Through Seven Seas, l’intrigant pari japonais
Jeudi, vers 8 h 30, Through Seven Seas a galopé sur la piste des Réservoirs à Chantilly. Un travail qui n’a pas été poussé mais la jument a déployé de belles foulées, ne demandant qu’à avancer. Arrivée le vendredi 15 septembre, la 5ans est la seule candidate japonaise au départ de l’Arc. Tomohito Ozeki, son entraîneur, a accepté de répondre aux questions sur cette candidature intrigante.
Anne-Louise Échevin
ale@jourdegalop.com
Une surprise et un défi
Lorsque l’on demande à Tomohito Ozeki son niveau de confiance envers sa pensionnaire Through Seven Seas (Dream Journey) dans le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe (Gr1), il botte en touche avec le sourire : « Je ne dis jamais à la presse si je vais gagner ou non ​​​​​​. Il faut que la jument soit dans les meilleures conditions possible le jour J et qu’elle puisse exploiter tout son potentiel. Je garde le reste pour moi… L’Arc est une sorte de rêve et je ne réalise pas encore que je vais y participer. Être au départ est déjà un honneur. Quand son propriétaire a proposé de viser l’Arc, j’avais été très surpris. À ce moment-là [les engagements ont lieu au mois de mai, ndlr], elle n’était “que” gagnante de Gr3 et manquait d’expérience au niveau Gr1. Puis elle a conclu deuxième d’Equinox dans le Takarazuka Kinen (Gr1), fin juin. Cette performance m’a convaincu de participer. Through Seven Seas n’est pas gagnante de Gr1. J’ai l’impression que sa tentative dans l’Arc est suivie plus calmement du côté des médias et des passionnés de courses au Japon par rapport à d’autres champions confirmés que nous avons présentés par le passé. Et c’est parfois très bien, dans le sens où nous pouvons effectuer sa préparation plus tranquillement. Je ne doute pas toutefois que l’intérêt va monter au fur et à mesure que la course approche… »
Through Seven Seas n’a pas l’aura d’un Deep Impact (Sunday Silence), d’un Orfèvre (Stay Gold) ou même, plus récemment, d’un Titleholder (Duramente), qui arrivaient avec des titres importants. Elle n’est pas Equinox (Kitasan Black), toujours considéré comme le meilleur cheval au monde selon les ratings internationaux (129). Nous demandons à Tomohito Ozeki s’il voit, avec elle, un changement de stratégie autour de l’Arc, c’est-à -dire trouver un cheval taillé pour les courses européennes plus qu’un champion japonais confirmé dans son pays ou sur des pistes plates et rapides comme Meydan ou Sha Tin : « C’est une bonne question et Through Seven Seas entre possiblement dans ce cas de figure. Les dirigeants de Northern Farm avaient certainement une liste plus longue de candidats potentiels à l’Arc et ils l’ont finalement choisie. Il est possible qu’ils aient estimé que parmi tous les chevaux, elle était la plus à même de s’adapter. » Through Seven Seas a notamment montré s’adapter aux pistes souples japonaises… Les prévisions météorologiques sont optimistes pour la semaine de l’Arc, mais même si le soleil brille, la piste de Longchamp sera moins rapide qu’une “traditionnelle” piste japonaise.
