En allant de Trun à Vimoutiers, le paysage change rapidement. Les grandes cultures céréalières laissent place au bocage normand, vallonné, où l’élevage est roi. Celui des bovins – Camembert n’est pas loin – mais surtout celui des chevaux. C’est dans la petite commune des Champeaux qu’en 2011 Isabelle et Jean-Pierre Garçon jettent leur dévolu sur une ancienne ferme laitière. Jean-Pierre Garçon a longtemps été stud groom au haras de Montaigu, mais, alors que son fils, Guillaume, finit sa formation aux États-Unis, il se décide à voler de ses propres ailes. Le projet est familial : « Quand nous avons visité le site, Guillaume n’était pas encore rentré en France. Je crois que nous ne lui avons même pas envoyé de photos, de peur qu’il ne rentre pas ! Il y avait beaucoup à faire. L’ancien occupant était exploitant laitier… Les terres n’avaient donc jamais accueilli de chevaux, ce qui est toujours un bon point. Nous nous sommes retroussé les manches et nous avons attaqué les travaux ! »
Ni les parents ni le fils n’ont peur du travail, si bien qu’en dix ans L’Hôtellerie est devenue un site parfaitement pensé pour l’élevage des chevaux – avec les boxes de poulinage à proximité directe de la maison d’habitation – mais aussi pour la préparation aux ventes, avec trois barns spécialement réservés à cette activité. La demande est telle que les Garçon ont acquis il y a quatre ans le haras de Corday, situé à moins de cinq minutes de l’Hôtellerie. C’est Guillaume qui y a élu domicile : « Nous avons commencé avec 60 ha et, au fil des opportunités et de la demande des clients, nous nous sommes étendus. Mais tout est finalement très groupé, et donc facile à travailler ! L’équipe du haras est composée de personnes expérimentées qui font un super travail au quotidien… »
De Mubtaahij à Blue Rose Cen
Le bouche-à -oreille a tellement bien fonctionné que les clients affluent. Père et fils se souviennent : « Frédéric Sauque a été l’un des premiers à nous faire confiance : il a acheté une jument spécialement pour nous la confier. Guy Petit nous a soutenus aussi dès le départ, comme Raymond Luce, Carsten Baagoe, de BS Racing, et Ghislain Bozo. Pour se constituer une clientèle, les ventes sont une excellente publicité. Si vous présentez des beaux yearlings, les gens le remarquent et vous capitalisez sur une image de marque. Il faut aussi dire que, rapidement, des poulains élevés au haras se sont distingués en compétition : Mubtaahij est l’un des premiers yearlings que nous ayons vendus pour le compte de M. Barsi… » Le duo fonctionne à merveille : l’expérience du père, la fougue du fils, le tout encadré d’une main ferme par Isabelle, la mère, qui gère tout l’aspect administratif et n’oublie pas de parler de sa fille, Caroline, partie s’installer en Nouvelle-Zélande, « mais qui suit toujours les chevaux de la maison ! »
L’Hôtellerie a pris une autre dimension l’année dernière, quand Blue Rose Cen, élevée pour le compte de la Yeguada Centurion, a enlevé le Qatar Prix Marcel Boussac. Et, le 14 mai, elle a offert un premier classique aux Garçon. « Avec la Yeguada Centurion, nous travaillons en confiance. Nous les avons rencontrés quand ils cherchaient un haras où placer leurs poulinières. M. Pujals aime aller en dehors des sentiers battus. On le voit dans le choix de ses poulinières notamment : il n’a pas hésité à acheter des juments de dirt pour produire en Europe… Et cela ne lui a pas trop mal réussi ! Pouliche, Blue Rose Cen n’a posé aucun problème… De là à dire que nous avions décelé son potentiel… C’est impossible à voir à ce stade ! »
Queen Blossom, la mère de Blue Rose Cen, a rejoint les prés de L’Hôtellerie en provenance d’Irlande. Les Garçon ne sont pas hommes à s’enflammer, et ce succès classique a été célébré, évidemment, avec quelques coupes de champagne, mais ne vous attendez pas à de grandes démonstrations ici. Les investissements se concentrent sur les installations, l’achat de terres… Et aussi sur la génétique, puisque de plus en plus ils s’associent avec leurs clients sur des juments. « Nous avons toujours eu quelques juments et, avant même d’arriver ici, nous avions 7 ou 8 juments d’obstacle. Nous n’hésitons pas à nous associer avec des clients, qui deviennent d’ailleurs des amis au fil du temps, sur des juments. Nos critères de choix ? Le pedigree plus que les performances s’il faut faire un choix. Nous aimons les souches allemandes, qui donnent des chevaux durs, avec de la tenue, du modèle… C’est ainsi que nous avons acheté à réclamer une jument comme Noble Pensée (Orpen), qui nous a donné Noble Heidi (Intello), gagnante de Gr3 et placée de Gr1 en Allemagne. Nous avons gardé sa fille Noble Star (Zarak), que nous avons en association avec Marc Bridoux et qui a terminé sa carrière sur une deuxième place dans le Prix de Thiberville (L). Elle est pleine de Churchill. »
Et de Blue Rose Cen à Jigme !
Marc Bridoux, l’un des clients de longue date de L’Hôtellerie, fait partie des associés autour de Jigme (Authorized), le 3ans qui a fait vibrer Auteuil au premier semestre. L’histoire de ce poulain, que beaucoup voient comme le futur lauréat du Cambacérès, mérite d’être contée. Il est né et a été élevé à L’Hôtellerie pour le compte de la Yeguada Centurion. En accord avec les Garçon, Leopoldo Pujals décide d’inscrire le poulain à la vente d’octobre. « C’était un très grand poulain, issu d’une excellente souche, celle de Sinndar, et on voyait que ce serait un cheval de distance. Il marchait très bien et nous l’avons toujours beaucoup aimé. Nous en avons parlé à plusieurs clients, notamment Stéphanie Hoffmann, Frédéric Sauque et Marc Bridoux. Nous avons évidemment prévenu Leopoldo Pujals que, potentiellement, nous mettrions des enchères sur le poulain pour nous et nos associés. C’est ainsi que cela s’est fait… Le poulain est d’abord allé chez Alessandro Botti, car nous pensions qu’il avait la qualité pour gagner en plat, mais nous avions toujours en tête une carrière d’obstacle. Il a continué de grandir, et n’aurait été prêt à débuter qu’à l’hiver de son année de 2ans, donc sur les P.S.F. Cela n’avait pas vraiment de sens, vu les aptitudes du cheval, et nous avons donc décidé de l’envoyer chez Marcel Rolland, qui a pu le dresser sur les obstacles. Le cheval est vraiment impressionnant et, malgré des offres conséquentes, nous avons décidé de le garder, avec en tête une future carrière d’étalon. Il véhicule le si précieux sang de Montjeu ! Logiquement, il devrait entrer au haras à la fin de son année de 3ans… » Jean-Pierre Garçon poursuit : « J’ai toujours aimé l’obstacle, et nous avons commencé à élever pour cette discipline. Pour tout vous avouer, je me sens plus à l’aise à Auteuil qu’à Longchamp ! Économiquement, l’obstacle a aussi pris de l’envergure. Il existe un vrai marché à l’amiable même pour les sujets d’élevage… » Assez parlé d’Auteuil et du Cambacérès. Les Garçon ont un rendez-vous plus proche. Le Prix de Diane. Et vous savez quoi ? C’est en famille qu’ils iront dimanche à Chantilly !