Comment Kamel Chehboub est devenu l’homme fort du galop français
Par Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
Kamel Chehboub est un homme de peu de mots, dans la retenue même après une victoire dans l’Arc. Pourtant, il est devenu au fil des ans, et jusqu’à ce climax de sa vie de propriétaire, l’homme le plus important du galop français. Exagéré ? Non ! Les deux meilleurs 3ans français, Ace Impact et Horizon Doré, évoluent sous la casaque familiale, celle de Gousserie Racing. Sealiway est le jeune étalon qui a le mieux fonctionné en 2023. Il préside une société des courses clé, celle de Marseille… Jean-Claude Rouget a souligné son audace. Pour comprendre sa réussite, il faut ajouter son esprit de bâtisseur. Car le succès de la Gousserie s’est construit brique après brique.
Lavayssière, une petite alezane dont personne ne voulait
La première de ces briques, c’est l’acquisition de parts de chevaux dans des réclamers. Nous sommes dans les années 1980 et Kamel et Bouzid Chehboub ne sont alors que des “mordus” qui investissent – de façon modérée – dans leur passion. Ils changent de dimension grâce à une pouliche nommée Lavayssière (Sicyos), dont personne ne voulait aux ventes, qui s’est accidentée dès sa deuxième sortie et qui, malgré son handicap, va courir en plat comme en obstacle jusqu’à l’âge de 5ans, terminant sa carrière avec plus de 100.000 € de gains. Elle a gagné sa place au haras. Sept produits de cette jument ont couru et cinq sont black types, le meilleur étant Spirit One, gagnant de l’Arlington Million (Gr1) et du Prix des Chênes (Gr3). Lavayssière a également donné Salsalava (Kingsalsa), Salsalavie (Fly to the Stars), Spirit of the King (Kingsalsa) et Master’s Spirit (Mastercraftsman), tous black types ! Kamel Chehboub rendait hommage à sa jument de cÅ“ur dans nos colonnes au moment de sa disparition, en 2016 : « Nous avons acquis cette jument il y a une vingtaine d’années, chez ses éleveurs, la famille Campos. Ils n’avaient pas réussi à la vendre à Deauville. Elle était petite et alezane. C’était notre première jument et elle nous a permis de connaître le succès dès nos premiers pas en tant qu’éleveurs et propriétaires. Elle a démarré sa carrière par une proche deuxième place dans une course B, au mois d’avril de ses 2ans. Accidentée lors de sa deuxième sortie, elle a gagné sept courses pendant sa carrière malgré ce handicap. Cette jument a couru cinquante-sept fois, y compris en obstacle. Elle faisait toutes les distances et tous les terrains. Elle ne nous laisse qu’un seul regret : le fait de n’avoir produit qu’une seule femelle, Spirit of Queen (Galileo). Nous l’avons gardée à la reproduction et elle nous a donné l’intéressant Salut Lionel (Air Chief Marshal), qui a gagné deux courses cette année. Son fils Spirit One produit de bons chevaux de course et nous avons intégré dans notre élevage plusieurs filles de cet étalon. L’aventure se poursuit donc aussi grâce à lui et à ses descendants. Lavayssière, c’est la jument d’une vie. »
L’élevage maison, mais aussi l’achat de yearlings
En 2012, nouvelle brique. Les frères Chehboub doivent trouver un lieu pour y stationner leurs poulinières, après les difficultés rencontrées par Bertrand Gouin, qui accueillait leurs juments au haras de Lonray. Ils jettent leur dévolu sur une structure située en Mayenne, sur laquelle ils peuvent aussi effectuer le débourrage et le pré-entraînement de leurs élèves. C’est le haras de la Gousserie.
Les Chehboub auraient pu se contenter d’exploiter leurs produits, puisqu’ils ont toujours élevé pour courir et non pour vendre. Mais ils ont continué d’investir dans les yearlings, « achetant malin plutôt qu’à la mode », comme nous l’expliquait Kamel Chehboub il y a quelques années. Parmi ces achats malins figure la pierre angulaire de la Gousserie 2.0. En août 2019, Paul Nataf lève la main à 62.000 € pour un yearling (alezan, comme Lavayssière !) de l’étalon de deuxième production Galiway, dont les premiers 2ans n’ont pas encore brillé au niveau black type. Il est présenté par Colleville et c’est le troisième produit de sa mère, Kensea (Kendargent), black type à 2ans. La famille Chehboub s’associe avec l’éleveur, Guy Pariente. La suite, c’est un succès dans le Qatar Prix Jean-Luc Lagardère (Gr1), une deuxième place dans le Qatar Prix du Jockey Club (Gr1), une semi-rentrée (l’audace toujours !) dans le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1) avec une cinquième place à la clé et une victoire dans les Champion Stakes (Gr1). Galiway, lui, deviendra l’un des tout meilleurs étalons de sa génération en Europe selon le taux de black types par partants.
Une cour à Chantilly, un haras en Normandie
L’effectif s’accroît et les Chehboub structurent de plus en plus leur écurie. En septembre 2021, ils font l’acquisition d’une cour à Chantilly. C’est désormais Philippe Decouz qui a la responsabilité de la petite vingtaine de chevaux basés en région parisienne, alors que le reste des troupes, naturellement, est réparti entre les entraîneurs basés à Calas.
Un an plus tard, Sealiway est prêt à entrer au haras. Comme Gérard Augustin-Normand l’a fait en son temps avec Le Havre, la famille Chehboub voit grand. Ils achètent une annexe du Quesnay, juste à côté de Deauville. Le haras de Beaumont – dont la direction est confiée à Mathieu Alex – accueille Sealiway, mais aussi Intello et Stunning Spirit, et à terme Ace Impact. Plus qu’un haras, c’est un véritable projet d’envergure dont Ace Impact écrira une nouvelle page dès 2024.
Kamel Chehboub a pris la présidence de la société hippique de Marseille l’été dernier. Propriétaire d’hypermarchés dans la région marseillaise, il a pris du recul dans ses affaires pour consacrer plus de temps à son écurie de courses, à son élevage, mais aussi à l’institution. Certains l’imaginent bien siéger au comité de France Galop, au titre des postes réservés aux présidents des grandes sociétés de courses. Son expérience professionnelle et sa réussite dans les courses feraient également de lui un possible administrateur de France Galop à partir de la mi-décembre.Â