TETIERE SPECIAL ÉLECTIONS
Thierry Doumen : « La politique ultra-élitiste doit cesser ! »
Candidat au collège des éleveurs, Thierry Doumen évolue sous la bannière de l’Association des éleveurs et propriétaires indépendants (Aepi). Il nous a livré les grandes lignes de son programme pour l’élection à venir.
Par Guillaume Boutillon
gb@jourdegalop.com
Jour de Galop. – Lors de la dernière campagne, vous estimiez que France Galop s’était coupée de la base des courses. Est-ce toujours votre point de vue ?
Thierry Doumen. – Les déséquilibres causés par la politique ultra-élitiste menée ces dernières années par la société-mère se sont accentués. Il faut à tout prix y mettre un terme et changer de modèle. Il faut « oser » se lancer dans un plan de redéploiement, en sortant de l’idéologie actuelle, et ce avec une vision entrepreneuriale très forte. Je ne sais pas combien de temps nous maintiendrons le Titanic à flot ; mais quand le Titanic coule, il coule… Tout ce que l’on a fait ces 15 ou 20 dernières années a été de privilégier une élite, dont la spéculation commerciale est le moteur, au détriment des autres. Cette orientation court-termiste nous a d’ailleurs forcés à mettre des pansements sur une jambe de bois. Tout est en baisse : le nombre de courses, de chevaux, de socioprofessionnels, d’hippodromes, de paris… Les courses ont perdu du terrain dans tous les secteurs. Et à force de perdre du terrain, quand on a besoin de redévelopper, cela devient compliqué, car on n’a plus le réservoir pour redynamiser la filière. On a besoin d’un renversement très, très important !
Comment expliquez-vous cette situation ?
Pour commencer, France Galop, depuis 20 ans, s’est éloigné de son cÅ“ur de business, celui d’organiser des courses faites pour des joueurs français, des propriétaires français et des éleveurs français. Il faut revenir à ces fondamentaux. Nous sommes dans un marché d’offre : plus il y a de courses, plus il y a de joueurs, plus la filière se porte bien. L’État a confié à la société-mère cette mission d’organiser des courses qui, en plus, doit lui assurer un certain revenu. Un jour, l’État, qui a déjà perdu confiance en nous, nous dira stop : « On vous a confié une mission et cette mission, vous ne parvenez pas à l’assurer ! » Malheureusement, on voit que les acteurs des courses sont sous très forte tension financière. Comme la stratégie du PMU n’a pas porté ses fruits, le retour à la filière ne cesse de diminuer. Or, nous sommes supposés redistribuer les bénéfices en allocations, lesquelles doivent encourager les propriétaires à acheter des chevaux de course et les mettre à l’entraînement. Là , nous n’y sommes plus.
Parlons des éleveurs, dans quelle situation se trouvent-ils, selon vous ?
Comme les sociétés d’entraînement, les haras se trouvent sous grosse pression financière. Le marché s’est considérablement réduit pour les structures modestes. Depuis des années, on privilégie un segment qui s’est tourné vers la spéculation commerciale. La société-mère ne doit pas oublier que nous disposons en France d’un tissu d’éleveurs extrêmement talentueux, d’hommes et de femmes qui savent élever des chevaux de course, lesquels ne sont pas forcément destinés aux places de ventes sur le modèle que nous connaissons aujourd’hui. Il faut préserver ce savoir-faire français. C’est la base et il faut le remettre en valeur. C’est d’ailleurs cette base qui élève des chevaux dont les prix sont abordables, des chevaux « plaisir » qui vont aux courses et savent mener des carrières à long terme. Ce sont ces mêmes chevaux qui font la recette. Il ne faut pas oublier qu’un marché d’offre repose sur un marché domestique fort. Pour avoir beaucoup de propriétaires, il faut que l’accès aux chevaux soit raisonnable. Tous les propriétaires ne vont pas aller aux ventes acheter des sujets à 50.000 €, 100.000 €, 200.000 €, ou 1.000.000 d’euros. La porte d’entrée dans le propriétariat, c’est le cheval de course qui a été élevé pour courir. Un cheval dur, un cheval de sang classique, avec un programme qui devrait lui permettre de courir une fois par mois, toutes catégories confondues. Cela encouragera par ailleurs beaucoup de propriétaires à venir ou revenir vers l’élevage sans sol, ce qui contribue également à renforcer le modèle de nos éleveurs français.
