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mercredi 20 novembre 2024

Pujals

Pujals : sa méthode pour réussir

Ne tournons pas autour du pot et essayons de comprendre rapidement comment Leopoldo Fernandez Pujals a fait pour devenir un cador de la scène hippique européenne en aussi peu de temps.

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Une confiance totale dans le caractère gras

Sur la soixantaine de juments acquises en vente publique, toutes n’ont pas des pages de catalogue incroyables, mais 80 % sont black types. Et si l’on ajoute celles qui ne le sont pas mais dont au moins l’un des produits a pris du caractère gras, on arrive à 90 %. Repassez ce chiffre dans votre tête plusieurs fois avant de continuer à lire…

Quel nouvel éleveur en Europe a été capable d’acquérir 50 poulinières black types en l’espace de trois ans ? Certainement aucun. C’est énorme et cela ne peut pas être une coïncidence. La mère de Big Rock (Rock of Gibraltar), Hardiyna (Sea the Stars), faisait partie du lot des Aga Khan Studs à Goffs en novembre 2019. Elle a été vendue 72.000 € à la Yeguada Centurion alors qu’elle était pleine de Rock of Gibraltar…  c’était donc l’un des achats les moins chers et l’une des rares non black types du lot !

La recherche de l’outcross

Autre signe qu’il n’a rien laissé au hasard : Leopoldo Fernandez Pujals n’a acheté presque aucune fille de Galileo (Sadler’s Wells) ou de Dubawi (Dubai Millennium). Cela laisse un maximum de liberté au moment des croisements pour aller aux meilleurs étalons actuels. Le premier lot de juments, les dix acquises en 2018, sont les mères des bons 3ans actuels de la Yeguada Centurion. Et elles sont toutes européennes.

Une diversification américaine

En s’inspirant des éleveurs comme Alec Head, le grand-père de son entraîneur, Christopher Head, Leopoldo Fernandez Pujals a ensuite énormément acheté aux États-Unis en 2019 et en 2020. L’Amérique et son élevage ont beaucoup changé depuis la glorieuse époque des importations qui ont si bien réussi en Europe dans les décennies passées. Les filles de Ghostzapper, Empire Maker ou Uncle Mo qui pâturent dans les herbages normands de la Yeguada Centurion réussiront-elles sur le gazon européen ? Nous aurons la réponse à cette question dans les années à venir. L’inspiration américaine va très loin pour Leopoldo Fernandez Pujals car il aime voir ses chevaux courir devant et ne pas subir la course. Comme aux États-Unis. Débuter aussi brillamment, pour un éleveur, est à double tranchant. C’est un formidable tremplin. Mais c’est aussi une mauvaise préparation aux périodes de méforme qui finissent inéluctablement par arriver dans un élevage. On ne peut pas gagner des Grs1 tous les ans. Tesio ou Lagardère ont commencé par des années difficiles durant lesquelles ils ont su cultiver la ténacité nécessaire à la réussite sur le long terme. 

Et un vrai budget quand même…

De 2018 à 2020, Leopoldo Fernandez Pujals a procédé à des investissements colossaux. Sur ces trois années, il a acheté pour 12 millions de dollars de chevaux des deux côtés de l’Atlantique. Et encore, c’est sans compter sur les achats à l’amiable. Comme Queen Blossom (Jeremy), la mère de Blue Rose Cen, dont une source irlandaise nous a dit qu’elle avait été acquise directement à l’amiable chez Coolmore, pleine de Churchill (Galileo). Dans ces 12 millions, il manque bien sûr les amiables et l’achat du haras de Nonant-le-Pin qui a fait l’objet d’une rénovation totale. La réussite a tout de suite été au rendez-vous. Dès le mois d’avril 2021, la 2ans Crazyland (Kodiac) fut le premier gagnant de l’entité (elle a été vendue aux enchères). C’était en Angleterre et la pouliche s’est classée troisième des Marygate Fillies’ Stakes (L) pour sa sortie suivante. Un prélude aux Blue Rose Cen, Big Rock… Les chevaux vendus sur un ring, comme Crazyland que nous venons d’évoquer, ne sont pas en reste. On peut penser à la 2ans Ramatuelle (Justify). Ou encore à Jigme (Motivator), éblouissant dans le Prix Aguado (Gr3). Douze heures avant la réunion d’Auteuil, Inflation Nation (Speightstown) n’est pas passée loin de la victoire dans les Paradise Creek Stakes (L) sur les 1.400m turf de Belmont Park.

Pujals : ses débuts dans les courses

Un jour, Leopoldo Fernandez Pujals est allé aux courses – un univers qu’il ne connaissait en rien – avec son épouse et des amis. Et il y a vu une opportunité. C’est simple la vie, vue comme ça !

En se rendant sur un hippodrome, quelque chose s’est réveillé dans son âme d’éleveur. Désormais, sa passion se conjugue donc au galop. L’idée de départ, c’était de ne courir qu’en Espagne. Mais rapidement, son pays lui est apparu comme trop petit pour ses ambitions hippiques. Après avoir pesé le pour et le contre, pris conseil aussi, il a finalement choisi la France plutôt que l’Irlande ou l’Angleterre. À cet instant, ses connaissances du pur-sang anglais et des courses sont proches de zéro. Mais comme il l’a fait pour ses autres projets, l’homme a commencé une étude exhaustive et méthodique. 

