Revenons au 12 décembre. L’élection de Guillaume de Saint-Seine vous a-t-elle surpris ?
Les résultats des élections ne m’ont pas surpris plus que ça. Je pense que c’est un excellent choix, car Guillaume de Saint-Seine est un homme d’affaires moderne. Je lui fais totalement confiance, comme à Jean-Pierre Barjon, pour défendre la filière. Quand je repense, plus globalement, aux élections, je me dis simplement qu’il y aurait peut-être des vertus à simplifier le mode électoral, au galop comme au trot : ce millefeuille est peu lisible – pour les non-initiés… et même pour les initiés. Un jour, il serait bon que le président de France Galop soit élu par tous les acteurs des courses, au suffrage direct.
Après seize années de présidence, avez-vous identifié un mode d’emploi ?
Ce qui est spécifique à l’organisation de France Galop et du Trot, c’est qu’il faut à la fois bousculer, moderniser, transformer pour entrer dans l’ère moderne, et à la fois rassurer, tranquilliser, pérenniser ce qui existe. Ce subtil équilibre n’est pas si simple. L’ADN de France Galop est très clivant. D’un côté, nous devons exercer des fonctions régaliennes avec tout ce que cela comporte, de l’autre, nous devons promouvoir notre activité et faire de la conquête. Permettre à ces deux démarches de coexister n’est pas évident, car ce ne sont pas les mêmes cultures, les mêmes réflexes. Ce qu’il faut réussir à trouver, plus largement, c’est l’équilibre entre la recette et la sélection.
Comment fait-on pour contenter tout le monde, de la base au sommet ?
Il faut beaucoup de pédagogie si l’on veut rassembler et réussir à trouver les bons équilibres. La base de la pyramide a besoin du haut et inversement. Il faut se donner le temps de faire les bons arbitrages tout en continuant à faire avancer le navire, car le monde extérieur n’attend pas les courses !
Puisque vous parlez du monde extérieur : pensez-vous que les courses devraient plus épouser les évolutions de la société ou, au contraire, est-ce une force pour elles de rester différentes et un peu hors du temps ?
J’ai dit, en quittant France Galop, que j’étais optimiste pour les courses. Les fondamentaux de notre activité sont excellents. Nous devons rester ce que nous sommes, tout en nous modernisant et en intégrant – à chaque fois que nous le pouvons – les nouvelles valeurs de la société. C’est ce que nous avons fait, par exemple, en accordant beaucoup plus de place aux femmes dans les pelotons.
Quelle est selon vous la plus grosse menace qui pèse sur les courses ?
[Édouard de Rothschild réfléchit de longues secondes avant de répondre…] Le danger est de se marginaliser. Le danger, c’est l’entre-soi. Le danger, c’est aussi de refuser d’évoluer. L’immobilisme. Oui : le conservatisme à outrance est, selon moi, le pire ennemi des courses. Il faut envisager les courses dans la société civile telle qu’elle est actuellement et non pas comme elle a été il y a cinquante ou cent ans.
« Le changement de distance du Prix du Jockey Club restera comme ma décision la plus structurante »
En seize ans de présidence, quelle est la mesure dont vous êtes le plus fier ?
[Du tac au tac] Le changement de distance du Prix du Jockey Club ! Avec le recul, Il s’agit de ma décision la plus structurante pour les courses et pour l’élevage. Elle avait été très mal reçue à l’époque, mais je savais que les avantages dépassaient largement les inconvénients et c’est pour cela que j’ai insisté.
Justement, pouvez-vous revenir sur cet épisode et nous expliquer pourquoi vous avez voulu raccourcir sa distance de 300m ?
J’avais observé que le Prix de Diane avait un bien meilleur rating que le Prix du Jockey Club. Le Prix Diane était unique en Europe, car il se courait sur une distance plus courte que celle des Oaks anglaises et irlandaises. Ces 2.100m permettaient de réunir des chevaux de vitesse et des chevaux qui avaient un peu plus de tenue. Chez les mâles, le Prix Lupin (Gr1, 2.100m) tenait un peu ce rôle, mais ce n’était pas une course classique et pourquoi disputer la finale avant la finale ? C’est comme cela qu’est née cette idée de se différencier des autres pays en ayant une course un peu exceptionnelle par sa distance. Cette idée n’est pas venue du jour au lendemain, j’y ai beaucoup réfléchi. Puis il a fallu que les autres y souscrivent. Le plus important fut que Louis Romanet adhère à cette idée. C’est lui qui m’a aidé à convaincre les différentes instances. Son soutien a été essentiel.