Une jument en pleine progression à 5ans
Through Seven Seas présente un profil assez particulier et difficile à saisir. Elle n’a pas gagné de Gr1 mais elle commence tout juste à arriver à son top-niveau. La jument reste sur une deuxième place dans le Takarazuka Kinen (Gr1, 2.200m), disputé le 25 juin sur la petite piste de l’hippodrome d’Hanshin. Parcours tournant, tactique, avec une courte ligne droite de 350m environ. Elle a conclu deuxième à une encolure d’Equinox en ayant été malheureuse, puisque bloquée derrière un rideau de chevaux au moment du sprint. Tomohito Ozeki reste réaliste : « Ce fut une course vraiment étrange. Au départ, cela a été très vite et elle a été débordée, se retrouvant loin comme Equinox. Puis tout le monde a repris et cela n’a pas avancé. Le peloton était très groupé et, dans mes jumelles, je l’ai perdue au milieu du peloton en face. Quand je l’ai retrouvée, elle était deuxième ! J’étais très surpris du résultat. Sur le moment, je me suis dit que, peut-être, nous aurions pu battre Equinox. Mais j’ai de nouveau regardé la course et j’ai changé d’avis. Il était imbattable. Le fait d’être deuxième d’un tel cheval nous donne de la confiance en vue de notre participation à cette grande course internationale qu’est l’Arc. »
Equinox, à sa manière, n’a pas été heureux dans le Takarazuka Kinen, entrant dans la ligne droite en étant en huitième épaisseur après s’être retrouvé loin dans le parcours, au niveau de Through Seven Seas. Pour lui comme pour la jument, dans le “malheur”, le dilemme était de choisir l’option la plus heureuse possible. Prier que tout s’ouvre au sein du peloton, soit l’option de Through Seven Seas qui ne s’est pas réalisée, ou parier sur la classe de son partenaire pour finir en boulet de canon malgré la courte ligne droite, ce qui a souri à Equinox. Mais il fallait bien un Equinox pour cela ! Soulignons un point : Through Seven Seas a réalisé la meilleure performance de sa carrière dans le Gr1, confirmant ses progrès constatés depuis le début de l’année 2023. Elle a remporté sa première victoire black type le 21 janvier dernier seulement, avant de gagner facilement son Gr3, puis de conclure deuxième de son Gr1. La J.R.A. lui donne un rating de 117. C’est insuffisant pour gagner l’Arc, mais il s’agit certainement d’un 117p : avec une marge de progression.
Madame a du tempérament
Through Seven Seas avait montré des moyens dans le passé, dès ses débuts d’ailleurs. Gagnante de sa seule sortie à 2ans, elle a été assez bonne en début de 3ans pour gagner sa place au départ des Oaks japonaises (Gr1), où elle a conclu neuvième. Ce fut plus compliqué ensuite. À 4ans, elle n’a couru que trois fois et elle ne compte finalement que douze sorties durant sa carrière. Tomohito Ozeki explique : « Plus jeune, elle était vraiment difficile. Elle a toujours beaucoup de caractère d’ailleurs. Mais elle mangeait peu, elle était très fine. Nous savions depuis le départ qu’elle avait beaucoup de potentiel, mais n’avions pas été en mesure de l’exploiter jusque-là . Avec l’âge, elle a finalement commencé à bien manger, à prendre du poids et de la force. L’équipe a aussi appris comment bien la gérer. Tout cela fait la différence. Nous avions tout de même une grosse inquiétude sur le voyage vers la France mais elle l’a bien vécu. De mon côté, je suis venu en France le plus tôt possible pour la suivre. Selon les conditions, nous aurions pu différer le galop de ce matin. Comme elle a montré être en bel état depuis son arrivée, nous étions dans le bon tempo. Nous avions pensé galoper sur la piste ronde des Aigles. Finalement, pour son premier travail depuis son arrivée, nous avons préféré les Réservoirs. Nous avons vu que la jument était un peu hésitante au début, un peu perdue, puis elle a bien accéléré, déployant ses longues et belles foulées habituelles. Nicolas Clément, chez qui elle est basée, nous aide beaucoup en nous prêtant son poney pour l’accompagner, et Satoshi Kobayashi nous a également apporté son aide en nous présentant toutes les pistes du centre. Through Seven Seas se sent très bien à Chantilly. Nous aviserons pour la semaine prochaine mais elle pourrait éventuellement faire un galop mercredi sur les Aigles. »
Une rentrée et un retour sur 2.400m
Through Seven Seas fera sa rentrée dans l’Arc, n’ayant pas couru depuis le 25 juin. La jument n’est pas confirmée sur 2.400m, n’ayant couru qu’une seule fois sur cette distance, dans les Oaks 2021. Plus que des rayures, il y a des interrogations : « On ne peut pas juger sa capacité, ou non, à faire les 2.400m sur les Oaks car elle n’était pas la jument qu’elle est actuellement. Je pense qu’elle va tenir mais tout dépendra du terrain et du rythme. J’espère que ce ne sera ni trop pénible ni trop rapide. Les trois mois entre les deux courses ne sont pas un problème. Elle a besoin de temps. Entre sa victoire de Gr3 dans le Nakayama Himba Stakes et sa deuxième place dans le Gr1, il y avait trois mois : c’était parfait pour elle. Sa préparation au Japon s’est bien passée. Elle n’était pas dans mon écurie mais a été préparée au haras [les centres d’entraînement de la J.R.A. proposent un nombre de boxes limité par entraîneur et les chevaux avancent en condition sur des centres de pré-entraînement très équipés avant de venir chez les entraîneurs quelques semaines avant les courses, ndlr]. Je suis allé la voir et son dernier travail était très bon. Elle sera associée à Christophe Lemaire. Il connaît la France, il a monté la jument trois fois et cela a débouché sur trois succès. Nous avons eu de belles victoires avec lui et je suis ravi qu’il lui soit associé. Je crois que c’était le meilleur choix possible. » Christophe Lemaire nous a livré son analyse sur la candidature de Through Seven Seas dans notre podcast Big in Japan, que vous pouvez écouter ici.
