutes dernières années. Par exemple, l’hippodrome de Tokyo a été rénové en 2007 et nous avons ensuite poursuivi les efforts de rénovation de nos hippodromes dans l’idée d’en faire des lieux où les jeunes se sentent à l’aise et puissent passer un bon moment. Cela passe par augmenter le nombre de restaurants à disposition jusqu’à s’assurer de la propreté des lieux. Pour faire évoluer les préjugés autour des courses, nous avons aussi diffusé des publicités à la télévision mettant en scène de jeunes acteurs et actrices célèbres sur un hippodrome à la propreté irréprochable. Nous avons aussi tenu des animations sur les hippodromes, qui peuvent aller d’un événement autour du ramen [les célèbres et délicieuses soupes de nouilles, un sujet très sérieux au Japon, où chaque région possède sa spécialité de ramen, ndlr] à des talk-shows avec des personnalités populaires.
Nous faisons régulièrement des sondages pour comprendre ce dont les jeunes ont envie et leurs habitudes de consommation. Les résultats sont extrêmement importants d’un point de vue marketing et ils ne sont jamais ignorés. Nous sommes ainsi en train de réfléchir à différentes mesures partant du principe que les jeunes devraient aimer les courses puisqu’elles leur permettent de réfléchir à des arrivées, de parier, et qu’elles sont visibles sur smartphone.
« Nous faisons régulièrement des sondages pour comprendre ce dont les jeunes ont envie et leurs habitudes de consommation. Les résultats ne sont jamais ignorés »
Les chiffres sur la présence des personnes d’une vingtaine d’années ont considérablement progressé de 2019 à 2023… Pourtant, il y a eu 2020, la Covid et des courses tournant à huis clos ou quasi-huis clos pendant de très longs mois.
Beaucoup d’activités dites de loisir ont été suspendues durant la Covid-19. Mais les courses ont pu se poursuivre et nous avons été en mesure d’attirer l’attention de jeunes personnes qui se retrouvaient coincées chez elles. La J.R.A. a pris de nombreuses mesures pour parler à la jeune génération : permettre de voir les courses via notre site, la mise en place des « jockeys cam » pour partager l’intensité d’une course de l’intérieur… Et sur nos hippodromes, nous avons fait en sorte d’avoir un wifi plus performant. Selon nous, cela permet une présence amplifiée et continue de « tout ce qui touche » aux courses sur les réseaux sociaux et autres médias.
Comment faire parier les jeunes ?
De façon générale, les jeunes sont intéressés dans un premier temps par l’aspect « sport » des courses hippiques, grâce aux différents médias ou en visitant les hippodromes. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas intéressés par l’aspect pari. Nous avons conscience qu’ils jouent moins que d’autres générations mais cela va évoluer avec l’âge : il est donc toujours important d’augmenter le nombre de jeunes gens s’intéressant aux courses. Mais, surtout, il est plus important d’augmenter le nombre de personnes intéressées par les courses pour augmenter notre base globale de fans.
On pense aussi à un marketing fort, emmené par les « idol horses », les peluches des champions japonais lancées il y a un peu plus de dix ans. Stariser les chevaux est-il la clé pour attirer de nouveaux fans ? Tout comme s’appuyer sur la culture populaire japonaise, du jeu sur smartphone Uma Musume aux mangas et autres « anime » ?
Très honnêtement, nous avons eu des chevaux comme Haiseko, dans les années 70, ou Oguri Cap, dans les années 80, qui ont connu un soutien populaire exceptionnel, attirant de nombreux jeunes sur les hippodromes. La situation est différente désormais, il n’y a pas une telle popularité, même si nous constatons que l’existence de chevaux stars comme Sodashi ou Equinox contribue à améliorer l’image des courses.