Très peu d’acteurs soutenaient votre démarche…
La décision était clivante et illustre à la perfection à quel point il est difficile de moderniser. Nous sommes dans le monde associatif et tout le monde donne son avis, tout le monde parle et il est important d’écouter tout le monde avant de façonner une décision.
Dans quelle situation pensez-vous confier les courses à votre successeur ?
Je pense que les courses sont en bien meilleur état. Elles s’inscrivent davantage dans le monde moderne qu’elles ne l’étaient en 2003. Elles se sont transformées et modernisées. La situation économique et financière est sans comparaison. J’ajouterais que l’ensemble est plus solide. Les relations entre le Galop, le Trot et le PMU se sont fluidifiées. Comme avec la Fédération nationale et Equidia. Thémis est une étape et il reste beaucoup à faire. En ce sens, peut-être un jour faudra-t-il se poser la question de la fusion des deux sociétés mères ?
La gestion de l’épisode du Covid restera sans doute un moment fort de vos années de président. Avec le recul, qu’est-ce que cela vous inspire ?
On dit que “gouverner, c’est provoquer la chance”. Et nous avons eu beaucoup de chance. Nous sommes parvenus à activer le bon levier pour pouvoir faire redémarrer les courses le plus tôt possible. La bonne personne a parlé au président de la République, un jour où il était disponible. Toutes les planètes étaient alignées. Les équipes ont aussi beaucoup travaillé, car il a fallu défaire et refaire le programme.
Vous disiez que les relations entre le Galop et les autres entités de l’Institution s’étaient améliorées. Mais qu’en est-il de celles avec l’État ? Se sont-elles améliorées en vingt ans ?
Oui et non. Elles sont tout à fait bonnes, mais nos interlocuteurs ne sont plus les décideurs. Les ministres et le chef de l’État conservent pas mal de distance avec les courses. Ils n’y viennent plus, d’ailleurs. Tout cela en raison de l’image qu’ils en ont. Ils ne s’impliquent plus. Ma famille et moi-même avons la chance d’avoir accès à des politiques mais cela ne suffit pas. Le problème, c’est que les courses, par rapport à l’équation globale de la société française, se sont marginalisées malheureusement. C’est pour cela qu’il est selon moi très important de sortir de l’entre-soi, qu’elles existent au-delà des gens qui en vivent.
Avez-vous des regrets ?
Oui, bien sûr. Rien n’est parfait et certainement pas moi. Un regret : j’aurais aimé être meilleur dans la satisfaction des propriétaires existants et dans la conquête des nouveaux. J’aurais aimé aller plus loin sur ce sujet.
Une question plus personnelle : qu’est-ce que cela a représenté, pour vous, d’être président de France Galop ?
J’ai été très heureux comme président de France Galop parce qu’il est formidable d’exercer des fonctions de management et de direction dans un secteur qui est aussi une passion. C’est très rare et donc d’autant plus satisfaisant. Être président de France Galop, c’est vraiment donner de son temps, mettre toute son énergie au service de sa passion.
« En devenant président, j’ai réussi là où mon père n’avait pu réussir »
En 2003, un confrère vous demandait à qui vous aviez pensé dans la minute de votre élection. Tout le monde s’attendait à ce que vous répondiez Jean-Luc Lagardère, mais vous avez cité votre père Guy…
C’est vrai. Mon père avait été candidat à la présidence de la Société d’Encouragement en 1974 et il avait été battu. Et là , en devenant président, j’ai réussi là où il n’avait pu réussir : je tirais un fil générationnel. C’était un sentiment fort. Avec mon père, nous ne parlions jamais d’économie, de business ou de politique. Ou alors très peu. Nous ne parlions que de courses. La transmission a été très forte et très naturelle.
