Big Rock a gagné les « Queen II » d’une manière « Frankelesque », mais il n’est pas Frankel pour autant. On se souvient que le crack de Juddmonte avait laissé Excelebration à quatre longueurs dans le Gr1, sur un tout autre terrain. L’année suivante, sur les 1.600m de la ligne droite d’Ascot, il avait « collé » onze longueurs à son rival. Reste que, terrain creusant les écarts ou non, la facilité avec laquelle Big Rock s’impose est déconcertante : « C’était l’un des meilleurs miles de l’année, le lot était très relevé. J’étais très content qu’il pleuve, je savais que ça n’allait pas déranger Big Rock, au contraire. Nous attendions la pluie depuis un petit moment. J’espérais que le poulain réalise une belle performance. On espère toujours gagner mais on sait qu’il y a Paddington par exemple, qui s’était sorti du terrain à Goodwood. Il est difficile d’imaginer que l’on puisse s’imposer aussi facilement. Il l’avait fait dans le Guiche mais c’était un Gr3. Je suis nettement détaché à l’intersection des pistes mais la route est encore longue. Les chevaux anglais et irlandais sont durs, capables de revenir. Aux 200m, je regarde l’écran géant et je vois qu’ils sont encore très loin. Je sais, à ce moment-là , qu’ils ne pourront pas nous remonter. À 50m, Big Rock est relâché. Au passage du poteau, c’était incroyable. J’étais déjà amoureux de Big Rock, je crois que cela ne va pas s’arranger (rires) ! Avec Royal Ascot, c’est tout de même une journée de courses à part, donc gagner un premier Gr1 en Angleterre là -bas est une fierté. Nous sommes partis après les Champion Stakes et le retour de Frankie Dettori dans le rond des gagnants. On se croyait alors en finale de Ligue de Champions ! »
Par Anne-Louise Échevin
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Pour l’anecdote, Franco Raimondi s’est plongé dans ses archives. Dubai Millenium s’était également imposé de six longueurs mais à une autre époque, sur le parcours avec tournant, tout comme Bahri, ou encore Homing avant lui. Si l’on remonte encore le palmarès, Brigadier Gerard avait gagné l’épreuve par six longueurs à 4ans. Il avait fait encore plus fort l’année précédente, à 3ans : huit longueurs. Le record de distance dans le Gr1 appartient cependant à Reform : dix longueurs en 1967. Autre course, autre époque.
La meilleure saison de sa vie
Aurélien Lemaître a gagné cinq Grs1 en 2023 : trois avec Blue Rose Cen (Poule d’Essai, Diane et Opéra), un avec Big Rock ainsi que le Qatar Prix de Royallieu avec Sea Silk Road. « Évidemment, c’est ma plus belle saison. J’avais gagné pas mal de courses black types en 2018 mais cinq Grs1, c’est autre chose. » La saison est magnifique mais l’été a été frustrant. Blue Rose Cen a été battue à Goodwood et dans le Vermeille. Big Rock est deuxième du Marois et du Moulin. Et il faut encore ajouter une deuxième place de Gr1 avec Ramatuelle (K), tombée sur Vandeek dans le Morny ! « Il y a toujours des déceptions. Mais, très franchement, quand je suis battu dans le Morny, je sais que ce n’est pas par n’importe qui et nous l’avons tous constaté ensuite. Je savais que je montais une championne en Ramatuelle. Vandeek n’était pas bien loti à 300m du poteau, il a réussi à me contourner et à venir me chercher. Ce jour-là , il réalisait quelque chose de hors du commun. »
De Head à Head