Il faut noter que la J.R.A. ne peut pas s’adresser de façon directe aux mineurs [la majorité « complète » est fixée à 20 ans, ndlr]. Au Japon, nous sommes strictement réglementés sur tout ce qui touche l’addiction au jeu, et donc la communication vers les personnes mineures. Cependant, les mangas ou les « anime » permettent de développer une culture cheval et de faire découvrir les courses. Nous répondons aux demandes de coopération si nécessaire. Nous autorisons aussi l’utilisation des noms de courses et des hippodromes dans les jeux et les « anime », mais nous n’organisons pas, par exemple, d’événements en collaboration directe avec Uma Musume.
« L’existence de chevaux stars comme Sodashi ou Equinox contribue à améliorer l’image des courses »
Nous parlons des jeunes mais nous pouvons aussi parler des femmes… En 2012, elles représentaient moins de 14 % des spectateurs aux courses. La J.R.A. a donc lancé Umajo, une marque tournée vers le public féminin et, sur les hippodromes, des espaces qui leur sont réservées. En 2022, elles représentaient un peu plus de 17 % des spectateurs. Est-ce un succès ?
La J.R.A. a mis des mesures en place depuis longtemps pour encourager les femmes à venir aux courses… Depuis les années 80, avec, par exemple, la mise en place d’un Ladies’ Day. De façon générale, il ressort que les femmes ont une image des hippodromes comme étant des lieux sales ou intimidants et c’est pourquoi nous faisons tout pour améliorer cette image. Par exemple, en plus d’avoir rénové les hippodromes, nous avons mis en avant le fait qu’il est possible de voir de beaux chevaux, profiter de bons desserts sur l’hippodrome, et nous avons fait appel à des jeunes femmes connues pour nos publicités. Les résultats de tous ces efforts commencent à porter leurs fruits.
Les femmes sont plus présentes dans les tribunes, mais quand on regarde le rond de présentation, nous n’en voyons aucune avec les chevaux. De même, en visitant le centre d’entraînement de Miho en novembre dernier, trouver une femme à cheval tenait du miracle. Pourquoi ? La toute première obtention d’une licence d’entraîneur J.R.A. par une femme, fin 2023, est-il un signe de changement ?
Les femmes représentent seulement 1,4 % des employés d’écurie travaillant sur les deux centres d’entraînement de la J.R.A.. Nous reconnaissons aisément que c’est un chiffre bien inférieur à la France. Il n’y a pas, actuellement, d’initiatives spécifiques visant à encourager les femmes à travailler dans les courses mais nous considérons comme extrêmement important d’améliorer le cadre de travail pour les femmes dans le futur. Côté jockeys, nous avons désormais six femmes sur le circuit J.R.A. et elles ont beaucoup apporté au sport. Et bien que la présence des femmes sur les centres J.R.A. soit faible, les courses japonaises viennent de connaître un beau développement avec la première licence d’entraîneur J.R.A. délivrée à une femme, laquelle a passé tous les examens rigoureux nécessaires. À partir de maintenant, nous allons travailler pour améliorer leur cadre de travail au sein des centres d’entraînement et espérer que leurs histoires soient couronnées de succès.
« Les femmes représentent seulement 1,4 % des employés d’écurie travaillant sur les deux centres d’entraînement de la J.R.A. »
Le vieillissement de la population japonaise est largement documenté. L’âge médian est estimé à un peu plus de 49 ans au Japon, contre 41,4 en France (donnée Insee). En ce sens, rendre les métiers des courses également attractifs aux femmes semble essentiel mais serait-ce suffisant ? Allez-vous devoir faire appel à une main-d’œuvre étrangère ?
Au-delà de la question du genre, le secteur économique hippique japonais fait en effet face à un grand défi en termes de ressources humaines. Nous avons un déficit de naissances, une population devenant de plus en plus âgée, ce qui est un sujet extrêmement important pour tous les secteurs. Les courses n’y échappent pas. Dans les années récentes, les travailleurs étrangers sont devenus indispensables dans les haras. Le nombre de candidatures pour travailler sur les centres d’entraînement de la J.R.A. a considérablement baissé. Des mesures proactives vont s’avérer nécessaires. Nous poursuivons nos efforts déjà entamés, en étant par exemple présents dans des parcs à thèmes comme celui nommé KidZania, où les enfants peuvent découvrir et expérimenter différentes professions.
