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jeudi 28 novembre 2024

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La nouvelle stratégie de Juddmonte

La nouvelle stratégie de Juddmonte

Chaldean sera l’une des attractions du Haras d’Étreham Prix Jean Prat (Gr1) le 9 juillet à Deauville. Lauréat des 2.000 Guinées (Gr1), deuxième des St James’s Palace Stakes (Gr1), c’est un symbole de la nouvelle politique de Juddmonte. Barry Mahon, le racing manager de la structure pour l’Europe, a répondu à nos questions.

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

Barry Mahon est un pur produit de l’école Juddmonte, son père, Rory Mahon, travaillant depuis plus de quarante années pour feu le prince Khalid Abdullah et sa famille. En 2017, après avoir collaboré pour différents haras (dont Coolmore), Barry Mahon a rejoint Juddmonte. Il est actuellement directeur des haras irlandais et racing manager pour l’Europe. C’est lui qui est par exemple le premier contact de Claude Beniada (représentant pour la France).

Un apogée en matière d’étalonnage

Frankel (Galileo) est tête de liste des étalons en Europe au 25 juin 2023 (par les gains). Son voisin de box, Kingman (Invincible Spirit), est quatrième. Selon le nombre de victoire black types, Frankel (18 succès) domine encore, devant Dubawi (11) et Kingman (10). Pour un haras qui ne lance même pas un nouvel étalon tous les ans, avoir 2 sires du calibre de Frankel et Kingman au même moment est extrêmement rare, voire statistiquement improbable. Barry Mahon explique : « La réussite de ces deux étalons, c’est le fruit de décennies d’élevage du prince Khalid Abdullah. Deux chevaux de course exceptionnels, avec des pedigrees irréprochables… Beaucoup d’entités ont un nombre d’étalons bien plus élevé. Mais la tradition, chez Juddmonte, c’est la qualité plutôt que la quantité. Cela étant dit, parmi ceux qui ont été vendus, certains se sont révélés de bons reproducteurs. » On peut penser à Showcasing (Oasis Dream) ou à New Bay (Dubawi).

Frankel, l’extraterrestre

Pour en revenir à Frankel, il a dominé de la tête et des épaules le meeting de Royal Ascot. Et ses statistiques sont hors normes. Lundi matin, il est à 16,8 % de black types par partants dans l’hémisphère Nord, soit une égalité totale sur ce critère avec son père Galileo (Sadler’s Wells). On lui doit déjà 170 black types soit 26 % de ses partants : « C’est rare de voir un cheval aussi bien produire. Et il est aussi très rare de voir un individu aussi exceptionnel dans toutes les phases de sa carrière, de l’hippodrome au haras. C’est le meilleur cheval de plat que la plupart des gens de ma génération ont eu la chance de voir en compétition. Si ce n’est plus ! Et ce qu’il réalise au haras, c’est là aussi tout à fait remarquable… »

Une forte réduction du nombre de poulinières

En 2002, la casaque du prince Abdullah fut pour la première fois tête de liste des propriétaires en France, avec 255 partants. Vingt ans plus tard, en 2022, ses héritiers ont eu 130 partants dans notre pays. Sur la même période, le nombre de partants annuels en Grande-Bretagne est passé de 358 à 199. L’opération de course et d’élevage est donc désormais d’une taille beaucoup plus “raisonnable” qu’à l’époque : « Juddmonte est monté jusqu’à 200 poulinières en Europe contre 120 de nos jours, et de 100 à 60 juments aux États-Unis. Dans les deux cas, ce sont des redimensionnements de taille. Mais cela reste des effectifs qui permettent d’être compétitifs et cette compétitivité est également possible grâce à la qualité des familles développées par Juddmonte au fil des décennies. »

De retour sur le marché

En contrepartie de cette réduction de l’élevage, Juddmonte est revenu sur le marché public. En 2020, 12 yearlings et foals ont été acquis (pour un total de 3,6 millions d’euros), dont 7 en Europe. Parmi ces achats européens, il y avait Chaldean – pour 550.000 Gns lorsqu’il était foal – et c’est le premier gagnant de 2.000 Guinées de la casaque depuis son père Frankel en 2011 : « La victoire de Chaldean a assurément été un très grand moment pour ses éleveurs – Whitsbury Manor Stud -, mais aussi pour toute l’équipe de Juddmonte. Simon Mockridge, Rory Mahon et moi-même nous impliquons beaucoup dans les achats aux ventes. C’est donc une autre forme de satisfaction que de le voir remporter un classique. C’est tellement dur d’élever ou d’acheter un lauréat des Guinées. Surtout quand on n’achète que de petites quantités tous les ans. Vu de l’extérieur, on ne mesure pas forcément à quel point Juddmonte est un travail d’équipe… » Au total, des deux côtés de l’Atlantique, Juddmonte a acheté 38 foals et yearlings de 2020 à 2022 sur un ring de vente. C’est aussi le cas d’Arrest (Frankel), lauréat du Chester Vase (Gr3) et qui faisait partie des favoris pour le Derby d’Epsom (Gr1).