Vous souvenez-vous de vos premiers pas à la tête de la société mère ?
Quand je suis devenu président de France Galop, je suis entré dans un univers très institutionnel, très formel, un peu pompeux et pas du tout moderne (rires). Tellement différent de ce que je connaissais dans la banque, où l’on est beaucoup plus décontracté ! C’est très feutré, on vous appelle “président”. Ça, c’est pour la forme. Sur le fond, on s’aperçoit d’emblée que les acteurs de courses sont très différents les uns des autres et qu’il va falloir réussir à faire le lien entre eux. On s’aperçoit aussi qu’il va falloir être disponible et répondre à tout le monde. Je venais d’arriver et j’ai mis un peu de temps à trouver les bons points de repère. Il faut à mon sens vivre une année complète pour vraiment faire un diagnostic et prendre la mesure du poste. On ne peut pas tout mettre en Å“uvre dans la minute, non pas parce qu’on est lent ou que l’on essaie d’obtenir l’adhésion de tous, mais parce que les choses ne sont pas exactement comme on les imagine et qu’il y a une série de sujets qu’il faut naturellement dépasser, en s’adaptant à son nouvel environnement sans perdre son regard extérieur. D’ailleurs, après avoir fait quatre mandats, je me suis aperçu que j’étais trop absorbé par le système pour avoir suffisamment de recul et continuer à le challenger.
On imagine les Rothschild plutôt classiques ; on a découvert un président “sans tabou”. D’où cela vient-il ?
De l’éducation que j’ai reçue et des expériences que j’ai traversées avant de rejoindre France Galop. C’est aussi lié à la génétique. J’ai peut-être hérité du côté de ma mère [Marie-Hélène Van Zuylen de Nyevelt, ndlr] d’un goût pour revisiter et ne pas avoir peur de secouer le cocotier. Je ne pense pas être quelqu’un de superficiel. J’aime bien appréhender les situations, les personnes, les sujets. Le diable est dans les détails et il ne suffit pas de tout survoler. Les détails ne doivent pas être le fil conducteur et j’aime bien aller au fond des choses.
Lorsque vous êtes battu par Bertrand Bélinguier en 2011, songiez-vous à ne plus jamais vous représenter ?
Même si ce n’est jamais agréable de perdre une élection, j’ai parfaitement compris ma défaite. J’étais très conscient que je passais pas mal de temps en dehors des courses, notamment à monter en concours. Au fond, ce n’était pas totalement compatible. En revanche, quand j’ai décidé de me représenter en 2015, il était clair dans ma tête que la présidence de France Galop serait un travail à plein temps, ce qui n’était pas du tout le cas avant. C’était la première fois que j’allais installer mon bureau principal à France Galop, et ce, alors que j’avais encore d’autres intérêts à côté.
Et c’est là que vous choisissez alors Olivier Delloye comme directeur général… Un vrai tandem.
Dans le monde moderne, je suis convaincu qu’on ne gère pas seul un secteur économique. Le monde moderne, c’est le collectif. J’avais bien noté qu’entre 2007 et 2011, l’une des difficultés avait été la succession de Louis Romanet. Il n’était pas question de refaire les mêmes erreurs. J’ai pris mon temps pour trouver la bonne personne et j’ai eu la chance qu’Oliver accepte, soit disponible et accepte de déménager à Paris.
« Je pense qu’avec Olivier Delloye, nous laissons la maison en ordre »
Comment va France Galop ?
Avec Olivier, nous laissons la maison en ordre. Il reste bien sûr des sujets à régler mais la nouvelle équipe hérite d’un France Galop opérationnel, très sain et socialement apaisé. De nombreux profils de grande qualité ont rejoint la société mère, aussi bien à la direction que dans les services. Et plus largement, je pense qu’avec Jean-Pierre Barjon, nous avons recruté plusieurs profils de grande qualité, comme Richard Viel et Emmanuelle Malecaze-Doublet au PMU ou Guillaume Herrnberger à l’Afasec. Je souhaite à nos successeurs de réussir beaucoup mieux que nous. Mais il faut qu’ils soient réalistes et aient conscience qu’un certain nombre de leviers ont déjà été activés.
