Si vous aimez les inbreedings
L’inbreeding d’Ace Impact n’est pas sans rappeler celui de Torquator Tasso (Adlerflug), qui avait du côté paternel Alya (Lombard) et du côté maternel sa propre sœur Allegretta (Lombard). Ou encore celui de Masar (New Approach) et d’Onesto (Frankel), qui ont deux fois Urban Sea (Miswaki), elle-même fille d’Allegretta… Nous connaissons tous de véritables fans de ce type d’inbreeding sur les grandes juments. Kirsten Rausing en a fait partie. Elle a ainsi fabriqué la gagnante des Champions Fillies & Mares Stakes (Gr1) Madame Chiang (Archipenko) – qui présente trois fois dans son pedigree l’illustre Special (Forli). Mais n’en faites pas une règle absolue ! En effet, le meilleur cheval de sa carrière d’éleveur, Alpinista (Frankel), n’a pas d’inbreeding sur une femelle dans les cinq premières générations de son papier ! La grande dame de Lanwades nous avait d’ailleurs confié : « Désormais, ce type d’inbreeding est bien plus difficile à réaliser. Tout simplement parce que le nombre d’étalons disponibles est beaucoup plus réduit. Et le nombre de sires très bien nés est lui aussi plus restreint que par le passé… »
En France, c’est certainement Dario Hinojosa qui pratique cela avec le plus de réussite. Ses élèves Recoletos (Whipper) et Castellar (American Post) ont deux fois Fairy Bridge (Bold Reason) à quatre générations. Et il est allé beaucoup plus loin avec Huetor (Archipenko), qui vient de conserver son titre dans la Doomben Cup (Gr1). En effet, Huetor a trois fois (!) la matrone Special (Forli) dans son papier (ainsi que deux fois Mr. Prospector et Nijinsky). Avant lui, Chinchon (Marju) avait deux fois Sex Appeal (Buckpasser).
Si vous n’aimez pas les inbreedings
Les exemples de très bons chevaux issus de ce type de croisements ne manquent pas. Mais augmentent-ils pour autant la probabilité d’obtenir un « tout bon » ? Si quelqu’un a la réponse – appuyée par des chiffres – je suis preneur ! On sait cependant, grâce aux statistiques, que l’inbreeding (surtout s’il est proche) est l’un des facteurs qui fait baisser la proportion de chevaux capables d’aller aux courses. Le très écouté John Boyce expliquait en 2021 dans Owner and Breeder : « Danehill (Danzig) est si présent en Australie que les éleveurs doivent se gratter la tête lorsqu’ils veulent croiser des juments portant son sang dans leur pedigree. La majorité des tout meilleurs étalons sont issus de cette même lignée. Et c’est là que réside le problème. Les chevaux de top niveau ayant un inbreeding sur Danehill se remarquent… par leur rareté ! À cette date, 3.175 sujets avec cet inbreeding sur Danehill – dans les trois premières générations de leur pedigree – ont couru dans l’hémisphère Sud. Seulement 55 (1,7 %) étaient assez bons pour gagner une course black type. Et 24 (0,8 %) pour remporter un Groupe. » Pas de martingale donc.
Si vous aimez Frankel
Il Mago di Milano, alias Franco Raimondi, entretient une passion toute personnelle pour Frankel (Galileo). À ce titre, il tient les compteurs à jour pour savoir qui – du père Galileo ou de son fils Frankel – est le meilleur reproducteur. Galileo (Sadler’s Wells) et Frankel n’ont pas débuté avec la même qualité de jumenterie et cela biaise un peu la comparaison sur le plan sportif de la réussite de leurs premières productions. Galileo est devenu un père de père classique avec Dawn Approach (New Approach) en 2013, alors que sa huitième génération de 3ans était en piste. Pour Frankel, cela arrive un an plus tôt, avec Ace Impact, un fils de Crasckman (Frankel). Faire mieux que Galileo, même avec de meilleures juments, ce n’est pas rien ! Dans le petit cercle fermé des pères classiques, l’étalon de Juddmonte a vraiment pris une place à part et les victoires s’enchaînent. En 2023, c’est au tour de Chaldean (2.000 Guinées, Gr1) et de Soul Sister (Oaks, Gr1). Et même si ce n’est pas (encore) une classique, difficile de ne pas mentionner l’excellente Jannah Rose (Prix Saint Alary, Gr1).
