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lundi 23 décembre 2024

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Sottsass, mon amour

Lorsqu’on évoque son étalon qui fait la monte à Coolmore, Peter Brant est inarrêtable. Et il en parle avec un amour non dissimulé :  « L’étalon a l’air de très bien produire. Il a été soutenu avec de bonnes juments. Nous en achetons aux ventes et attendons avec impatience le verdict des courses. J’y crois énormément. » Rapidement, l’Américain passe à sa carrière de course : « Sottsass a gagné des courses de haut niveau sur 2.400m, c’est vrai. Mais c’est un cheval qui allait dans tous les terrains. À 4ans à Deauville, dans le lourd, Sottsass n’a été battu que du minimum par un grand cheval de terrain souple, Skalleti (Kendargent). Cela va peut-être vous étonner, mais pour moi, cela reste l’une de ses meilleures performances. À cet instant précis, Skalleti était certainement le meilleur cheval français sur ce type de piste. Son père, Siyouni (Pivotal), est un réel apport de vitesse. Jean-Claude Rouget ne pousse pas ses 2ans et pourtant Sottsass avait bien son maiden sur le mile à cet âge. À 3ans, il a été impressionnant. Sa victoire dans le Derby français, face à des chevaux de premier plan, est extrêmement significative. Bien qu’il ait établi un temps record lors de son succès classique en bon terrain, Sottsass a aussi été capable de se classer troisième de l’Arc dans le très souple, face à une pouliche exceptionnelle comme Enable (Nathaniel) et un très bon cheval, Waldgeist (Galileo). Souvenez-vous aussi du Niel où, complètement enfermé, il est venu s’emparer de la victoire tout à la fin grâce à son changement de vitesse. Et ce, devant une future lauréate de Gr1, Mutamakina (Nathaniel). »

Et si j’ai eu de très bons chevaux de course, sans l’ombre d’un doute, Sottsass et Sistercharlie font partie des tout meilleurs. 

L’élevage, un effort collectif 

« Chacun regarde les chevaux comme il l’entend, mais moi, je souhaite qu’il montre ce changement de vitesse. Sottsass avait cette capacité à changer de rythme brusquement, à repartir. J’accorde aussi beaucoup d’importance au pedigree maternel. Et Sottsass est le frère de deux très bonnes femelles, dont une championne, Sistercharlie (Myboycharlie). C’était un bon cheval de course et désormais c’est un magnifique étalon. J’ai à cœur de mettre en valeur sa production en Europe et aux États-Unis. Chad Brown va en recevoir. C’est un entraîneur exceptionnel, qui excelle avec les chevaux de gazon. « Bull » Hancock [l’homme qui a géré les carrières de Nasrullah, Princequillo, Bold Ruler,  Buckpasser, ndlr] disait : l’élevage, c’est une question de relationnel. Et il avait raison, c’est un effort collectif. Pour qu’un étalon réussisse, il faut que les personnes qui l’entourent croient en lui. Car tout compte. Alors si vous croyez à un étalon comme je crois en Sottsass, il faut lui donner la meilleure chance possible : dans son cas, c’est en Europe. Et pour y parvenir, il faut aussi le faire avec le meilleur entourage possible. C’est une grande chance que d’avoir un tel animal. Et si j’ai eu de très bons chevaux de course, sans l’ombre d’un doute, Sottsass et Sistercharlie font partie des tout meilleurs. »

De l’importance de la solidité 

« Mon élève et représentant Gulch (Mr Prospector) avait gagné deux Grs1 à 2ans, deux à 3ans, trois à 4ans… un sacré cheval de course avec beaucoup de choses en sa faveur : de la vitesse, des performances à 2ans, des performances sur distances intermédiaires. J’ai toujours été fier qu’il ait des jambes absolument intactes. Jamais la moindre opération. Ce n’est pas courant et il a bien produit. Il m’a donné un gagnant du Kentucky Derby (Gr1), Thunder Gulch (Gulch). Plus tard, Gulch s’est aussi révélé en tant que père de mère [dont, en Europe, les bons Latice, Lawman, Silasol et  Refuse to send, ndlr]. Dans le cas de Sottsass, on m’a beaucoup fait le reproche de ne pas l’avoir conservé à l’entraînement à 5ans. Mais à quoi bon courir une Breeders’ Cup quand vous avez gagné l’Arc ? À mes yeux, l’Arc est un sommet. Et je voulais qu’il rentre au haras sain, net et au sommet de sa carrière. »