Vous quittez la présidence mais pas France Galop dont vous êtes encore membre du comité. Allez-vous encore vous investir pour l’Institution et si oui, de quelle manière ?
J’aime vraiment beaucoup les courses et l’élevage. On ne passe pas seize ans de sa vie à la tête de France Galop sans être très concerné. En restant à ma place, sans vouloir porter la moindre ombre sur qui ce soit et sur les nouvelles équipes, je serai disponible si je peux rendre service. L’intérêt et la passion que je porte aux courses ne vont pas disparaître !
Est-ce que, parfois, il vous arrivait de songer : “En fait, mes chevaux courent mieux lorsque je suis président de France Galop” ou l’inverse ?
On profite bien plus de ses chevaux lorsqu’on n’est pas président de France Galop (rires) ! Lorsque vous êtes président, des sujets vous préoccupent un jour de courses, à commencer par le fonctionnement. Puis, ce qui est normal, les uns et les autres vous accaparent. Par rapport aux responsabilités que sont les vôtres, votre écurie passe au second plan, même quand vous courez un Gr1.
Vous avez parlé plus haut de Louis Romanet, quelles sont les autres personnes qui, dans votre parcours politique, vous ont marqué ?
Jean-Pierre Barjon représente une évolution très significative au Trot. Nous étions totalement complémentaires. La gestion du Covid, l’acquisition du nouveau siège : ce sont des opérations que nous avons menées ensemble. Il est, selon moi, plus impliqué dans les détails que ne l’était son prédécesseur. Et je dirais aussi : Jean-Luc Lagardère, qui m’a clairement marqué. C’est d’ailleurs à son initiative que j’ai été coopté. J’ai aussi eu beaucoup de plaisir à travailler avec les équipes de la BHA, avec Brian Kavanagh, le directeur de Horse Racing Ireland, avec Winfried Engelbrecht-Bresges, le directeur du Hongkong Jockey Club et président de la Fédération internationale ou encore avec Jim Gagliano, le patron des courses américaines.
La casaque Rothschild fait partie des casaques historiques du turf français. Quel est votre bilan à Meautry ?
J’en tire une très grande satisfaction. J’ai la chance de travailler avec Nick Bell et Patricia Boutin. Il faut beaucoup de résilience lorsqu’on est éleveur et propriétaire. Même si l’on s’y prend bien, que l’on utilise les meilleurs étalons, les meilleures juments, on peut passer un certain nombre d’années sans résultats. Il faut savoir se remettre en cause, essayer de faire mieux. Enfin j’ai la chance d’avoir deux de mes quatre enfants, mon aîné et mon dernier (David et Louis), qui s’intéressent aux courses et à l’élevage. C’est un stimulant fort car on se dit que tout ça va continuer. Grâce aux succès que nous avons connus cette année, ils se prennent davantage au jeu. En tout cas, je n’ai jamais fait de la transmission de ma passion des courses une obsession et c’est pour cela que je suis ravi de voir qu’ils y viennent par eux-mêmes.
Il y a aussi l’entraînement. Quel type de relation entretenez-vous avec André Fabre ?
Si vous voulez parler d’entraînement, je dois dire que chronologiquement, j’ai d’abord beaucoup appris, quand j’avais 18 ans, avec François Mathet. Avec un style différent, j’ai trouvé certaines de ses caractéristiques chez André Fabre. Ils ont un sens de l’organisation et de la discipline un peu de la même nature. Tous ont aussi en commun une très grande sensibilité, qui leur permet de “lire” les chevaux.
Même si vous donnez l’impression de ne jamais vraiment vous être soucié du regard des autres, quel souvenir aimeriez-vous que les acteurs du galop gardent de vous comme président de France Galop ?
Un homme passionné qui s’est donné beaucoup de mal. Une personne désintéressée qui a toujours essayé de privilégier l’intérêt général et la sélection. Si dans un siècle, on reparle des courses au début du XXIe siècle, je pense que l’on se souviendra de la réforme du Prix du Jockey Club.
L’hommage d’Olivier Delloye
Pour découvrir le discours d’Olivier Delloye en hommage à Édouard de Rothschild, le 7 décembre dernier, cliquez ici.