Que proposez-vous justement pour le programme des courses ?
Ce qui est fondamental, c’est de recréer des courses pour ce réservoir de chevaux de moyennes et petites catégories. Environ 80 % des compétiteurs sont en dessous du niveau Quinté. Si on ne fait des courses que pour les 20 % de chevaux qui sont au-dessus du niveau Quinté, forcément il n’y a plus de partants. Au passage je ne comprends pas trop ce concept de mauvais cheval de course, comme l’expriment certains. Un propriétaire qui va aux courses et qui voit son cheval lutter pour les premières places dans une Classe 3 vibre. Et il vibre probablement autant que dans un Groupe ! Il faut probablement faire un effort important pour cette masse de chevaux. Il faut que les allocations dans ces catégories permettent des taux de couverture des frais d’entraînement supérieurs à 50 %. Cela permettrait vraiment d’encourager ces propriétaires à acheter des chevaux, à les mettre à l’entraînement et à les maintenir en compétition. Aujourd’hui, le taux de couverture est plutôt de 34 %. La situation actuelle est la suivante : les petits propriétaires voient leurs frais augmenter et leurs opportunités de se faire plaisir diminuer. Inverser cette tendance permettrait de redynamiser la filière.
Que proposez-vous pour les régions ?
C’est plutôt une bonne chose d’avoir imposé des cahiers des charges très stricts aux sociétés de courses régionales. Mais de quelle manière a-t-on aidé les présidents de ces sociétés ? Avons-nous mis des moyens humains, des moyens financiers ? Globalement, a-t-on procédé de la bonne manière avec les régions ? Moi, je ne le pense pas. À force d’avoir fermé des hippodromes, nous avons perdu ce merveilleux maillage dont nous disposions, celui qui permettait de mettre toute la filière en évidence. Par exemple, comment avons-nous pu fermer autant d’hippodromes dans la région Nord, laquelle dispose d’un énorme bassin de population et comment en arrive-t-on à décapiter la discipline de l’obstacle dans la région sud-est alors que l’intérêt des propriétaires et des turfistes y est reconnu ? Il faut donc impérativement arrêter de fermer des hippodromes, qu’ils soient petits ou grands. Je n’ai rien contre Compiègne, mais la perte d’Enghien est dramatique. On voit qu’Auteuil et Compiègne sont destinés aux mêmes chevaux, les spécialistes d’Enghien, des chevaux avec plus de vitesse, n’ont plus de programme, vu qu’ils n’ont plus d’hippodromes qui leur conviennent. Cette politique a donc causé des dommages collatéraux autant en bas qu’en haut.
Le salut des courses passe-t-il par le nombre de partants ?
Je ne connais toujours pas notre ligne de flottaison, c’est-à -dire en dessous de combien de chevaux à l’entraînement la situation n’est plus tenable. On commence vraiment à décrocher, comme l’ont fait avant nous l’Italie, l’Espagne, la Belgique ou encore l’Allemagne. J’avais posé la question au Comité de France Galop lors de la dernière mandature : « Si notre benchmark, c’est 10 milliards au PMU. Combien faut-il de courses ? Avec combien de partants ? En dessous de combien commence-t-on à décrocher ? Combien faut-il d’éleveurs ? De naissances ? D’entraîneurs ? » Je n’ai jamais eu de réponse. Enfin si… On m’a dit que la question était pertinente. Bref… On voit bien que l’on commence à se faire peur. Comme le galop perd des Quintés, ils essaient enfin d’optimiser le nombre de partants. Mais c’est dramatique d’en être arrivé là .
Que pensez-vous de la situation de l’obstacle ?