Le Japon n’a pas échappé à l’urbanisation, particulièrement spectaculaire puisque plus de 90 % de la population est désormais urbaine. Or, il est difficile de pouvoir être au contact des chevaux au sein de mégalopoles. Quand on se rend sur l’hippodrome de Tokyo, on y voit un centre équestre J.R.A. accolé. Avez-vous pour mission de promouvoir la culture cheval, au-delà des courses ?
L’urbanisation a en effet progressé et il faut ajouter à cela qu’au Japon, les plaines sont limitées [les trois quarts du pays sont considérés comme montagneux, ndlr]. Il y a donc très peu d’espace disponible pour monter à cheval. Ceci étant dit, avoir des chevaux proches de ces zones peut permettre d’augmenter les opportunités de travail liées aux courses et rendre plus accessible notre univers. Le développement de tels environnements est considéré comme crucial. Préserver notre culture historique du cheval est une initiative extrêmement importante, particulièrement dans la promotion de la culture du cheval via la seconde carrière des équidés. La J.R.A. coopère et apporte son soutien à l’implémentation et à la préservation des arts équestres traditionnels. Nous possédons un musée des courses sur l’hippodrome de Tokyo mais aussi à Negishi (Yokohama), là où les courses hippiques modernes ont fait leur apparition, afin de promouvoir la culture équine à travers différentes expositions. Nous développons la connaissance des chevaux dès le plus jeune âge, faisons la promotion de l’équitation dans les structures de la J.R.A. à travers tout le pays. Lors des jours de courses, nous organisons différentes activités, y compris pouvoir monter à cheval. En plus de tout cela, Tokyo dispose du J.R.A. Equestrian Park, où ont été organisées les compétitions équestres lors des Jeux Olympiques 2020. On y trouve différentes activités touchant au cheval, y compris des compétitions et spectacles équestres.
« Préserver notre culture historique du cheval est une initiative extrêmement importante »
Votre prédécesseur, Masayuki Goto, avait souligné que pour attirer de nouveaux fans, la question du bien-être animal, et notamment de la seconde vie des chevaux de course, était absolument centrale. Où en est le Japon ?
Le sujet du bien-être animal occupe de plus en plus de place et celui des réformés est crucial. L’entièreté de la communauté hippique doit s’y consacrer pour le développement durable des courses. En 2017, le Comité du cheval de course retraité a été mis en place. Il comprend des propriétaires, des employés d’écurie, des éleveurs, le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche – qui nous supervise – et des discussions sont en cours. Cette année, nous allons mettre en place une organisation spécifique pour gérer les défis liés à la promotion de la seconde carrière des anciens chevaux de course. Elle se concentrera sur le travail de reconversion, sur des structures qui soutiennent les chevaux retraités et l’utilisation efficace de ces équidés, comme chevaux de thérapie par exemple.
« Le sujet du bien-être animal prend de plus en plus de place et celui des réformés est crucial »
Le Japon a la réputation d’être un pays de courses protectionniste et le nombre de propriétaires non-japonais sur le circuit J.R.A. se compte sur les doigts d’une main, tout comme les éleveurs. Pourquoi ? Et pensez-vous qu’un entraîneur étranger puisse un jour s’installer ?
Il est tout à fait possible pour les étrangers d’obtenir une licence de propriétaire J.R.A. si certains critères sont remplis [parmi lesquels : pouvoir justifier d’un revenu minimum annuel de plus de 100.000 € sur au moins une des deux dernières années, ou encore pouvoir justifier d’environ 470.000 € en actifs financiers, ndlr]. Concernant la possibilité de permettre aux entraîneurs titulaires d’une autorisation d’entraîner dispensée à l’étranger d’officier au Japon, nous ne pouvons fournir de licence qu’à ceux passant les mêmes examens que les entraîneurs locaux puisque nous n’autorisons pas la double licence. Pour l’élevage, la J.R.A. ne fournit aucune licence… tout simplement parce que nous n’imposons aucune restriction.