Tout a commencé avec une certaine Coiffure

Les Américains ont beaucoup compté dans l’histoire du galop français, en fondant de nombreux haras (Quesnay, Mesnil, Monceaux…) et en important de nombreux chevaux qui ont fait souche chez nous depuis un siècle. D’ailleurs, près de 10 % des éditons du Prix de l’Arc de Triomphe ont été remportées par des propriétaires américains. Mais Peter Brant est l’un des rares, désormais, à avoir un effectif important en France :  « J’ai eu beaucoup de réussite chez vous avec les pouliches à l’entraînement, en les courant ici à 3ans et 4ans. J’aime beaucoup les courses américaines, ne vous y trompez pas. Mais mon intérêt pour le galop européen remonte très loin. Un de mes tout premiers chevaux, je l’ai acheté ici en France, à Miguel Clément… il y a quelques années donc ! Je suis toujours en contact avec ses fils. Cet achat, une pouliche, s’appelait Coiffure (Sir Gaylord). Deuxième du Prix du Chloé (Gr3), je l’ai ensuite envoyée à la saillie de Northern Dancer (Neartic). Le croisement m’a donné Spit Curl (Northern Dancer), gagnante des Alabama Stakes (Gr1, dirt) en 1983. 

Je ne crois pas à cette distinction entre chevaux de gazon et chevaux de dirt. Regardez Justify (Scat Daddy) ! Les bons chevaux sont des bons chevaux. Et quand ils sont bons, ils peuvent potentiellement bien reproduire sur n’importe quelle surface.

La mère de Thunder Gulch, Line of Thunder (Storm Bird), était une excellente jument de gazon, notamment deuxième des Cheveley Park Stakes (Gr1).  J’avais acheté la deuxième mère en Europe, Shoot a Line (High Line). Elle était aussi très bonne, ayant gagné les Oaks d’Irlande et les Yorkshire Oaks (Grs1). Shoot a Line avait assez de tenue pour se classe deuxième de la Gold Cup (Gr1). »

Photo 3 – Peter Brant et Michel Zerolo à la vente de l’Arc 

Plusieurs personnes m’ont demandé quelle avait été ma meilleure décision depuis mon retour aux courses. Je pense pouvoir dire que c’est le fait d’avoir acquis des juments Wildenstein.

Sa passion pour les lignées Wildenstein

« Mon premier achat chez les Wildenstein fut Waya (Faraway Son), une lauréate des Prix de l’Opéra (Gr2) et Royaumont (Gr3). Elle a gagné sept Grs1 aux États-Unis et a intégré le Hall of Fame des courses américaines en 2019. C’était une pouliche exceptionnelle, capable de battre les mâles. » Daniel Wildenstein est certainement le meilleur éleveur français de l’ère post-Boussac et Peter Brant réagit : « J’ai rencontré Daniel Wildenstein à plusieurs reprises. Son fils Guy est un ami de longue date. Nous avons joué au polo, l’un contre l’autre, à de nombreuses reprises. C’est vraiment une fierté de poursuivre, d’une certaine manière, leur travail en ayant fait l’acquisition de certaines de leurs juments. On voit que Diane Wildenstein a récemment eu des résultats exceptionnels en tant qu’éleveur avec Pensée du Jour (Camelot), Persian King (Kingman) ou encore Paddington (Siyouni), dont je suis copropriétaire. L’équipe de Coolmore tient elle aussi en très haute estime les familles Wildenstein. Ces souches semblent toujours repartir. Parfois, il y a des périodes moins fructueuses, peut-être à cause de croisements moins heureux ou de conditions d’élevage moins propices. Mais à la moindre occasion, cela repart. Et je suis très heureux de voir que la famille Wertheimer s’implique aussi pour garantir la pérennité de ces lignées. Les courses en ont besoin. Plusieurs personnes m’ont demandé quelle avait été ma meilleure décision depuis mon retour aux courses. Je pense pouvoir dire que c’est le fait d’avoir acquis des juments Wildenstein. Depuis le premier jour, elles m’ont apporté beaucoup de satisfactions. » En 2016, Peter Brant a acheté 10 poulinières Wildenstein chez Goffs, ce qui fut l’un de ses coups d’éclat lors de son retour au premier plan dans les courses, après deux décennies d’absence. Sept ans plus tard, on se rend compte de la valeur d’élevage de plusieurs d’entre elles. Et notamment de Beauty Parlour (mère de Blowout, lauréate de Gr1 en 2021), Bonanza Creek (mère de Stone Age ,trois fois placé de Gr1) et de Rosa Bonheur (mère de deux gagnants de Groupe, dont le multiple lauréat de Gr1 Raging Bull).