Si vous trouvez que le marché est impitoyable…
… Vous avez certainement raison ! Lorsque les premiers Frankel sont passés en vente, on a entendu à peu près tout à leur sujet, mais peu de choses positives. Cinq foals mâles de sa première génération, celle de Cracksman, étaient proposés en vente en Europe. Trois sont passés sur un ring… et aucun n’a été vendu. Heureusement, c’est le poteau qui décide. Mais, entretemps, certains éleveurs ont su négocier un rabais sur la saillie de Frankel. Et c’est comme ça qu’Alpinista a été conçue ! Le marché veut vraiment le mouton à cinq pattes quand il s’agit des étalons : il faut plaire aux ventes, mais aussi avoir des « stats » élevées (taux de black types, taux de gagnants…), ainsi que des lauréats de Gr1, des précoces et des chevaux qui progressent avec l’âge. Sans cela, commercialement, la page est (trop vite) tournée.
Si vous voyez le verre à moitié vide…
Pour en revenir à  Cracksman, il a été l’un des artisans de l’apogée d’Hascombe & Valiant Studs. En l’espace de quelques années, l’élevage d’Anthony Oppenheimer a en effet aussi pu compter sur Golden Horn (Cape Cross). Tous deux étant issus de la même souche. En juillet 2022, il y avait un vrai buzz autour de Cracksman, dont les 2ans brillaient plus tôt que prévu, alors que Golden Horn venait de partir sur le marché de l’obstacle. La douche froide. Au micro de Nick Luck, Anthony Oppenheimer expliquait : « Golden Horn s’est bien comporté, il donne beaucoup de gagnants, mais il n’a pas réussi à produire des chevaux de tout premier plan. C’est la raison pour laquelle nous l’avons vendu pour l’obstacle. Mais nous allons continuer à l’utiliser pour le plat avec nos propres juments. J’ai toujours cru que Cracksman avait plus de chances de réussir au haras car il y a plus de vitesse dans sa proche famille que dans celle de son cousin. Et voir que Cracksman a déjà sept gagnants sur neuf partants, dont un lauréat de Listed, c’est remarquable. Et très prometteur car lui-même n’était pas précoce. » Comme vous allez le voir dans le paragraphe suivant, avec les jeunes étalons, tout évolue très vite !
Si vous voyez le verre à moitié plein…
Un an plus tard, où en sommes-nous ? Golden Horn, étalon de cinquième production, a toujours de superbes statistiques (13,9 % de black types par partants) et, comme l’a prouvé Tom Wilson, c’est un cheval capable d’améliorer la jumenterie qu’on lui a présentée. Pour en avoir le cœur net, cliquez ici. Mais il n’a pas donné de gagnants de Gr1 et a définitivement basculé dans le marché de l’obstacle, malgré ses 35 black types en plat et le classique de Goldenas (Derby Italiano, Gr2). On peut penser que certains acheteurs avisés vont tirer profit de cette situation avec les derniers yearlings de Golden Horn fabriqués pour le plat. De son côté, Crasckman n’a pas encore confirmé sur le plan statistique son départ en fanfare (6,6 % de black types par partants). Mais, avec Ace Impact, la machine pourrait se relancer sur le plan commercial. Et il reste environ six mois de courses pour obtenir les quatre ou cinq black types qui lui permettraient de passer de 6,6 à 10 %. C’est largement faisable. En Angleterre, il a plusieurs produits pris en 100 ou plus sans être encore black types… Le caractère gras n’est pas loin. En France, lorsque Silver Crack (Cracksman) sera remis sur pied, on ne voit pas pourquoi il ne deviendrait pas black type !
Si vous n’avez pas peur des trous
Il y a une théorie qui explique l’échec de certains reproducteurs – a posteriori – par la présence d’un « trou » dans leur papier. Le jour où Ace Impact entrera au haras, on lui reprochera peut-être d’avoir Anabaa Blue (Anabaa) pour père de mère. À titre personnel, mais c’est totalement subjectif, cela ne me dérange pas. Après tout, la mère de Dubawi (Dubai Millennium) n’est-elle pas par Deploy (Shirley Heights) ? Et celle de son père, Dubai Millennium (Seeking the Gold), par Shareef Dancer (Northern Dancer) ? Comme Anabaa Blue, Deploy et Shareef Dancer étaient deux chevaux très bien nés qui n’ont pas percé au haras. On ne peut pas condamner un étalon pour un trou dans son papier. Directeur du Gestüt Schlenderhan, Gebhard Apelt a par exemple conçu le croisement de Torquator Tasso (parmi tant d’autres) et, au sujet d’Allegretta, élevée à  Schlenderhan et pierre angulaire de l’élevage moderne, il expliquait : « Ce n’était pas une très belle jument et son père, Lombard, bien que né à Schlenderhan, s’est révélé être un étalon sans éclat. Mais elle était vraiment très généreuse en piste. »
