Lars Baumgarten : « Le foot et les courses, c’est avant tout une question d’émotion »
Le week-end dernier, Fantastic Moon a atteint le meilleur rating de la décennie pour un lauréat du Derby allemand. Il faut remonter à son père Sea the Moon pour retrouver une meilleure valeur. Derrière cette éclatante réussite se cachent Lars-Wihelm Baumgarten et Nadine Siepmann, les créateurs et animateurs de Liberty Racing. Un syndicat germano-australien en pleine expansion.
Par Sacha Rochereau & Adrien Cugnasse
sr@jourdegalop.com & ac@jourdegalop.com
De mémoire de journaliste, Liberty Racing est le syndicat européen avec les meilleurs résultats chez les chevaux de tenue (proportionnellement à son effectif). Samedi matin, une semaine après la victoire classique, Lars-Wihelm Baumgarten analyse : « À l’heure actuelle, nous avons passé huit chevaux dans nos syndicats et quatre sont gagnants black types, dont le gagnant du Derby allemand 2023 et le quatrième de l’épreuve. Nous avons aussi déjà eu un deuxième du classique. Mon métier, dans le football comme dans les courses, c’est de trouver des futures stars. Pour moi, le futur des courses de tenue, ce sont les syndicats. Même avant de créer Liberty Racing, je m’associais avec des amis pour acheter. Comme avec Kaldera (Sinndar), une lauréate du St Leger allemand (Gr3) que nous avons dénichée pour 12.000 €. Elle nous a donné Kalifornia Queen (Lope de Vega), gagnant d’un Gr2 préparatoire au Diane allemand et troisième des E. P. Taylor Stakes (Gr1) pour son nouvel entourage. »
Une caisse de résonance mondiale
La victoire de Fantastic Moon (Sea the Moon) a fait la une de certains journaux hippiques australiens (notamment ANZ Bloodstock) et elle a été largement relayée par la presse anglo-irlandaise (nettement plus que d’habitude pour ce classique) : « Depuis le Derby, nous sommes très sollicités. Des centaines de messages, de nombreuses demandes d’interview… J’ai le sentiment que cette édition est vraiment relevée. La capacité d’accélération de Fantastic Moon sort véritablement de l’ordinaire. Le poulain a une musique irréprochable. Il est arrivé sur le Derby avec trois victoires en quatre sorties, dont un succès très facile dans un Gr3 préparatoire. Et le grand jour, il a gagné très facilement. L’impression visuelle que son père Sea the Moon avait laissée était encore supérieure. Mais je pense que Fantastic Moon marche vraiment dans ses traces. La filiation est très nette à mes yeux. »
Une grande réussite avec les Sea the Moon
« D’une manière générale, la production de Sea the Moon (Sea the Stars) nous a beaucoup réussi. Wonderful Moon (Sea the Moon), acquis 55.000 € chez BBAG, a gagné quatre Groupes et il s’est élancé en favori dans le Derby. Il fait la monte en France désormais. Assistent (Sea the Moon) a coûté 58.000 € à Baden. Double lauréat de Gr2, il s’est classé quatrième du Derby. Sa carrière a été perturbée par deux ennuis majeurs : une fêlure à 2ans et des coliques à 3ans. En 2023, nous voulons gagner un Gr1 en Allemagne avec lui. Je suis aussi l’éleveur de Muskoka (Sea the Moon), lauréate du Brummerhofer Stuten-Meile (Gr3) le 2 juillet. Je suis vraiment un grand fan de l’étalon de Lanwades – il est nettement meilleur que ce que les gens peuvent penser -, et je commence à avoir une idée de ce à quoi ressemblent les bons dans sa production ! »
Sa stratégie pour acheter
« Aux ventes, nous avons un budget compris entre 30.000 et 80.000 € pour des yearlings chez BBAG, bien sûr, mais aussi en France et en Angleterre. J’aime beaucoup les vieilles familles allemandes car elles sont très solides, très régulières. Nous regardons aussi beaucoup les statistiques. Nous sommes une équipe de cinq pour inspecter : Wilhelm Feldmann, Nadine Siepmann, le docteur vétérinaire Andre Böhmer, Henk Grewe et moi-même. En ce sens, je m’inspire de mon expérience en tant qu’agent de footballeur. Notre règle, c’est qu’il faut que les cinq membres de notre équipe donnent leur feu vert pour que nous enchérissions sur un cheval. Winning Spirit (Soldier Hollow), lauréat de Gr2 et quatrième du Derby allemand 2023, a coûté 80.000 € chez BBAG. Orofina (Australia), acquise 60.000 Gns à Newmarket, a remporté l’Auction Race qui suivait le Derby la semaine dernière à Hambourg. Elle a certainement beaucoup de marge. Avec mon ami Christoph Holschbach, nous avions acheté Django Freeman (Campanologist) pour seulement 4.000 € en décembre 2016 chez Arqana. Après sa victoire dans le Bavarian Classic (Gr3) nous l’avons en partie vendu à des Australiens. Ce fut les débuts de l’expansion de nos syndicats en Australie… grâce aux contacts que ce poulain nous a apporté. Et cela aboutit au fait que nous allons lancer un syndicat dédié, Liberty Racing Australia. »
