AMIDOU DOUZAIA, UNE HISTOIRE À CHEVAL ENTRE LE PLAT ET L’OBSTACLE
Pour la deuxième fois en l’espace de trois ans, c’est un petit-fils d’Amidou Douzaia qui a remporté la Dubai Kahayla Classic (Gr1 PA). Son histoire, c’est celle de véritables hommes de chevaux. C’est aussi celle de la rencontre du monde de l’obstacle avec celui des courses de pur-sang arabes.
Outre Deryan et Hayyan, Amidou Douzaia est l’aïeule de 18 black types ce qui est hors normes pour une jument qui était à la reproduction jusqu’en 2015. Jean-Claude di Francesco aime naviguer dans les profondeurs du stud-book et bien entendu, il n’avait pas attendu les victoire d’Hayyan (Munjiz) pour tenter de percer les secrets du pedigree d’Amidou Douzaia (Cheri Bibi). Pour lui, tout remonte aux années 1930 avec Zeineb (Nasr) que l’on retrouve chez de nombreux étalons dans sa Tunisie natale (Hosni, Sour, Al Khair, Flen, Jebel Tarak…) Fille de Zeineb, Falakia (Duc II) était issue des oeuvres de l’exceptionnel étalon français Duc II (Djebel Mousa) et elle avait débuté à la fin de son année de 2ans. A 3ans, elle fut capable de gagner six longueurs sur 1.500m. A 4ans et 5ans, cette Falakia enchaine les très bonnes performances dans les épreuves de sélection. Elle était toute bonne… tout simplement.
LES MEILLEURS DESCENDANTS D’AMIDOU DOUZAIA
Cheval (Père) – Meilleures performances
ABHAAR (Al Nasr) – Emirates Championship (Gr1 PA)
BANDAR (Munjiz) 4- t Al Maktoum Challenge Round 3 (Gr1 PA)
BAYAN (Munjiz) – Hatta International Stakes (Gr1 PA)
DERYAN (Mahabb) – Coupe d’Europe des Chevaux Arabes, deux fois, Dubai Kahayla Classic, Coupe de France des Chevaux Arabes (Grs1 PA)
ELAF (Rabbah de Carrere) – Liwa Oasis (Gr1 PA)
HAYYAN (Munjiz)- Derby des pur-sang arabes de 4ans, President of the UAE Cup, Prix de l’Elevage, Doha Cup, Dubai Kahayla Classic, French Arabians Breeders’ Challenge Classic (Grs 1 PA)
SHAHM (Mahabb) – Coupe d’Europe des Chevaux Arabes (Gr1 PA)
TEEMA (Bibi de Carrere) – Arabian Trophy des Juments, Prix Dragon (Grs1 PA)
Une origine expulsée de Tunisie
Au haras, la descendance de Falakia n’a pas survécu en Tunisie où le sang français fut alors banni (avant d’y revenir bien plus tard). A ce moment-là , de nombreuses juments ont été exportées et la lignée s’est donc poursuivie en France avec Djedda (Tabriz) qui est passée par diverses mains avant d’arriver chez un marchand de chevaux bien connus dans l’univers du pur-sang arabes : Marcel Pujo. Martial Boisseuil se souvient : « Marcel Pujo était tout le temps aux courses et si vous vouliez arrêter la carrière d’un cheval… il était là avec son camion pour vous l’acheter. Un homme de cheval assez unique. »
Djedda n’a eu que deux produits, dont un seul pur-sang arabe (heureusement une femelle), à savoir Djebelle(Ourour). Née en 1966, cette Djebelle n’a donné son premier produit qu’en 1982. Elle avait donc 16ans ! La pérennitéd’une souche, dans ces années-là , n’a souvent tenu qu’à un fil… quiconque a déjà essayé de faire saillir pour la première fois une jument de cet âge sait à quel point c’est un exercice extrêmement incertain.
Renée-Laure Koch a lancé la famille
L’époque n’était pas au professionnalisme chez les pur-sang arabes et on voyait un peu de tout en ce qui concerne les pratiques d’élevage. Honnêtement, à ce stade, cette Djebelle ne présentait pas une page de catalogue sortant de l’ordinaire et il fallait donc remonter à deuxième mère Falakia pour retrouver des performances en Tunisie. Et c’est là que l’histoire prend un tout autre tournant.Pour qu’une origine soit reconnue au galop, il faut des résultats. Et pour que lesdits résultats apparaissent, il faut qu’une personne prenne le risque d’essayer en course certains chevaux de la famille. Une prise de risque réelle compte tenu des couts d’entraînement. Rendre à César ce qui est à César ce risque, c’est Renée-Laure Koch qui l’a pris. Elle a mis en course et entraîné le premier produit de Djebelle,Quelerman (Tidjani), un élève de Marie-Rose Sernaglia. Lauréat en débutant au mois de mai de ses 3ans, cet adepte de la piste sélective Tarbes y a acquis les deux victoires de sa carrière.
