Alix Choppin : « En matière de deuxième vie des chevaux de course, il reste encore beaucoup à faire ! »
Vice-présidente de l’association Au-delà des pistes, Alix Choppin souhaite alerter sur le chemin restant à parcourir pour la deuxième vie des chevaux de course.
Jour de Galop. – Pourquoi souhaiter aujourd’hui alerter les futurs dirigeants du galop français sur le sujet de la reconversion des chevaux de course ?
Alix Choppin. – Nous avons remarqué que le sujet de la reconversion et plus généralement de la deuxième vie des chevaux de course était quasiment absent du programme des candidats. Certains nous encouragent à y voir un compliment indirect pour l’efficacité de notre action, et pensent nous rassurer en nous disant qu’il n’y aura pas de retour en arrière en matière d’engagement de l’institution en faveur de l’« aftercare ». Le problème, c’est que, de notre point de vue, nous ne sommes qu’au milieu du gué ! Certes, beaucoup de choses ont évolué ces dernières années, notamment, mais pas seulement, grâce à l’action d’Au-delà des pistes et au partenariat signé avec France Galop en 2019. Mais il ne faut pas croire que le problème est réglé et qu’il suffira au nouveau président de maintenir le statu quo. Il reste beaucoup à faire pour être à la hauteur des responsabilités que l’opinion publique nous assigne vis-à -vis des chevaux que nous faisons naître.Â
Justement, depuis la création d’ADDP, quels progrès ont-ils été accomplis sur ce sujet qui préoccupe beaucoup la société dans son ensemble ?
Au-delà des pistes apporte une solution « officielle » à la filière, avec des garanties de qualité puisque toutes les structures de reconversion que nous référençons répondent à un cahier des charges strict et sont auditées chaque année. Nous sommes aussi là pour proposer des solutions lorsque des problèmes apparaissent en aval de la reconversion, par exemple lorsque l’acheteur d’un cheval réformé rencontre des difficultés financières ou un accident de la vie qui l’oblige à s’en séparer. Nous apportons aux structures de reconversion une aide juridique en cas de litige avec un acquéreur, grâce à l’aide de l’avocate Blanche de Granvilliers. Nous offrons un « filet de sécurité » pour tous les pur-sang qui se retrouvent en situation de négligence ou d’abandon, quel que soit leur âge. Enfin, et peut-être surtout, nous menons un gros travail de sensibilisation aussi bien à destination des socioprofessionnels des courses que des équitants et, plus largement, du grand public, au travers des journées de la reconversion, des parades des champions, d’interventions dans de grands événements équestres comme Equita’Lyon et d’une importante communication sur les réseaux sociaux. Ces efforts de promotion et de pédagogie vis-à -vis des personnes extérieures à la filière nous paraissent essentiels pour préserver l’image de notre sport et défendre sa légitimité vis-à -vis de l’opinion publique – la fameuse « social licence » chère aux Anglo-Saxons. Valoriser le soin que nous prenons de nos chevaux tout au long de leur vie est également un facteur d’attractivité pour le recrutement de futurs propriétaires ou de futurs salariés pour nos entreprises.
« Il est nécessaire de pérenniser l’action d’Au-delà des pistes en renforçant l’engagement financier de l’ensemble des acteurs de la filière »
Que reste-t-il à faire ?
Tout d’abord, il est nécessaire de pérenniser l’action d’Au-delà des pistes en renforçant l’engagement financier de l’ensemble des acteurs de la filière et, pour cela, les sociétés mères doivent donner l’impulsion en affichant une attitude très volontariste. Actuellement, France Galop octroie à nos actions un budget annuel maximum de 135.000 €, qui couvre 50 % de nos dépenses et est exclusivement alloué au soutien financier envers les chevaux réformés sur blessure, aux prises en charge d’urgence ainsi qu’à la gestion et à l’animation de notre réseau national de structures de reconversion. Mais le nombre de chevaux qui nous sont confiés augmente chaque année, et notamment le nombre de chevaux qui nécessitent des soins, pour lesquels les coûts sont les plus importants. Pour couvrir ces coûts en augmentation, nous organisons de nombreuses levées de fonds, mais ces opérations sont très chronophages et tendent à s’essouffler car ce sont souvent les mêmes personnes qui acceptent de donner. De plus, leur résultat est parfois aléatoire comme cela a été le cas récemment avec la « Promesse de l’Arc » : beaucoup de professionnels nous avaient promis un don en cas de performance de leur représentant… mais la glorieuse incertitude du turf en a voulu autrement !
