Les engagées fantômes !
Mais qui a engagé Lastotchka et Rue Boissonade dans la Melbourne Cup ? Mystère et boule de gommes…
Jean-Marie Béguigné ignorait l’engagement
Lorsque nous avons contacté Jean-Marie Béguigné, entraîneur, éleveur et copropriétaire de Lastotchka (Myboycharlie) mercredi après-midi, il ne savait pas que la pouliche figurait parmi les engagées de la Melbourne Cup. Lorsqu’il lui a été demandé si la pouliche était vendue, il nous a dit : « Il y a une transaction qui est en cours pour la vente de Lastotchka, mais elle n’est pas encore finalisée. Nous attendons toujours les fonds, qui tardent à arriver. Il s’agit d’un acheteur australien. En revanche, j’ignorais qu’elle était engagée dans la Melbourne Cup. Ce n’est pas très malin de l’avoir révélé au grand public… »
Dans la foulée, à Chantilly, nous sommes allés à la rencontre de Mikel Delzangles, entraîneur de Rue Boissonade. Du côté de l’Australie, l’engagement de la pouliche a fait parler, car jamais une 3ans européenne n’a couru la Melbourne Cup, mais aussi parce que l’entraîneur est bien connu là -bas, lui qui a remporté la grande course avec Dunaden (Nicobar). Il nous a dit : « Il n’y a que moi à pouvoir engager. Or, je ne l’ai pas fait. » Serait-ce le fait de son nouveau propriétaire ? Non, son entraîneur nous dit qu’elle n’est pas vendue.
Cela pourrait-il venir de son propriétaire actuel ? Nous avons donc contacté Jacques Bérès, propriétaire de Rue Boissonade, pour savoir si une vente était en cours. Sa réponse a été catégorique : « La pouliche est toujours à l’entraînement chez Mikel Delzangles. Elle n’a pas été vendue à un Australien comme nous avons pu le voir. Elle n’a d’ailleurs été vendue à personne ! » Mystère, mystère…
Australian Bloodstock entre dans l’Histoire
Quand Jean-Marie Béguigné nous a parlé d’un acheteur australien pour Lastotchka, nous avons donc cherché des informations en provenance du continent austral. Cela nous amène sur le compte Vimeo d’Australian Bloodstock, une entité gérée par Jamie Lowett et Luke Murrell. Surprise : deux vidéos sont consacrées aux pouliches, Luke Murrell donnant quelques explications.
Sur Rue Boissonade, dans une vidéo mise en ligne le 12 septembre (date limite des seconds engagements de la Melbourne Cup), Luke Murrell indique qu’elle « est qualifiée pour la Melbourne Cup » dans laquelle « elle ne portera que 50 [kilos, ndlr] cette année. » Luke Murrell aime visiblement beaucoup la pouliche – on ne le lui reprochera pas. En revanche, difficile de comprendre pourquoi une agence professionnelle comme Australian Bloodstock réalise une vidéo entière sur une pouliche présentée comme un prospect pour la Melbourne Cup, un achat intéressant à tenter et une belle opportunité à saisir pour ceux le souhaitant quand cela sera possible. Alors que, de ce que nous affirme l’entourage de Rue Boissonade, elle n’est pas à vendre… et qu’elle n’a même pas été engagée par son entourage actuel qui est en France ! La façon de faire est pour le moins contestable, surtout envers le propriétaire et entraîneur de la pouliche. Luke Murrell n’en est pas à sa première polémique, lui qui avait créé un tollé en Australie et Grande-Bretagne il y a quelques semaines après l’achat de New Energy, pensionnaire de Sheila Lavery. Dans une vidéo présentant le cheval (depuis, la vidéo a été effacée), il avait remis en cause les compétences de l’entraîneur et sa gestion de la carrière du cheval qui, par conséquent, n’avait certainement pas les titres qu’il aurait dû avoir. Il s’était excusé ensuite.
La vidéo de Lastotchka a quant à elle été publiée le vendredi 8 septembre, quelques jours après sa victoire dans le Prix Gladiateur. Comme nous l’a indiqué son entourage, et notamment Marc-Antoine Berghgracht qui manage, la pouliche est bien en cours de vente mais l’argent n’a pas été versé. Par conséquent, à ce stade, elle n’est pas officiellement vendue et son entourage n’a pas souscrit l’engagement dans la Melbourne Cup.
Qui donc a engagé nos deux françaises, au tarif cumulé de 11.000 A$ (6 600 €) ?