Pour moi, le Diane est la meilleure course pour pouliches de 3ans.

Ce qu’il rêve de gagner

« Je dois dire que je rêvais de remporter certaines courses que Paddington a gagnées. J’aimerais vraiment remporter la Breeders’ Cup Classic, une deuxième fois l’Arc et le Kentucky Derby, les Belmont Stakes et le Prix de Diane. Pour moi, le Diane est la meilleure course pour pouliches de 3ans. Sistercharlie n’est pas passée loin de la victoire après avoir eu une fin de course très malheureuse. Ma motivation, c’est aussi que j’ai beaucoup d’émotion en remportant ne serait-ce qu’un maiden. Toutes les victoires, quel que soit leur niveau, représentent une grande satisfaction. J’aime les courses, tout simplement. »

Ce qui doit changer aux États-Unis

« Les courses américaines doivent se réformer. Sinon, elles vont reculer, le niveau sur le gazon va régresser pour revenir à ce qu’il était dans un passé récent. Aux États-Unis, on pénalise les bons chevaux en leur rajoutant du poids. C’est comme si vous veniez voir Michael Jordan jouer au basket-ball et que l’organisateur lui rajoute du poids sur le dos. Tout le monde élude cette question. Comment une course comme le Fourstardave Handicap (Gr1), à Saratoga, peut-elle être une épreuve « win and you’re in » pour la Breeders’ Cup alors que c’est un handicap ? Cela n’a aucun sens. Absolument aucun. Vous pénalisez les bons et vous soutenez artificiellement ceux qui le sont moins. Ce n’est pas la bonne méthode pour améliorer la compétition et l’élevage. En France, toutes les courses sont ouvertes à votre cheval, quel que soit son pays de naissance. Et c’est la bonne méthode. Aux États-Unis, il y a un programme réservé, par exemple aux animaux élevés dans l’État de New York, et à mon avis ce n’est pas une bonne chose du tout. Il vaut mieux rajouter une surprime à un bon New York bred dans une course ouverte. Je suis un fervent défenseur du poids pour âge : le meilleur doit gagner. »

Dans les arts, un critique peut publier un papier négatif. En général, il se trompe. Un autre peut publier un article élogieux sur une œuvre. Souvent, il se trompe lui aussi.

Pourquoi l’art recrute plus d’investisseurs que le galop

Peter Brant est certainement encore plus connu dans le monde de l’art que dans celui des courses. Le grand collectionneur analyse : « Les marchés de l’art et des chevaux ont beaucoup de points communs. Mais parmi les différences majeures, il y a le fait qu’investir dans l’art est bien plus facile. Au galop, le gagnant est le cheval le plus rapide le jour de la course. C’est implacable. Dans les arts, un critique peut publier un papier négatif. En général, il se trompe. Un autre peut publier un article élogieux sur une œuvre. Souvent, il se trompe lui aussi. Dans tous les cas, il y a une part d’interprétation. Le verdict n’est pas définitif. Dans les courses, au passage du poteau, le résultat l’est. Si une personne achète 1.000 œuvres d’art et qu’au bout d’une décennie à peine, une vingtaine est encore intéressante, et que le reste est tombé dans l’oubli… alors certainement cette personne ne prendra pas le risque d’investir à nouveau. Or six mois ou un an après l’achat, vous avez une idée assez avancée de la valeur d’un cheval. Et les dés sont relancés encore une fois en de carrière sportive lorsque votre cheval est testé sur descendance. Pour les personnes extérieures, il y a aussi cette idée, aussi extrémiste que répandue, que les chevaux de course ne sont pas bien traités. Bien sûr, c’est la plupart du temps tout à fait faux. Les accidents existent, je vous l’accorde. Mais vous pouvez vous-même vous accidenter en faisant votre sport le matin. Par ailleurs, je ne crois pas que le pur-sang moderne soit foncièrement plus fragile que son ancêtre. Personne ne m’a jamais présenté de preuves chiffrées et irréfutables de cette fragilité croissante. Pour moi, le plus grand facteur de blessure, c’est le manque d’entretien des hippodromes. On doit aux chevaux le fait d’avoir des pistes parfaites. Trop de chevaux se produisent sur des surfaces qui ne sont pas sûres. Je sais bien que tout change très vite avec la météo. Les facteurs sont multiples. Le dirt est plus fiable face aux changements de conditions et tout le monde penche vers cette solution. Mais je crois qu’à l’avenir, nous aurons besoin de plus de courses sur le gazon. Et sur de meilleures pistes. »