Il nous semblerait donc plus légitime et pérenne que l’ensemble des acteurs des courses contribuent régulièrement au financement de la deuxième vie des chevaux qu’ils font naître, entraînent, font courir et montent. Depuis le début de l’année 2023, chaque membre de France Galop percevant des gains peut faire le choix d’en reverser 1/1.000 à ADDP, sous forme d’un prélèvement automatique mensuel. Mais cette information a encore très peu circulé et il y a un énorme travail de communication et de sensibilisation à faire pour que la majorité des propriétaires, éleveurs, entraîneurs et jockeys souscrivent à ce dispositif volontaire.
Il faut aussi trouver le moyen de faire participer les autres professionnels qui gagnent leur vie grâce aux chevaux de course sans être membres de France Galop : Arqana est devenu partenaire d’ADDP cette année et nous l’en remercions vivement, mais les courtiers, vétérinaires, assureurs, etc. ne sont pas encore associés au financement de la reconversion. Nous avons aussi contacté le PMU, qui nous a légitimement répondu que la décision revenait in fine aux sociétés mères…
« Trop de chevaux réformés disparaissent « dans la nature », faute de procédures de traçabilité adéquates »
Quels autres sujets sont encore insuffisamment traités selon vous ?
Il y a énormément à faire sur la question de la traçabilité. Le grand public estime que la filière hippique est responsable jusqu’à la fin de leur vie des chevaux qu’elle fait naître pour ses propres besoins. Or, aujourd’hui, trop de chevaux réformés disparaissent « dans la nature », faute de procédures de traçabilité adéquates. La plupart des chevaux réformés sont encore déclarés en « sortie provisoire » auprès de France Galop, au même titre que des juments parties à l’élevage. Ce qui fait que nous ne sommes toujours pas capables de répondre à la première question que nous posent des personnes extérieures à la filière lorsque nous présentons notre association : « Combien de chevaux sont réformés chaque année ? » Pour tous les chevaux qui sont vendus ou donnés à une structure membre du réseau Au-delà des pistes, nous prenons en charge les formalités administratives pour qu’ils soient inscrits en « sortie définitive » auprès de France Galop, qu’il leur soit interdit de recourir et que la carte de propriétaire soit mise à jour. Mais ce sont des papiers à remplir, il faut envoyer le livret à France Galop, cela coûte de l’argent… Donc, pour tous les chevaux qui sont réformés dans des circuits informels, par l’intermédiaire du cavalier d’entraînement, qui connaît quelqu’un ou le centre équestre du coin, ces formalités ne sont pas faites.
Nous appelons à ce qu’un travail de grande ampleur soit mené par France Galop en partenariat avec l’IFCE, qui gère le stud-book et la base SIRE, et la Fédération française d’équitation, dont la base de données recense de nombreux chevaux avec un suffixe PS ou AQPS qui concourent dans diverses disciplines ou appartiennent à des centres équestres. Nous venons de créer au sein d’Au-delà des pistes un poste de responsable traçabilité, suivi et analyses, occupé par Mégane Martins, pour travailler sur ces questions, mais nous ne pouvons pas avancer sur ce vaste sujet sans une volonté politique et la pleine collaboration de l’institution.
La traçabilité commence d’ailleurs sur l’hippodrome…
En effet, nous souhaitons attirer l’attention de l’ensemble des acteurs de la filière sur la nécessité d’améliorer le suivi des accidents survenus en course. Aujourd’hui, lorsqu’un cheval s’accidente sur un hippodrome et que le vétérinaire juge qu’il ne doit pas être euthanasié car la blessure est « réparable », il rentre chez son entraîneur avec un pansement ou un bandage et l’incident est considéré comme clos. Mais, bien souvent, quelques jours plus tard, le propriétaire, qui est parfois l’entraîneur lui-même, nous appelle en urgence car il n’a pas les moyens de supporter les frais vétérinaires liés à la convalescence. Nous trouvons que ce n’est pas une décision qu’Au-delà des pistes doit avoir à prendre seul, au pied du mur, avec comme seule alternative l’abattoir. À notre sens, cette discussion devrait commencer sur l’hippodrome, avec les commissaires, qui représentent l’institution, et le vétérinaire de permanence : si l’euthanasie peut être évitée, de quels soins le cheval va-t-il avoir besoin, et combien cela va-t-il coûter ? Si le propriétaire estime ne pas avoir les moyens d’assumer ces frais, qui peuvent être importants, quels dispositifs de solidarité peuvent être activés ? Nous devons pleinement assumer les risques que notre sport fait courir aux chevaux. De la même manière que les hippodromes et la Fédération des courses hippiques déploient de gros efforts pour diminuer le nombre d’accidents mortels en améliorant la sécurité, nous devons collectivement réfléchir à un mécanisme de solidarité pour permettre la prise en charge des frais de convalescence de tous les chevaux accidentés. Â