Des achats sur le long terme

Barry Mahon poursuit : « La passion du prince, c’était d’élever ses propres chevaux de course. Et il avait dit à de multiples reprises qu’il ne ressentait pas la même satisfaction lors de la victoire d’un cheval acheté à l’extérieur. Lorsque le prince nous a quittés, ses proches ont souhaité investir dans de nouvelles familles, dans des courants de sang différents… Ses enfants sont passionnés eux aussi par l’élevage et ils ont souhaité nous donner les crédits nécessaires à l’achat de nouvelles familles. Et pour l’instant, cela fonctionne très bien. En espérant que cela continuera ainsi ! »

Des achats à l’amiable marquants

Parmi les acquisitions à l’amiable, il y a Repose (Quiet American). C’est la mère de Tranquil Lady (Australia), lauréate des Blue Wind Stakes et du Prix de Flore (Grs3), mais aussi et surtout de State of Rest (Starspangledbanner), lauréat du Saratoga Derby, du Cox Plate, du Prix Ganay et des Prince of Wales’s Stakes (Grs1). Cette jument au pedigree purement américain est un vrai outcross pour les étalons européens (pas de Sadler’s Wells, de Danehill…) : « C’est difficile de trouver un outcross comme elle. Il fallait être là au bon moment pour mener la négociation à bien. Dermot Cantillon et Meta Osborne ont fait du très bon travail avec cette poulinière. Ils l’ont bien croisée et elle a déjà donné deux très bons chevaux. Nous avons eu la chance de pouvoir l’acheter alors qu’elle était pleine de Frankel. Elle nous a donné une belle femelle et retourne à cet étalon. »

Les yearlings américains… restent aux États-Unis

Au-delà de quelques cas particuliers comme Repose, Juddmonte a changé sa politique en ce qui concerne le sang américain : « Il y a encore une décennie, 30 à 40 yearlings nés aux États-Unis venaient faire carrière en Europe. Mais le prince avait constaté de son vivant l’évolution du parc d’étalons américain vers moins de reproducteurs performants sur le gazon. Il devenait de plus en plus difficile, avec le temps, de bien croiser des juments de turf avec des sires basés aux États-Unis. Dès lors, l’élevage américain de Juddmonte se concentre plus qu’avant sur le dirt : cela concerne 70 % de nos poulinières au haras outre-Atlantique. Et nous ne ramenons plus de yearlings américains en Europe. » En contrepartie, les Juddmonte nés en Europe “cartonnent” sur le gazon américain. En 2023, la moitié des vainqueurs de Groupe de la casaque aux États-Unis sont des chevaux nés en Europe, comme Set Piece (Dansili), Whitebeam (Caravaggio)… « Il faut dire que Bobby Frankel a ouvert la voie de manière impressionnante. Cet homme avait du génie pour que les chevaux européens s’adaptent aux États-Unis. Il a gagné un nombre incalculable de Grs1 ainsi. Après sa disparition, Juddmonte a eu besoin de temps pour trouver une nouvelle manière de fonctionner. Mais je pense désormais que cela fonctionne et nous avons confiance dans les entraîneurs américains qui travaillent pour la casaque. Ainsi nous pouvons leur envoyer de bonnes pouliches. Juncture (Dark Angel), chez Brad Cox, semble très prometteuse. »

De l’importance des performances

En 2021, Barry Mahon a déclaré à The Irish Field : « Notre boulot, c’est de produire des pouliches assez bonnes pour rejoindre le Green Book et des mâles pouvant intégrer la cour des étalons de Banstead Manor au côté de Frankel, Kingman ou Oasis Dream. » Nous lui avons demandé ce qu’on attend d’une femelle pour intégrer le fameux Green Book : « Les critères sont nombreux, mais le premier, c’est d’être black type. C’est le critère numéro 1. Juste derrière, en numéro 2, viennent la qualité de la famille et du physique de la pouliche. Bien évidemment, si c’est une Dubawi issue d’une famille que nous n’avons presque plus, même si elle n’a gagné qu’une petite course, alors la pouliche peut intégrer le Green Book. J’évoque ce cas un peu volontairement, car le croisement Frankel sur Dubawi fonctionne très bien. Et cela peut être un facteur qui pousse à conserver une pouliche à la reproduction. »

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