Quatre des cinq Grs1 2023 d’Aurélien Lemaitre ont été remportés avec des pensionnaires de Christopher Head. Entre le jockey et les Head, c’est une longue histoire. Freddy Head a été son seul patron en France et l’histoire se poursuit désormais avec son fils. « J’ai longtemps été au service de Freddy Head, puis je suis passé freelance lors de ses dernières années d’entraînement, il n’avait plus beaucoup de chevaux à me confier. J’ai donc connu Christopher quand il travaillait avec son père. Quand il s’est installé, il m’a demandé si je pouvais l’aider. J’avais moins de galops à faire pour Freddy Head, nous avons réussi à trouver la possibilité de travailler ensemble et cela a matché ! Forcément, on se connaissait bien à ce moment-là et nous avons une relation de confiance et d’amitié. Mais il faut faire la part des choses et être professionnel. Le travail, c’est le travail ! »
Christopher Head dit souvent que son père lui a tout appris. Les méthodes d’entraînement ne sont pas les mêmes pour autant. « Avec Christopher, j’ai découvert une nouvelle méthode de travail. Cela étant dit, cela ne me touche pas directement. Je suis là pour galoper les chevaux, donc cela ne change pas grand-chose ! Christopher, de son côté, s’est mis à la page en utilisant les nouvelles technologies en support. Nous avons quelques années de retard sur le sujet, quand on voit ce qu’il se fait en Australie par exemple. »
Se créer une réputation internationale
Logiquement, on parle beaucoup de la relation entre Aurélien Lemaître et Christopher Head. Le jockey a gagné, en 2023, son premier Gr1 britannique mais il a aussi gagné pour la première fois à ce niveau pour un entraîneur britannique : le Royallieu avec Sea Silk Road, entraînée par William Haggas. Dans ses victoires black types de l’année, on note aussi le Prix de Bagatelle (L) pour Joseph O’Brien et le Yacowlef pour Amy Murphy. « J’avais gagné le Prix Solitude l’an passé pour William Haggas. Quand mon agent me prévient que je vais monter Sea Silk Road pour lui dans le Royallieu, je suis forcément très content ! Monter pour un tel entraîneur lors d’un week-end aussi important, c’est prestigieux. Et je sais que j’ai une vraie chance. Je l’ai eu au téléphone avant la course, il m’a donné des ordres à la fois détaillés et simples. Quand je suis dans le sillage de Mickaël Barzalona [en selle sur Melo Melo, ndlr], je suis confiant, je connais la pointe de la jument. Elle savait ce qu’elle avait à faire. »
Développer les contacts à l’international est aussi une clé du succès. Aurélien Lemaître a déjà passé quelques hivers aux États-Unis dans le passé. La rumeur parle d’une licence provisoire au Japon durant l’hiver 2024. Entre les top-jockeys européens et australiens, les places y sont chères : « Nous avons fait la demande et nous attendons la réponse. Théoriquement, je remplis les conditions, j’ai gagné des Grs1 qualificatifs, je suis dans le top 5 en France. Je sais qu’il y a beaucoup de demandes, nous croisons les doigts. »
Et ensuite ?
« Vais-je pouvoir faire mieux que cinq Grs1 dans l’année ? On va essayer ! » Pas impossible. La bonne nouvelle est que Blue Rose Cen, Big Rock ou encore Ramatuelle seront de retour à l’entraînement l’an prochain. « Il y aura de bonnes cartouches. Encore une fois, tout peut basculer d’une année sur l’autre mais il y a des espoirs. Avec Blue Rose Cen ou Big Rock notamment, nous avons des chevaux qui peuvent viser de belles épreuves à l’international. Il faut qu’ils restent en forme. » Et une Cravache d’or ? « Cela nous fait tous rêver mais on sait à quel point c’est difficile sans avoir le soutien de grandes structures qui ont de la qualité mais aussi de la quantité. Cette année le montre encore. Maxime Guyon a l’appui de l’écurie Wertheimer & Frère, Mickaël Barzalona celui de Godolphin ainsi que de Francis-Henri Graffard et Cristian Demuro a la force de frappe de l’écurie de Jean-Claude Rouget. C’est très difficile de jouer à armes égales avec eux. Je serais déjà ravi d’intégrer le top 3. »