De l’expérience internationale
Tomohito Ozeki s’est installé entraîneur en 2009. Il est titulaire d’un diplôme du département de médecine vétérinaire de l’université d’Iwate : « Au Japon, il n’est pas rare que les entraîneurs aient fait des études vétérinaires avant d’exercer. En ce qui me concerne, je voulais à tout prix travailler dans le monde des courses mais je n’avais pas vraiment de contact dans cet univers et j’ai pensé que le moyen le plus rapide serait donc de devenir vétérinaire. Je me suis vite dirigé vers l’entraînement après cela, étant assistant avant de m’installer, et je n’ai donc pas vraiment d’expérience comme vétérinaire. » Tomohito Ozeki connaît les joies des grandes victoires internationales. Son meilleur cheval a été le bien nommé Glory Vase (Deep Impact), double lauréat du Hong Kong Vase (Gr1). « Chaque expérience et victoire hors du Japon est importante. Cela permet d’apporter de la confiance. Ceci étant dit, quand vous allez à Hongkong ou encore à Dubaï, vous êtes dans le cadre de courses à invitations, ce qui n’est pas le cas de l’Arc. En étant invité, il y a beaucoup plus de choses qui sont préparées en amont, tout est plus facile à gérer. Pour l’Arc, il a fallu tout gérer de zéro et c’est bien plus compliqué. J’ai eu une expérience similaire aux États-Unis avec Casino Drive [gagnant des Peter Pan Stakes, Gr2, à Belmont en 2005]. C’était comme assistant entraîneur et je m’étais occupé du cheval alors que nous n’étions pas invités, il a fallu tout préparer de zéro aussi. Cette expérience me sert beaucoup aujourd’hui. »
Comme souvent avec les professionnels japonais, Tomohito Ozeki porte une veste aux couleurs de son écurie. Sur un des blasons est marqué No Horse No Life, le nom de son blog. Il nous explique : « Depuis que je me suis installé entraîneur, je tiens à jour ce blog. J’écris dessus après chaque week-end de courses pour parler des chevaux et parfois donner mon point de vue sur l’actualité des courses. J’essaye d’y partager le plus d’informations possible pour les passionnés de courses et ceux qui pourraient aussi s’y intéresser. Si je peux contribuer de cette façon à attirer de nouveaux fans, j’en serais ravi ! »
Au grand souvenir de Miesque
Tomohito Ozeki a déjà eu un partant en France avec Stellar Wind (Zenno Rob Roy), cinquième du Prix Foy puis septième du Prix Dollar (Grs2) en 2013. Ce n’est cependant qu’à la toute fin de la rencontre, après une demi-heure d’échanges, qu’il glisse connaître notre pays pour y avoir habité quelques mois : « Je suis venu en France dans les années 80 pour mes études. Je garde notamment le grand souvenir de voir Miesque gagner le Prix Jacques Le Marois… Mais je ne parle pas français », dit-il avant d’ajouter en souriant… et en français, presque comme une taquinerie : « C’est dommage ! »
Through Seven Seas : carte d’identité
Âge : 5ans
Rating : 117
Nombre de courses : 12
Victoires : 4
Places (2e et 3e)Â : 3
Meilleure performance : 2e Takarazuka Kinen 2023 (Gr1)
Propriétaire : Carrot Farm (un “club” japonais affilié à Northern Farm, son éleveur)
Nombre de porteurs de part : 400
Prix de la part : 45.000 yens (environ 285 €)
Gains : 191.704.000 yens (environ 1.217.000 €)