Jean-Marc de Watrigant : « S’il y avait la guerre à cheval comme autrefois, je monterais Tidjani ! »
Ayant hissé le haras de Mandore au sommet de l’excellence, Jean-Marc de Watrigant fait partie des éleveurs, entraîneurs et propriétaires qui ont le plus compté sur l’odyssée du pur-sang arabe de course. Voici son histoire en dix chevaux.Â
Alors qu’il fête avec son personnel la réussite des dernières ventes Arqana de pur-sang arabes où Khalab (Manark) a réalisé le top price, Jean-Marc de Watrigant souligne une nouvelle fois « qu’on ne réussit pas tout seul » et que « c’est un accident qui m’a amené à l’élevage. J’étais paraplégique à 22 ans et on m’avait dit qu’à 30 ans, je serais mort. À 85 ans, je suis toujours là , donc la science s’est trompée. C’est cela qui m’a fait prendre la décision d’élever des chevaux et grâce à ces derniers, j’ai découvert que l’homme était peu de chose. » La réussite du haras de Mandore, dès les années 1980, est omniprésente chez les pur-sang arabes. « Quatre-vingt-dix pour cent des reproducteurs dans le monde ont du sang de chez nous et beaucoup sont issus de juments nées ici. Ces souches étaient exceptionnelles. Il faut être humble. Celui qui se croit fort est un imbécile heureux. Je ne le suis pas ou alors je suis un imbécile tout seul (rires). » Et il résume, « l’élevage, c’est du travail mais ce sont les chevaux qui m’ont amené là où je suis aujourd’hui et pas l’inverse. »
Manganate (Saint Laurent) – « Il était exceptionnel et m’en a donné d’autres très bons, comme Dormane. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé que le meilleur cheval que j’ai fait naître au cours de ma carrière, c’était lui, le premier : “Aux innocents les mains pleines” ».
Managhi (Saint Laurent) – « La sœur de Manganate a été une très bonne jument, qui n’avait trouvé que le bon Kesberoy(Saint Laurent) pour la battre. Elle a fait Cherifa (Chéri Bibi), une super jument, ainsi que Benji (Chéri Bibi), qui a été étalon mais est mort ensuite très vite. »
Dormane (Manganate) – « Un super cheval. Dormane était très dur, même si fragile dans ses articulations. Il a couru et a gagné très facilement à Kempton Park en 1988, avec Éric Hoyeau en selle. Quand il a mis pied à terre, il m’a demandé si je ne m’étais pas trompé de cheval. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a répondu : « Celui-là peut courir l’Arc. Au poteau, j’allais deux fois plus vite qu’eux. » Madame Val Bunting a dit qu’elle avait changé l’optique de son élevage en le voyant ce jour-là . Elle avait été impressionnée. Son propre frère, Majdel, a gagné pour le cheikh Mohammed Al Maktoum sur l’hippodrome de Varsovie. Le directeur des haras polonais m’avait félicité ce jour-là pour la beauté de mon cheval. C’est alors que j’ai compris qu’en Pologne, ils ne gardaient que les chevaux qui correspondaient à un certain type. S’ils avaient gagné en course, c’était un plus, mais pas fondamental. En France, on ne garde que ceux qui vont vite. »
Cherifa (Chéri Bibi) – « Elle m’a fait découvrir qu’on faisait des chevaux qui galopaient. Je veux dire qu’au début, on courait surtout dans le Sud-Ouest. À l’âge de 4ans, elle a été invitée à Kempton Park avec son propre frère Benji, qui avait, lui, 3ans, et avait peu couru en France. Tous les pays étaient représentés et les émirs avaient invité tout le monde du pur-sang arabe. Cherifa a gagné facilement les Dubai Stakes sur 2.100m et Benji en a fait de même sur 1.200m en ligne droite, les deux sous la selle de Pascal Adda, alors gentleman-rider. En gagnant les deux grandes courses de la journée, la France a été sur la carte mondiale des courses de pur-sang arabes. Il faut dire qu’à l’époque, le seul moyen de rentabiliser un cheval était de le vendre aux Haras nationaux et je crois que même eux ne se doutaient pas qu’on avait une telle qualité. »
Tidjani (Flipper) – « Un fils de Managhi et le frère de Cherifa. Le plus solide, c’était un cheval de fer. S’il y avait la guerre comme autrefois, j’aurais pris Tidjani ! Il rentrait des courses comme s’il n’avait jamais couru. Il n’était jamais fatigué. Il a produit remarquablement, même en endurance, même avec des juments quelconques. Il n’était ni le plus beau, ni le plus harmonieux mais il avait des membres magnifiques, une poitrine profonde, un vrai cheval de sport. Il a été invaincu et ensuite un chef de race, aussi bien en endurance qu’au galop. »
Djebbel (Djelfor) – « Par Cherifa, il était entraîné par Alban de Mieulle. C’était un super cheval de course mais très difficile à entraîner. »
Bengali d’Albret (Chéri Bibi) – « Je l’ai élevé même si je ne l’ai pas fait naître. Il a été acheté par le cheikh Hamdan Al Maktoum après avoir gagné trois fois pour moi et a été un très bon cheval de course, même si sa production a été moyenne comme étalon. »
Parador (Dormane) – « Je l’ai élevé. À 2ans, il ressemblait à un 4ans. Il a gagné à Dubaï et a marqué son époque, même s’il n’a pas très bien produit. D’ailleurs sa statue était devant l’ancien hippodrome de Nad Al Sheba. »
My Princesse (Manganate) – « Une des dernières filles de Cherifa et Manganate. Une belle et bonne jument morte en mettant bas malheureusement. »
Sahabba (Nizam) – « C’est plus récent. Elle a bien couru, se classant notamment deuxième de la bonne course à Abu Dhabi, la Sheikh Zayed bin Sultan Al Nahyan Jewel Crown (Gr1 PA) en 2015. »
Al Ghadeer (Al Mourtajez) – « Il est né chez madame Val Bunting puis est venu ensuite chez nous car on élève tous les mâles de monsieur Al Nujaifi. C’est un plaisir de travailler avec ce monsieur car sa famille élève des chevaux en Irak depuis 300 ans. C’est une longue histoire. Il a amené un potentiel génétique très différent de ce qu’on avait ici et cela fait merveille. Il a amené du sang neuf. Il n’y a pas de miracles, sauf à Lourdes. »
Pour terminer, il tient à souligner combien, en tant qu’éleveur, « c’est un soulagement de voir le marteau tomber lors d’une vente et que votre cheval part, entouré de courtiers qui vont prendre soin de lui et de le mettre dans une bonne maison. » Il clarifie cependant son propos en précisant « qu’on ne fait pas des chevaux pour les mettre au pré et les vendre ensuite à Arqana. C’est un ensemble. » D’ailleurs, il apprécie « de voir que les chevaux arabes sont associés désormais aux meilleurs jockeys et préparés par les meilleurs entraîneurs. Un cheval doit être élevé et entraîné par de bons pères de famille, des gens de qualité. Si vous respectez les chevaux, ils vous le rendent. » Et de conclure, « c’est passionnant d’élever. »