Le Japon brille par son absence dans le world pool. La J.R.A. pourrait-elle l’intégrer et apporter sa masse spectaculaire au système ?
À ce stade, la possibilité d’intégrer le world pool est extrêmement faible. Quand on parle du world pool, il est essentiel de considérer les bienfaits que peut apporter un tel système, mais aussi de potentiels éléments problématiques. La J.R.A. s’inquiète du fait que certains grands pays ou marchés agissant comme plaques tournantes se retrouvent avec un trop grand pouvoir entre les mains, entraînant un déséquilibre. Il est nécessaire d’avoir des approches individualisées par rapport aux lois et systèmes en place dans chaque pays, en prenant en compte le système social qui est le leur. Ainsi, plutôt que de promouvoir un mélange uniquement sur le principe d’étendre le pari à travers le world pool, nous pensions que la priorité doit être mise sur la promotion de simulcasting, à travers les systèmes légaux en place que chaque pays doit suivre, en prenant aussi en compte la protection de nos biens communs contre le pari illégal.
Les courses japonaises sont connues et respectées partout dans le monde hippique. Pourtant, les concurrents internationaux ne viennent plus chez vous. Seul Irésine était au départ de la Japan Cup en 2023. Continuous devait venir mais a connu un problème. La concurrence internationale est-elle trop forte ? Le calendrier joue-t-il contre vous avec, en face de la Japan Cup, la Breeders’ Cup ou Hongkong ?
Les différents organisateurs à l’international augmentent les allocations et les programmes d’incitation pour attirer des concurrents internationaux. La J.R.A. a repensé son système pour la Japan Cup en 2020 : augmentation des bonus et expansion des conditions applicables. En 2023, nous avons encore augmenté l’allocation, et si un cheval remporte la Japan Cup, il peut être éligible à un bonus pouvant aller jusqu’à 300 millions de yens [environ 1,87 million d’euros, ndlr] en plus des 500 millions d’allocations [plus de 3 millions d’euros, ndlr] à la première place. Les incitations mises en place par la J.R.A. dans ses Grs1, y compris les allocations, sont à un niveau comparable à ceux d’autres pays. L’ensemble des 24 Grs1 de la J.R.A. sont ouverts aux internationaux et, en plus de la Japan Cup, nous avons l’Arima Kinen en fin d’année avec une allocation de 500 millions de yens au gagnant. L’Arima Kinen possède son propre système de bonus : si vous gagnez le Tenno Sho Automne (fin octobre), la Japan Cup (fin novembre) et l’Arima Kinen, vous pouvez empocher un bonus de 100 millions [625.000 €, ndlr]. Malgré toutes ces mesures financières, ainsi que la création d’un nouveau centre de quarantaine sur l’hippodrome de Tokyo, il y a une baisse de la participation internationale…
Tout cela est-il donc suffisant ? Vos courses ne sont-elles pas, sur le plan des internationaux, les victimes collatérales du niveau très élevé des chevaux japonais, souvent qualifiés d’impossibles à battre sur leur terrain ?
Le manque de participation internationale est attribué à différents éléments : la situation géographique, l’adaptation aux pistes, l’amélioration du niveau des chevaux japonais et l’impact du yen dont le taux de change est défavorable. Je pense qu’il est essentiel que nous poursuivions nos efforts pour maintenir de bonnes relations avec les autorités de courses internationales à travers nos cinq bureaux à l’étranger (Londres, Paris, New York, Hongkong et Sydney) et à faire la promotion de nos courses à l’international. Cela fait partie de stratégies essentielles.
Des stratégies comme ?
Par exemple, on entend que nos pistes sont dures : ce n’est pas le cas, elles sont bonnes. Nous communiquons sur nos courses dans les médias, pour expliquer ce que sont nos pistes et nous faisons appel à des jockeys pouvant en parler, comme Ryan Moore par exemple.