Tous les chemins mènent à Australian Bloodstock
Tous les chemins mènent, à ce stade, à Australian Bloodstock. Si l’on enlève l’aspect peu éthique d’inscrire des chevaux ne lui appartenant pas – ou du moins pas encore pour Lastotchka –, en les déclarant sous leurs entraînements français sans que ces derniers n’en soient informés, c’est aussi une sacrée prise de risque du point de vue financier ! Dans le cas de Rue Boissonade, ce serait même tout simplement 5.500 A$ jetés par les fenêtres, sauf cas de retournement de situation improbable où Jacques Bérès accepterait de vendre sa représentante.
Et il faudrait un retournement de situation “express”, qui tiendrait presque de l’impossible pour des raisons techniques. La Melbourne Cup a lieu le mardi 7 novembre. Cela va arriver très vite et les internationaux devant prendre part au Gr1 doivent, pour rappel, subir des examens vétérinaires conséquents. Ils doivent réaliser une quarantaine de quatorze jours minimum avant de pouvoir monter dans l’avion pour l’Australie, être sur place en Australie quatorze jours avant la course en sachant que, pour ceux courant à Melbourne, il faut prendre en compte une période d’inactivité due à l’obligation de passer un CT scan nécessitant une sédation ou au moins un tranquillisant. Selon nos informations, le premier avion pour les courses du printemps à Sydney et Melbourne doit arriver le 30 septembre. Impossible pour les deux pouliches de prendre ce vol. Le second est annoncé pour le 17 octobre. Cela s’annonce jouable pour Lastotchka si l’argent arrive très vite sur le compte en banque. Pour Rue Boissonade – si une offre impossible à refuser venait à arriver –, c’est quasiment injouable.
Quand Racing Victoria elle-même affiche sa surprise…
Paul Bloodworth, directeur général des opérations de Racing Victoria, a expliqué jeudi auprès de nos confrères de Racing.com : « Lastotchka est une pouliche française très talentueuse qui a gagné le Prix Gladiateur (Gr3) lors de sa dernière course. Cet engagement tardif est un peu une surprise mais cela ajouterait vraiment une dimension supplémentaire à la course. Nous n’avons pas eu beaucoup de chevaux français ayant fait le déplacement d’Australie pour courir dans la Melbourne Cup, donc nous espérons vraiment qu’elle pourra être au départ et courir cette année. […] L’autre, Rue Boissonade, est une pouliche de 3ans très talentueuse qui a gagné un Gr2 à Longchamp lors de son avant-dernière sortie [le Malleret, ndlr] et qui vient de courir dans un Gr1 pour seules femelles le week-end dernier où elle a fini au pied du podium [le Vermeille, ndlr]. Nous n’avons jamais eu de pouliche hémisphère Nord dans la Melbourne Cup, il y aurait donc un aspect historique si elle venait à courir. »
Cette déclaration laisse dubitatif. Un officiel de Racing Victoria partage sa surprise sur les engagements. Il a le droit d’être (agréablement) surpris mais par qui ces engagements ont-ils été réalisés ? S’ils l’ont été par des Australiens, avec quels documents officiels leur permettant de valider des inscriptions sur des chevaux ne leur appartenant pas ? Paul Bloodworth évoque le fait que peu de chevaux français ont couru la Melbourne Cup ces dernières années. Comprenez “entraînés en France”. Mais comment Jean-Marie Béguigné pourrait-il entraîner sa pouliche en vue d’une course dans laquelle il ne l’a jamais engagée ?
Paul Bloodworth évoque le fait que Lastotchka pourrait ajouter une dimension supplémentaire à la course, et que la présence de Rue Boissonade aurait un aspect historique. On en vient à se demander si, pour la médiatisation et le prestige de la course, les autorités australiennes ont été prêtes à accepter ces deux engagements sans être trop regardantes sur leur provenance (du moment que les frais sont payés), et dans une certaine urgence puisque c’était la dernière opportunité pour inscrire dans la Melbourne Cup avant publication des poids. The show must go one, peu importe la méthode ?
Nous avons contacté Racing Victoria et le Victoria Racing Club pour en savoir plus sur le procédé ayant permis les engagements de nos petites françaises. Au moment où sont écrites ces lignes (le décalage horaire n’aidant probablement pas), nous n’avons pas encore eu de réponse. Mais nous vous tiendrons informés de la suite de cette affaire abracadabrantesque (©Le Chi).