Les 7 Arcs les plus marquants de Lanfranco Dettori
Par Franco Raimondi
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Une 34e et dernière fois. Dimanche, en selle sur l’outsider Free Wind (Galileo), Lanfranco Dettori dira adieu au Qatar Prix de l’Arc de Triomphe, la course dont il rêvait quand il était enfant et qu’il a gagnée six fois. Il l’a montée pour la première fois en 1988, quand il avait 17 ans, en selle sur Roushyad (Known Fact), et il n’a raté le rendez-vous que deux fois. En 2013, il avait dû renoncer à la future gagnante, Trêve (Motivator), suite à la fracture d’une cheville le mercredi précédant la course, et en 2021, Love (Galileo) a été retirée pour fièvre.
« Je suis très fier d’avoir monté 34 fois la plus belle course du monte, c’est une médaille à ma carrière de jockey. Avoir un cheval dans l’Arc n’est pas le fruit du hasard. C’est le signe que la saison s’est bien passée et qu’un cheval de l’écurie est jugé digne de le courir, ou que vous avez eu la confiance d’un autre entraîneur. J’ai vécu de grands moments dans trois hippodromes différents, le vieux Longchamp, Chantilly et ParisLongchamp, et j’ai gagné l’Arc dans les trois. Le seul qui peut égaler ce record est Ryan Moore », nous confie Lanfranco qui a accepté de détacher les sept (son chiffre fétiche) Arcs qui l’ont le plus marqué.
« Avec Lammtarra, j’ai vu la lumière »
Le premier succès est arrivé au huitième essai, en 1995, avec Lammtarra (Nijinsky), un cheval qui avait remporté coup sur coup le Derby et les King George. « Dans mon premier Arc, je montais Roushayad, l’un des deux leaders de Kahyasi, et j’avais réussi à le mettre en deuxième position derrière l’autre cheval de jeu. Je ne connaissais pas du tout Longchamp et c’était un Arc à 24 partants. J’ai repris un instant dans la fausse ligne droite et je me suis retrouvé emmuré vivant… Bref, après ces débuts, à six reprises je ne suis jamais arrivé à avoir le chemin dégagé devant moi ! C’est mon père, Gianfranco, jeune retraité, qui était venu à Longchamp et m’avait donné le bon conseil : Lammtarra était un cheval dur, sans une vraie pointe de vitesse et il fallait partir de loin. Le cheikh Mohammed Al Maktoum a probablement demandé une faveur à son ami Saeed Manana, et son cheval Luso avait fait le travail de leader pour Lammtarra. Nous avons pris le relais à 400m du poteau et au revoir les amis… Un premier Arc à 24 ans, ce n’était pas mal pour un jeune Italien qui montait en Angleterre. Je rêvais de cette course quand j’étais enfant et que j’allais à San Siro. Cette année-là , j’avais commencé à comprendre un peu mieux le parcours de Longchamp. »
Sakhee, la grande confiance
Six ans plus tard Godolphin avait beaucoup grandi et Lanfranco Dettori était le jockey de la casaque bleue. Le cheval d’Arc se nommait Sakhee (Bahri), deuxième du Derby pour l’entraînement de John Dunlop, qui était arrivé à l’écurie à 4ans. Il avait manqué la première partie de la saison mais il venait de remporter les Juddmonte International (Gr1) par sept longueurs. Il était le favori des Anglais alors que la France comptait sur l’invaincue Aquarelliste (Danehill) qui avait remporté le Prix de Diane et le Prix Vermeille (Grs1). « Sakhee avait fait un dernier galop exceptionnel, je pense ne jamais avoir monté un cheval qui avait fait un truc pareil le matin. Je suis arrivé à Longchamp et le terrain était lourd. J’ai rencontré Dominique BÅ“uf qui montait Aquarelliste au sauna. Il était un peu tendu et je lui ai dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter puisqu’il montait pour la deuxième place… J’ai monté à la Lammtarra, derrière les animateurs, avant de partir aux derniers 400m. Sakhee a gagné par six longueurs, Aquarelliste a remporté l’autre course… »
Marienbard, l’inattendu
Douze mois plus tard, Marienbard (Caerleon) était le seul Godolphin au départ et il était parmi les outsiders. « Quand il est arrivé à l’écurie à la fin de son année de 3ans, c’était un cheval pour les grandes courses sur les longues distances. Il a couru la Gold Cup et la Melbourne Cup (Grs1). C’est à 5ans qu’il a été raccourci et il a atteint sa plénitude en été. Il avait gagné un Gr1 en Allemagne avant de faire un truc dans le Grosser Preis von Baden (Gr1). Je savais que je montais un outsider valable, il fallait un peu de chance mais c’était jouable et le voyais dans les trois premiers. Quand j’ai appris qu’il avait tiré le 3 dans les stalles, la confiance est montée. C’était un Arc très ouvert, qui allait se jouer sur des détails. Je pensais me positionner un peu plus près de la tête mais finalement tout s’est ouvert au bon moment. Sulamani n’a pas été heureux et High Chaparral manquait d’une course. C’est injuste d’affirmer que j’avais volé la course, Marienbard a bien gagné. »