Au Japon, la présence des chevaux stars a un impact direct sur les enjeux. Il n’y avait pas vraiment de stars au départ de la Japan Cup 2022. L’an dernier, il y avait Equinox, mais aussi la gagnante de la Triple Tiara Liberty Island, le meilleur cheval d’âge 2022 Titleholder… et les enjeux sur la course étaient en hausse de presque 23 % ! Le Japon ne peut qu’être fier de la réussite de ses meilleurs chevaux à l’international… Mais, paradoxalement, ces voyages sont-ils aussi problématiques pour vos courses ?
Il est magnifique de voir les chevaux japonais briller à l’étranger, ce qui met en avant le niveau de nos courses. Mais il est aussi extrêmement important pour les enjeux que nos meilleures courses tournent bien. Il est donc souhaitable que les top-chevaux japonais disputent nos courses. Nous savons que de nombreuses juridictions mettent beaucoup de choses en Å“uvre pour attirer des concurrents japonais puisqu’ils sont considérés de haut niveau. Nous savons aussi que gagner une course comme le Prix de l’Arc de Triomphe est un rêve important pour tous ceux impliqués dans le monde des courses au Japon. Nous, la J.R.A., l’organisateur des courses au Japon, travaillons pour que notre élevage soit fort et nous continuerons à poursuivre nos efforts afin d’augmenter encore l’enthousiasme autour de nos courses.
Mais si on vous demandait de choisir ce qui est préférable ? La réussite internationale ou voir les meilleurs chevaux évoluer au Japon en priorité ?
Je ne peux pas choisir ! Les deux sont aussi importants l’un que l’autre : nous avons besoin des enjeux mais nous avons aussi besoin que nos chevaux rayonnent à travers le monde, affrontent les meilleurs et ainsi faire progresser notre élevage. C’est un cycle.
« Nous avons besoin des enjeux mais nous avons aussi besoin que nos chevaux rayonnent à travers le monde »
Si vous deviez donner un conseil à la France, quel serait-il ?
Il est toujours difficile de comparer d’un pays à l’autre… Je dirais le cercle ! Faire venir les spectateurs aux courses, créer des fans qui parient, pouvoir ainsi augmenter les allocations et, par répercussion, faire progresser l’élevage, proposer des courses de qualité et continuer… Le cercle part du cheval, va vers le sport puis le pari, et ainsi de suite. Il faut remplir les hippodromes : 80 % de nos enjeux sont désormais online, mais pour que les gens aient envie de parier, ils doivent préalablement venir aux courses.
Viesta, le pari des courses… sans le pari
En novembre 2022, le tout premier espace Viesta a ouvert ses portes dans la ville de Sendai. On y diffuse les courses le week-end sans y vendre le moindre ticket de pari. Le but est de faire découvrir le sport hippique via une expérience immersive, avec des écrans géants et une grande qualité de son pour être au plus près de l’action. Pour voir à quoi cela ressemble, c’est ici.
La Japan Racing Association, mode d’emploi
– Le circuit de la Japan Racing Association comporte dix hippodromes, est actif le week-end et les jours fériés, avec en général douze courses par réunion.
– En 2022, 8.729 chevaux étaient à l’entraînement sur le circuit J.R.A., pour 196 entraîneurs et 146 jockeys.
– Vingt-quatre Grs1 (dont deux sur le dirt) se disputent sur le circuit J.R.A.. Quatorze sont sur 2.000m et plus, huit sur le mile et deux sur le sprint. Les 2.000 Guinées ont lieu sur 2.000m et le St Leger sur 3.000m. Â
– Sur les enjeux, le taux retour joueurs est fixé à 75 %, 10 % reviennent au gouvernement et 15 % sont partagés entre les allocations et les frais (chiffres 2022).
– Le circuit de la J.R.A. fonctionne en parallèle de celui de la N.A.R. (National Association of Racecourses), qui tourne en semaine et uniquement sur le dirt. En simplifiant, la J.R.A. est nationale (elle verse ses taxes au gouvernement national) et la N.A.R. est locale (elle verse ses taxes aux gouvernements locaux). Les deux circuits sont complémentaires, les chevaux ou jockeys sont affiliés J.R.A. ou N.A.R., mais il existe quelques passerelles entre les deux.
– La J.R.A. fête, en 2024, ses 70 ans.