Les passions naissent dans l’enfance
« Mon père a été le président du petit hippodrome de Bad Harzburg pendant des décennies. J’ai donc attrapé les virus des courses et de l’élevage très jeune. Mais après avoir étudié le droit, j’ai commencé par le journalisme avant de créer une agence sportive où j’ai managé des footballeurs professionnels [d’où des centaines de transferts, ndlr] et des joueurs de tennis. Comme Angelique Kerber qui fut numéro un mondial. Il y a trois ans, j’ai eu l’opportunité de revendre mon agence. Désormais, je travaille en tant que conseiller en investissement et gestionnaire de patrimoine… Mais ma vie, c’est aussi d’essayer d’acheter ou d’élever des très bons chevaux avec mes amis. C’est ma compagne Nadine Siepmann et moi-même qui avons créé Liberty Racing dans cet objectif… » Les propriétaires venus du football et du sport de haut niveau sont bien présents au galop – Kia Joorabchian, Tony Parker, Klaus Allofs… et Lars-Wihelm Baumgarten, c’est tout sauf un hasard : « Les gens venus du monde du sport aiment le challenge, la compétition. Si vous jouez au football, tous les week-ends vous donnez absolument tout pour essayer de gagner. Vous connaissez le prix de la victoire et celui de la défaite. Cet esprit sportif est indispensable pour réussir au galop. La motivation dans les courses comme dans le football, c’est le rêve de gagner de grandes compétitions. Dans les deux cas, c’est avant tout une question d’émotion. C’est pour ça que les joueurs de football se retrouvent autant dans l’adrénaline des courses. C’est leur moteur. »
L’étalonnage aussi
« J’ai vu Adlerflug (In the Wings) pour la première fois dans la préparatoire au Derby allemand. Je suis tombé amoureux. Il avait gagné le Derby comme une superstar. Mais après son accident, personne n’a voulu le soutenir car il était tout petit. Il a donc démarré sa carrière d’étalon dans un petit haras de ma ville natale, Bad Harzburg. J’ai cru en lui dès le premier jour au point d’acheter une bonne partie des parts disponibles. Dès la première génération en piste, Adlerflug a donné un lauréat de Groupe en France et gagnant de Gr1 en Allemagne. Et cela, avec des juments moyennes. Mais lancer des étalons en Allemagne, c’est très difficile. Il nous a fallu huit années pour qu’Adlerflug devienne populaire. Sa disparition précoce est l’un des drames de ma vie. Mais il faut aller de l’avant et il faut en trouver un autre comme lui. L’Allemagne et son élevage en ont besoin. Ce sera peut-être Fantastic Moon ! Il va suivre le programme allemand dans un premier temps. Nous rêvons de l’Arc, aussi. »
Élargir le cercle
« Notre pays a besoin de nouveaux éleveurs et de nouveaux propriétaires. Et c’est la raison d’être des syndicats de Liberty Racing. Lors de notre premier syndicat, nous étions douze porteurs de parts : six néophytes et six personnes connaissant bien les courses. Puis vingt-deux lors du deuxième. Nous sommes passés à trente pour le troisième. Et nous venons de lancer plusieurs syndicats pour atteindre les soixante-dix à quatre-vingts porteurs de parts au total. Les membres expérimentés guident les novices et c’est une super ambiance, avec des membres allemands, mais aussi des Australiens… Je considère que ces syndicats représentent quatre-vingts jours de travail dans mon année. Nous travaillons avec quatre entraîneurs – tous en Allemagne -, Henj Grewe, Sarah Steinberg, Andreas Suborics et Peter Schiergen. En 2023, nous allons acheter dix à douze chevaux pour un total de dix-huit à vingt, répartis en quatre syndicats, dont trois nouveaux : Liberty Racing 2023 Kings, Liberty Racing 2023 Aces et Liberty Racing 2023 Australia. » Dans le cas particulier de Liberty Racing 2023 Australia, les chevaux feront carrière en Allemagne jusqu’à 3ans avant de s’envoler pour l’Australie où ils seront vendus en fin d’année de 4ans.