Le programme d’obstacle a été grandement saboté ces dernières années. Si rien n’est fait, la situation finira par ne plus être tenable. Sous la dernière mandature, le projet de graver le 2/3-1/3 dans les statuts avait un effet pervers : celui de déresponsabiliser l’obstacle. Le plus important est de vite repeupler les pelotons des courses qui ne sont pas de sélection. Celles-ci doivent s’approcher toujours des 12 partants, le seuil de rentabilité. L’idée de croire que l’obstacle n’intéresse pas les parieurs est totalement fausse. On sait bien que le parieur aujourd’hui apprécie la diversité. N’oublions pas que l’obstacle est la discipline reine outre-Manche. Pourquoi ne serait-ce pas le cas en France ?
Il faut donc ajouter plus de handicaps en obstacle ?
C’est une évidence. On n’a pas trouvé mieux pour générer plus de 12 partants par course. C’est un système qui marche. Partout ! En Angleterre, plus de 60 % des courses sont des handicaps. Et à Hongkong, c’est 90 %. Ici, en obstacle, on a seulement 20 % de handicaps… Mais il faut revoir toute l’architecture des courses à conditions. Le programme des courses doit forcer les chevaux à monter de catégorie quand ils gagnent. C’est ça le sport et c’est ça la sélection ! Quand on gagne une classe 4, on monte vers une classe 3. Mais on ne recourt pas une classe 4 théoriquement. Ou si on la recourt, on rend alors beaucoup de poids. Le poids n’a jamais été un problème pour le cheval de course. Les facteurs de risque sont le terrain et la vitesse. Pour l’obstacle, on a aujourd’hui beaucoup de Listeds et de Groupes pour femelles… Pour arranger qui ? Ça, je ne le sais pas ! Ces Listeds servent juste à faire obtenir aux juments leur caractère gras avant de les vendre outre-Manche, elles ou leurs produits. C’est de la pure spéculation commerciale et ce n’est pas le rôle premier du programme qui devrait avant tout encourager à maintenir les chevaux en compétition en France et attirer les bons reproducteurs sur notre sol. Aujourd’hui, je comprends que les gens du plat soient contrariés. Que les « petits du plat » financent la sélection dans cette discipline, d’accord, mais qu’ils la financent également en obstacle, ce n’est pas sérieux. L’obstacle doit se ressaisir. Si on perd l’obstacle, c’est autant de parieurs qu’on perd. On a besoin de l’obstacle. Et puis si on arrête l’obstacle, bientôt on arrêtera le plat…
« La régularité des courses doit être une priorité absolue »
Différentes affaires ont terni l’image des courses ces derniers mois. Vous prônez une démarche proactive : la lutte antidopage. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
La régularité des courses doit être une priorité absolue. Là encore, on paye 20 ans d’immobilisme des sociétés-mères. Aujourd’hui, on en est arrivé à ce que ce soit la police qui tranche. Ce n’est pas normal. Il faut qu’on soit beaucoup, beaucoup plus innovant sur la lutte antidopage. La méthode doit changer. On voit bien que, après les courses, la quasi-totalité des prélèvements sont négatifs. Il faut bien sûr maintenir ces prélèvements post-courses, mais il faut aussi développer les contrôles à l’entraînement et ceux aux partants probables. Et pas seulement en France. Car tout professionnel à l’étranger qui engage en France est soumis au code des courses françaises. Il faudrait aussi assurer une dose de proportionnalité en fonction de la taille des effectifs lors des contrôles à l’entraînement. Quand vous avez une écurie de dix chevaux, on prélève quatre chevaux à l’entraînement, le même nombre que pour un effectif de 150 chevaux… Le dopage n’est pas forcément qu’un problème de moyens, c’est également un problème de volonté.
Les Aepi vont-ils soutenir un candidat déjà annoncé ?
Pour l’instant, non. Nous y allons pas à pas. Il y a une première échéance : le 1er tour. Notre objectif est d‘obtenir un maximum de sièges au Comité de France Galop. Plus nous aurons de poids au Comité et plus nous pourrons choisir un président correspondant aux orientations de notre programme. Nous n’en sommes pas encore là . De toute façon, ce qui sera très important, ce sera d’avoir un Comité et Conseil d’administration très volontaires afin de mettre en place une politique de retournement.