Si vous aimez les juments black types
Bien sûr, Absolutly Me (Anabaa Blue) – la mère d’Ace Impact – ne deviendra vraisemblablement pas l’Allegretta de 2050. Mais tout de même, c’est une sacrée poulinière : cinq partants, cinq gagnants, trois black types, dont un classique ! Ça fait rêver, non ? Et il faut ajouter à cela que la mère d’Absolutly Me, Tadawul (Diesis), n’avait pas un bilan extraordinaire au haras. Elle est passée trois fois en vente en décembre à Deauville sans trouver preneur… avant de partir pour la Turquie fin 2013. Alors, qu’est-ce qui plaidait pour Absolutly Me ? Elle était bonne, tout simplement. Waltraut Spanner et son époux Karl nous ont confié il y a quelques semaines : « Tout a commencé le jour où nous sommes allés chez Henri-Alex Pantall. Il nous a proposé deux yearlings qu’il venait d’acheter chez Osarus. Nous les avons acquis. Un n’était pas bon. L’autre, c’était Absolutly Me [acquise à La Teste pour 16.000○€, ndlr] ! À 2ans, elle avait réalisé un chrono exceptionnel sur la piste de Saint-Cloud avant de décrocher son black type dès sa deuxième sortie. » Les bonnes 2ans ont tendance à surperformer au haras, comme on le voit chez Guy Pariente par exemple. D’ailleurs, dimanche, c’était un peu la fête des juments black types. À Chantilly, quatre des sept lauréats de stakes sont issus d’une mère ayant décroché du caractère gras. Sur les 35 Groupes français depuis début 2023, 13 sont revenus à des produits de juments black types. Soit 35 %. Ce n’est pas rien quand on sait qu’on estime à 7 % la proportion des pouliches « en gras » dans chaque génération. Même si 65 % des gagnants de Groupe ont donc été produits par des juments « non black types », celles qui le sont donnent sept fois plus de lauréats à ce niveau que leur proportion dans la population.
Si vous êtes un éleveur ésotérique
Si vous êtes un fan d’ésotérisme à la sauce hippique, vous aurez certainement remarqué qu’Alessandro (Australia), le frère d’Ace Impact, outre l’inbreeding sur Allegretta, a aussi deux fois Ouija (Silly Season) dans son papier. Ouija, grand nom du stud-book, a un patronyme qui fait référence à « une planche censée permettre la communication avec des esprits et qui fait partie des instruments de psychographie indirecte selon les pratiquants du spiritisme ». On nage en plein ésotérisme ! Cette Ouija, l’ancêtre directe d’Ace Impact en lignée maternelle, vient d’une famille développée au départ par le haras de Maulepaire (celle de La Grelée). Voilà pour la dernière anecdote du jour…
Duel France-étranger : stabilité
Au soir du Jockey Club, cinq des six Grs1 du programme français ont été remportés par des produits issus de l’élevage français (contre deux en 2022). Un regain de compétitivité qui redonne le sourire, même si le bilan est en réalité plus nuancé si on regarde l’ensemble des Groupes à ce stade de la saison : 22 victoires sur 35 pour les éleveurs français, c’est exactement le même chiffre qu’en 2022 !
Trois acteurs de l’ombre… qui méritent un peu de lumière
Barbara Moser a élevé Ace Impact pour Waltraut Spanner. Son haras du Long Champ monte pour la deuxième fois sur le podium du Jockey Club depuis 2018, l’année où Patascoy (Wootton Bassett) se classait deuxième. Chapeau ! Non issue du sérail, cette Allemande s’est installée en 2004 avec William Thareau à Blay, dans le Calvados. Depuis, les bons chevaux s’enchaînent. Récemment, Light Infantry (Fast Company) est monté sur trois podiums au niveau Gr1 et il serait tout de même très surprenant qu’il ne finisse pas par en remporter un ! On se souvient aussi de Testa Rossi (Dr Fong), deuxième de la Breeders’ Cup Juvenile Fillies Turf (Gr1). La victoire d’Ace Impact met aussi en avant le travail de Larissa Kneip, qui avait préparé et vendu sa mère, Absolutly Me, chez Osarus. Il y avait aussi beaucoup d’émotion chez les amis de Larissa lorsqu’Angers (Seabhac) a surclassé les 2.000 Guinées allemandes (Gr2). Elle qui croyait dur comme fer à  Seabhac (Scat Daddy) ! Enfin, notre troisième héros de l’ombre, ce week-end, se nomme Francisco E. Bernal. C’est ce courtier espagnol qui a choisi les dix premières juments de Leopoldo Fernandez Pujals. Même s’il ne travaille plus pour la Yeguada Centurion, l’homme d’Outsider Bloodstock mérite une médaille. Neuf sur dix étaient black types en piste ou mères de black types. Parmi elles, on trouve les futures mères de la bonne 2ans Crazy Land (Kodiac), du sauteur Jigme (Motivator), du prometteur Mr Melbourne Cen (Kodiac) ou encore de Sabio Cen (Zarak). Bonnes pioches !
Photo 6 (dans l’aplat) – Barbara Moser