Comment il a changé le destin de Mr Prospector

Maurice Lagasse a élevé, avec la famille Chambure et Michel Henochsberg, une certaine Urban Sea (Miswaki) ! C’est aussi pour son compte (au haras d’Étreham) qu’a été élevé le top price de la vente d’août. Comme souvent chez Maurice Lagasse, ce lot 214 présente un inbreeding sur Mr. Prospector (Raise a Native). Or Peter Brant a joué un rôle décisif dans l’histoire de ce chef de race en parvenant à le rapatrier dans le Kentucky, là où tous émissaires envoyés par les grands haras avaient échoué avant lui. Assurément, s’il était resté en Floride, ce sire n’aurait pas pris l’importance qu’on lui connaît dans le stud-book. Peter Brant se souvient : « Tout s’est passé en Floride au début des années 1980. Mr Prospector (Raise A Native) faisait la monte là-bas depuis 1975. Il produisait beaucoup de bons chevaux avec des juments de petite valeur. Son propriétaire, « Butch » Savin, vivait dans le Connecticut et sa résidence était en Floride. J’ai commencé par acheter deux parts de l’étalon. Un jour, je suis allé le voir en lui disant : « Il est trop difficile de lui envoyer de bonnes juments, ici en Floride. Accepteriez-vous de le vendre ? Ce serait une bonne chose pour vous et pour l’étalon. » Nous sommes allés dans son restaurant chinois favori. Il m’a dit oui. Puis non. Puis peut-être. Bref, cela a duré deux mois. 

À l’époque, sous l’impulsion de Seth W. Hancock, Claiborne Farm avait certains des grands étalons de ce monde, de Sir Ivor (Sir Gaylord) à Nijinsky (Northern Dancer). Et nous avons mis sur pied un montage où il achetait un tiers de Mr Prospector et moi un autre tiers. Le restant revenant à un petit groupe d’éleveurs. « Butch » Savin est alors revenu sur sa position et il a dit qu’il voulait faire partie du syndicat… avant de se raviser encore une fois et de nous le vendre en totalité ! Nous avons sauté sur l’occasion… mais nous lui avons aussi payé une somme colossale. Par bonheur, Mr Prospector s’est révélé l’un de ces étalons qui produisent encore mieux lorsque vous lui proposez de meilleures juments. Or, on le sait, ce n’est pas toujours le cas et certains sires prometteurs ne produisent pas mieux le jour où on leur envoie une jumenterie supérieure à celle de leurs débuts. Il a produit des bons chevaux jusqu’à l’âge de 27ans. Du début à la fin de sa carrière, ce fut un grand étalon, à la fois en Europe et aux États-Unis. »

Son seul regret

« Mon seul regret, vis-à-vis des courses, fut d’avoir ce choix terrible à faire au début des années 1990 : le galop ou le polo ? J’ai choisi le polo car je pouvais pratiquer moi-même, à cheval. Désormais, je regrette ce choix. Avec le recul, je me dit que j’aurais dû rester dans les courses car j’ai raté beaucoup de choses. » Peter Brant est l’un des rares acteurs des courses à avoir été copropriétaire de titres de presse hippique et de maisons de vente. Nous lui avons demandé s’il tenterait à nouveau l’une de ces aventures ? « Absolument pas ! J’ai beaucoup appris à Fasig Tipton. Et j’ai aussi appris beaucoup de choses en travaillant avec monsieur Weisbord sur le Thoroughbred Times. C’était une personne avec de très grandes connaissances. Mais au fond, je suis dans les courses pour le plaisir que ce sport me procure. Et je veux en profiter. Ce plaisir ne doit pas être endommagé par le fait d’en faire une entreprise, qu’elle soit de presse ou d’autre chose. De la même manière, je ne voudrais pas acheter ou diriger un hippodrome. J’ai juste envie d’aller aux courses… »

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