On commence par l’enfance, passée à Marseille, et « pas dans des quartiers faciles ! » Kamel Chehboub raconte : « Nous sommes six frères et sœurs. Mon père, chauffeur routier, est arrivé d’Algérie au moment de l’indépendance. Nous sommes tous nés à Marseille. Nous avons eu des trajectoires différentes, mais avec une valeur commune, insufflée par nos parents : le dépassement de soi, dans tous les domaines. Ma passion des courses, elle vient de mon père, qui nous amenait tout petits sur les hippodromes marseillais. Bouzid et moi étions les plus mordus. On s’était dit qu’on deviendrait propriétaires quand on en aurait les moyens. »
Les deux frères lancent leur activité de négoce international dans l’alimentaire, et il y a 25 ans, ils peuvent mettre leur projet « cheval » en route. L’aventure débute avec une certaine Lavayssière. On est à la fin des années 90. La jument courra plus d’une quarantaine de fois pour la casaque de Kamel Chehboub, puis de son frère, Bouzid, en plat comme en obstacle. Quand l’heure de la retraite sonne, pas question de s’en séparer. Lavayssière devient poulinière au haras de Lonray. La fille de Sicyos se révèle une poulinière hors norme, donnant cinq black types. « Cela nous paraissait naturel d’aller au bout des choses, et donc d’élever. Nous avons commencé avec deux juments, Lavayssière et Nera Zilzal. Nous étions alors éleveurs sans sol, et les juments étaient placées au haras de Lonray. »
De Lavayssière à Spirit One
Lavayssière produit d’emblée Salsalava, gagnant de plusieurs Listeds, et quatrième du Critérium de Saint-Cloud. Puis vient Spirit One, la première grande émotion de Kamel Chehboub. Sous l’entraînement de Philippe Demercastel, Spirit One remporte l’Arlington Million (Gr1). « J’ai toujours gardé des liens forts avec Philippe Demercastel, qui nous a initiés aux grandes courses. C’est lui qui a entraîné tous les produits de Lavayssière. Gagner aux États-Unis avec un cheval que nous avons élevé, c’était exceptionnel. Sa victoire est restée gravée. » Quand Bertrand Gouin a dû cesser son activité au haras de Lonray, les Chehboub décident d’investir dans leur propre structure. Ils achètent le haras de la Gousserie, en Mayenne. « J’ai toujours considéré notre activité courses et élevage comme une activité professionnelle, dans le sens où tout investissement est raisonné, sans jamais dépenser plus que ce que nos moyens le permettent. » Comme dans ses affaires professionnelles, la valeur confiance est une clé dans le fonctionnement de Kamel Chehboub. « Nous sommes sur la même ligne avec mon frère Bouzid. Et je suis heureux aujourd’hui de travailler avec ma fille Pauline, qui s’occupe de la partie courses. Sans elle, je ne pense pas que nous aurions évolué aussi vite. Notre parcours, nous ne le devons qu’à nous-mêmes. Notre philosophie, c’est toujours essayer d’avoir un coup d’avance. »
Beaumont, tout sauf de l’improvisation
Ce coup d’avance s’est matérialisé par l’achat du haras de Beaumont. « Il y a cinq ans, avec mon frère, nous avons décidé de ralentir l’activité commerciale de notre société, de conserver l’activité immobilière que gèrent mes deux autres enfants, et de développer la partie cheval. Il y a trois ans, nous avons souhaité arrêter l’élevage en Mayenne, parce que les résultats n’étaient pas là , et que les structures ne correspondaient pas à nos ambitions. Nous avons fait cela progressivement. Beaumont est venu de notre rencontre avec Mathieu Alex, que nous connaissions depuis plus de vingt ans, à l’époque où il travaillait pour Coolmore. Quand il a su que nous arrêtions l’élevage à Laval, nous avons réfléchi à un projet à développer ensemble. Ensuite, nous nous sommes mis à la recherche de l’endroit idéal. Le projet de départ était de créer une entité pour faire venir des étalons de qualité, dont Sealiway serait la pierre angulaire. Tout a été pensé, structuré, avec cette idée de la transmission à nos enfants également. Nous avons amené notre connaissance de la gestion ; Mathieu son expertise sur les chevaux. » Quelques années auparavant, les Chehboub avaient investi dans une antenne à Chantilly. « Là aussi, c’était un projet mûrement réfléchi. Il fallait trouver l’écurie qui correspondait. L’idée a toujours été de dispatcher les chevaux entre Chantilly et le Sud-Est, comme on l’a toujours fait. »
Autre illustration de la stratégie du « coup d’avance » : l’achat de la moitié d’Ace Impact après son succès dans le Qatar Prix du Jockey Club : « Je dirais que cet investissement – car il s’agit d’un investissement – s’est fait de façon naturelle. Nous étions à la recherche d’étalons de premier plan pour Beaumont. Nous sommes passés à côté de deux ou trois profils intéressants. Quand nous avons senti qu’il y avait la possibilité de récupérer un cheval de ce niveau, qui était sur le marché, nous n’avons pas hésité. Il venait de gagner le Jockey Club en temps record, ce qui était suffisant pour sa carrière d’étalon. Le courant avec Serge Stempniak est passé dès la première rencontre. Sinon, l’association n’aurait pas eu lieu ! Tout est fluide entre nous. Remporter l’Arc, c’est la cerise sur le gâteau… »
Un peu de solidarité…
Cette victoire dans l’Arc, Kamel Chehboub semble l’avoir vécue de façon très « intérieure ». « Je suis de nature calme. Mais il y a aussi le fait que le cheval était favori de l’Arc. C’était presque naturel qu’il s’impose, vu ce qu’il avait fait. Il ne m’a pas surpris. Bon, quand on est sur le podium et quand on entend la Marseillaise, c’est dur de rester insensible ! Et je savais que mon père regardait cela à la télévision. Je suis heureux de lui avoir apporté ce bonheur et je pense qu’il est fier de ses enfants ! Ce qui m’a le plus touché, c’est qu’une bonne partie du monde des courses françaises était heureuse de voir gagner ce cheval-là , heureux de savoir qu’il resterait faire la monte sur notre sol. En France, trop de gens ont une vision trop négative de la réussite. De voir Longchamp heureux de la victoire du cheval, cela montre qu’il y a peut-être une évolution de ce côté… Nous avons voulu partager cette victoire en exposant le trophée pendant les ventes. Ce partage dans les courses, cela devrait couler de source. C’est peut-être ce qui manque un peu. Nous devons être un peu plus solidaires dans les courses. »
Cette volonté de partage s’illustre aussi dans l’implication de Kamel Chehboub au sein de l’institution. Il est président de la Société hippique de Marseille, notamment : « Je suis un peu plus libre et j’ai voulu participer à l’évolution de la Société hippique de Marseille. J’ai toujours œuvré au sein de la Fédération des éleveurs et au Syndicat des propriétaires. Beaucoup trop de personnes critiquent les institutions sans jamais vouloir s’y impliquer. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Monsieur Rothschild ne se représente pas. Il a donné 16 ans de sa vie à France Galop. Les courses doivent évoluer avec leur temps. J’espère que les prochaines personnes feront en sorte d’avoir un Conseil d’administration avec des membres qui veulent vraiment s’impliquer. » Le chef d’entreprise n’est jamais bien loin…