Dans un livre de management qu’il a écrit en 2014 – Apunta a las estrellas y llegarás a la luna : Convierte tus sueños en éxitos –, Leopoldo Fernandez Pujals explique sa méthode : « Tout ce que vous devez savoir a déjà été écrit. Il suffit de lire, étudier, appliquer et apprendre des meilleurs. Il faut acquérir les connaissances de ceux qui ont atteint le but que l’on veut obtenir. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours énormément lu. » Et dans les faits, Leopoldo Fernandez Pujals a lu tous les ouvrages possibles et imaginables sur les pedigrees lorsqu’il a voulu se lancer au galop. Il a patiemment questionné nombre de professionnels de l’élevage et de l’entraînement. Les gens qui ont pu travailler avec lui vous le diront : il apprend à une vitesse phénoménale. Son conseiller actuel pour les croisements serait le célèbre Alan Porter. 

À l’origine était le pure race espagnol…

En 1995, Leopoldo Fernandez Pujals crée la Yeguada Centurion, qui est depuis devenue le plus important élevage de chevaux de pure race espagnole du pays. Et en 1997, il confiait à la télévision espagnole : « Je suis un homme de marketing. Beaucoup de gens dans le monde croient que le meilleur jambon est le Prosciutto. Je pense que c’est le Pata Negra. Aux États-Unis, le marché de l’huile d’olive est totalement dominé par les marques italiennes. La production espagnole n’a qu’une petite part. Et c’est pareil pour le cheval andalou, le pure race espagnol. Je pense qu’il a un destin mondial. » 

Éleveur dans l’âme, c’est aussi un producteur de faucons pour la chasse – le marché est énorme dans le Golfe – reconnu sur le plan international. Mais comme nous le savons tous, la champions league de l’élevage, le vrai test pour celui à la vocation d’éleveur, c’est le galop. Pour réussir en plat, il faut des moyens. Mais l’argent et même la chance ne suffisent pas. Sur le long terme, il faut vraiment être bon. Et assurément encore meilleur que dans n’importe quel autre type d’élevage de chevaux. Leopoldo Fernandez Pujals et le galop étaient fait pour se rencontrer.

[Encadré à la fin de l’article n°2]

Une vie d’aventure et d’entreprise

Né à Cuba, Leopoldo Fernandez Pujals a quitté l’île dans sa petite enfance à l’arrivée des Castristes au pouvoir. Élevé aux États-Unis, il fut major de sa promotion à l’école militaire de Fort Belvoir. De quoi former un homme, une volonté, un caractère. Médaillé lors de la guerre du Vietnam, il travaille ensuite pour Procter & Gamble et Johnson & Johnson. Dans l’Espagne des années 1980, Leopoldo Fernandez Pujals hypothèque ses biens pour se lancer dans les pizzerias industrielles avec commandes par téléphone. Comme il l’expliquera plus tard, impressionné par le développement de la restauration rapide aux États-Unis, il voulait être l’un des premiers à lancer le concept en Espagne. Avec 200 restaurants, Telepizza contrôlait alors 62 % du marché espagnol au milieu des années 1990. Le fondateur revend l’entreprise pour 300 millions en 1999.  En 2004, l’opérateur espagnol de télécommunications Jazztel, en difficulté, annonçait que Leopoldo Fernandez Pujals avait acquis 24,9 % de son capital pour 61,8 millions d’euros. La presse espagnole annonce qu’il a revendu sa participation pour 500 millions d’euros.

[Article 3]

Là où est né Big Rock 

Le favori du Jockey Club vient bien de Normandie, mais pas forcément du haras que l’on croit… Alors que Blue Rose Cen a été élevée au haras de l’Hôtellerie, Big Rock a grandi chez Titouan Amorín-Tournemire, au haras de Saint-Éloy (14).

Après avoir repris l’élevage de chevaux de dressage de sa mère, Titouan Amorín-Tournemire a progressivement changé l’orientation des lieux : « Je suis né dans l’univers des chevaux et je me suis intéressé à toutes les disciplines, je n’ai que très récemment réorienté mon activité vers les galopeurs : il y a quatre ans environ. Et j’ai eu la chance dès le départ d’avoir la confiance de clients qui ont misé sur nous, dont la Yeguada Centurion. Notre structure, encore en pleine optimisation, permet, par sa taille modeste, d’offrir un cadre d’élevage privilégié, très individualisé, tant sur le plan de l’éducation que sur l’alimentation. C’est une grande satisfaction de voir Big Rock briller ainsi. » Sur le papier, il n’y pas plus différent dans le monde du cheval que le dressage et les courses. Mais Titouan Amorín-Tournemire analyse : « Il y a des hommes de chevaux dans toutes les disciplines, capables de respect dans la performance. Le langage du cheval est, d’une certaine manière, universel. J’ai grandi au haras où ma mère m’a formé à l’hippologie, puis je me suis formé à cheval avec des maîtres écuyers avant d’étudier moi-même de nombreux univers équestres. La transition vers les courses, fort de ce bagage, s’est faite facilement. » Ce licencié de langues, littératures et civilisations étrangères a su mettre son parfait trilinguisme au service d’une clientèle internationale. Et parmi ses premiers clients, certains venaient de l’autre côté des Pyrénées. Une série de hasards heureux lui ont permis de rencontrer Leopoldo Fernandez Pujals : « Sur le plan personnel, Big Rock est un symbole fort, puisqu’il est le premier cheval que nous ayons fait naître pour le compte de la Yeguada Centurion. Au haras il n’a jamais posé le moindre problème. C’était un yearling particulièrement imposant, très solide sur le plan physique et mental. Bien sûr, à ce stade, il eût été impossible d’imaginer le potentiel dont il fait preuve. Mais la réussite de ce croisement est à porter au crédit de son propriétaire qui a très vite affûté ses connaissances en matière d’élevage et s’est concentré de façon remarquable pour soutenir son entreprise. »

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