Golden Horn, le coup de poker
Il y a un intervalle de treize ans entre le succès de Marienbard et le quatrième Arc de Lanfranco Dettori. Beaucoup de choses se sont passées, Lanfranco avait perdu le contrat avec Godolphin et il était passé par Al Shaqab. Il a fini par arriver chez John Gosden et il a rencontré Golden Horn (Cape Cross) quand il n’était plus le Golden Boy mais un jockey de 44 ans. « Le jeune Dettori n’aurait jamais osé jouer un coup de poker pareil. Et pourtant, c’était la seule façon de s’en sortir avec une mauvaise place à la corde. Tout s’est bien passé et Golden Horn a gagné, mais imaginez-vous un jeune jockey qui prend un risque et reste en épaisseur nez au vent, avec un Derby winner… J’ai mis cette monte dans mon top 4, avec les Irish Champion de la bataille Fantastic Light vs Galileo, les King George d’Enable face à Crystal Ocean et depuis quelques semaines, les Juddmonte International de Mostahdaf. Golden Horn a été un vrai champion, le cheval qui a redonné du souffle à ma carrière. »
Enable I, la bombe
Le cinquième Arc est arrivé deux ans après, avec une pouliche qui, en début de saison, n’était pas la star de l’écurie : Enable (Nathaniel). Pour Lanfranco Dettori elle restera la pouliche de son cœur : « Ce qu’elle a fait lors de sa campagne de 3ans est tout simplement incroyable. Aidan O’Brien avait cinq partants mais il aurait pu en mettre dix, Enable était imbattable ce jour-là . J’ai dû éviter les pièges possibles mais franchement, déjà aux Grandes Écuries, elle avait course gagnée. Dans les 200 derniers mètres j’étais presque en larmes, j’ai mis un peu de temps à me reprendre après la course. Enable a gagné cinq Grs1 en quatre mois et sa victoire dans l’Arc était la plus courte : deux longueurs et demie… »
Enable II, malgré tout
Le deuxième succès d’Enable, une fois annoncé que la pouliche restait à l’entraînement, faisait figure d’un penalty. Mais un jour de mai, la nouvelle est tombée : elle souffrait d’une blessure au genou et allait rater toute la première partie de la saison. Il fallait un grand cÅ“ur pour revenir au top-niveau et même son ami Lanfranco Dettori était dans le doute : « On parle de chevaux de Gr1, pas des handicaps. J’avais effacé l’Arc de ma tête. John Gosden et toute l’équipe ont fait un travail de haute école. Elle a toujours été une battante : rester dans son box et regarder les autres partir au travail lui faisait du mal. Petit à petit, elle a repris le travail, et on avait couru le Gr3 sur la P.S.F. de Kempton, la seule course de rentrée possible avant l’Arc. Elle avait gardé son envie et avait battu Crystal Ocean dans des conditions très favorables au poids, mais aller sur l’Arc avec une seule course n’était pas évident. J’ai essayé de la monter comme si elle était la même Enable que douze mois avant, avec un plan B : ne pas lui faire du mal. Elle n’était pas la bombe qui avait gagné à Chantilly douze mois auparavant et pour des bonnes raisons. De plus, c’était sa deuxième course après une longue absence. Enable a manqué un peu pour finir, c’était logique. Sea of Class avait beaucoup de terrain à refaire mais le poteau est arrivé. Quatre semaines plus tard on a gagné le Breeders’ Cup Turf… »
Enable, les adieux
La championne a eu deux autres chances d’écrire l’histoire avec un troisième succès dans l’Arc. Lanfranco Dettori se souvient parfaitement des deux courses : « C’est de ma faute. Elle aurait pu gagner son troisième Arc en 2019, et j’ai contraint la jument à rester à l’entraînement une saison de plus. Sans être la grande Enable de sa campagne de 3ans, elle était la meilleure du lot. Je craignais Ghaiyyath et je ne voulais pas le laisser partir en solitaire. Quand j’ai compris qu’il était battu, j’ai cherché à économiser la jument mais les autres sont arrivés et on a dû attaquer un peu trop tôt. Elle a plongé dans l’open stretch, où le terrain était plus collant, et Waldgeist nous a battus. Avec des si on refait le monde, mais on ne gagne pas les courses.  Et pourtant, sans l’open stretch et avec un jockey plus froid, elle aurait probablement gagné… Elle m’a offert un grand moment avec un troisième succès dans les King George mais elle avait tout donné. Je n’ai pas d’excuses pour sa défaite dans l’Arc 2020 et je ne voulais pas rentrer au vestiaire après la course, je ne savais pas comment lui dire merci pour tout ce qu’elle avait fait. Je suis resté avec elle jusqu’à ce qu’on me demande d’aller faire le poids après la course. » Oui, dans l’Arc, même une défaite peut se transformer en un moment inoubliable.