Martial Boisseuil prend le relais
Deuxième produit de Djebelle, Tessadite (Tidjani) arrive entre les mains de Martial Boisseuil, une rencontre déterminante pour la suite de l’odyssée familiale. Tessadite gagne à Toulouse et elle est vendue à Khalfan bin Khamis Al Busaidi qui l’a confie à son tour à l’entraîneur Nicolas Madamet. Si vous suivez l’obstacle, vous savez certainement que Nicolas Madamet connait une grande réussite en tant qu’éleveur et notamment grâce Lossiemouth (Great Pretender), meilleure femelle de 4ans sur les obstacles anglo-irlandais. Et certainement même meilleure 4ans d’Europe tout court. Honnêtement, si elle vient recourir à Auteuil, les Français vont trembler !
Après Tessadite, Djebelle produit Umour, par le médiocre Horr (Bel Haar). Entraîné par Arnaud Chaille-Chaille il ne parvient pas à gagner en neuf sorties en France. Mais il y parvient une fois exporté en Angleterre. A l’âge de 22ans, Djeblle donne naissance à son quatrième et dernier produit, Amidou Douzaia. Son nom est indissociable de celui de Martial Boisseuil, l’homme qui a bâti les fondations de l’élevage du cheikh Mansour : « Tessadite fut le premier gagnant de Tidjani. A 3ans, elle était capable de battre les chevaux d’âge. Cela n’a rien d’évident. J’avais donc réservé sa soeur Amidou Douzaia à Madame Lopez qui élevait près de Libourne. A cet époque, il n’y avait pas trop le choix : les origines reconnues comme celle de Jean-Marc de Wartrigant étaient inaccessibles financièrement. Il fallait donc chercher autre chose, faire des tentatives… Les juments pur-sang arabes étaient déjà très difficiles à trouver. Il y en avait très peu. Mais en 1991, j’ai arrêté d’entrainer pour des raisons de santé. Elle faisait partie des trois chevaux que j’ai transmis à Arnaud Chaille-Chaille, lequel avait travaillé chez moi pendant cinq ans. Dans ce lot qu’il a pris en location, il y avait aussi Kapi Creek (Sicyos), ensuite deux fois placée de Listed en plat et Play of Light (Lesotho), gagnant de huit courses en obstacle. » Grâce à ce coup de pouce décisif de son ancien patron, Arnaud Chaille-Chaille est devenu un des meilleurs entraîneurs d’obstacle français et il a gagné la majorité des grandes épreuves du programme. Un de ses bons sauteurs, Cyrlight (Saint Cyrien) a été élevé chez Hassan Mousli… et il a débuté sous les couleurs de Faiz Al Elweet, une casaque bien connue chez les pur-sang arabes. Cyrlight a ensuite été vendu à l’Irlandais Sean Mulyan, récent vainqueur de la Punchestown Gold Cup (Gr1) avec Fastorslow (Saints des Saints).
A son tour, Arnaud Chaille-Chaille a formé Thomas Fourcy, lequel a repris les pur-sang arabes de l’écurie… mais cela, c’est encore une autre histoire. Pour l’anecdote, Thomas Fourcy entraîne lui aussi des chevaux d’obstacle avec une certaine réussite.
Une très bonne jument de course
Comme Arnaud Chaille-Chaille l’a confira plus tard sur Equidia : « Je n’avais pas d’aura du tout, concède-t-il. Je n’étais connu que par les gens de la région. Et encore, je n’avais pas bonne réputation puisque je n’avais pas été très bon jockey. A l’époque, soit j’étais premier garçon dans une écurie, soit je m’installais en tant qu’entraîneur. Quand on est jeune, on fonce… » Amidou Douzaia n’a débuté qu’à l’âge de 4ans, mais elle est bonne et après quatre victoires, le cheikh Mansour l’achète. Une transaction qui permet au jeune entraîneur de sauver l’entreprise comme il l’expliquera plus tard : « Cette vente m’avait donné un bon bol d’air pour le deuxième hiver. » Amidou Douzaia avait notamment remporté le Prix Dragon (aujourd’hui un Groupe) et Martial Boisseuil réagit : « Ses descendants sont des métronomes. Des chevaux durs, avec de bonnes jambes, qui répètent leurs performances. Amidou Douzaia n’était pas grande, mais c’était un mélange franco-tunisien intéressant. Je crois beaucoup à la rencontre des sangs… et j’évite autant que possible l’inbreeding ! Pour moi, le meilleur de tous les étalons fut Kesberoy (Saint Laurent). Mais Amidou Douzaia était par Cheri Bibi (Baroud III), un cheval dur qui a eu la chance d’être élevé dans les mains de Jean-Marc de Wartrigant. A l’époque où tout le monde bricolait un peu, c’était le seul professionnel au niveau de l’élevage. »
Amidou Douzaia a gagné à cinq reprises sous la selle de Laurent de la Rosa, disparu tragiquement alors qu’il était en vacances à l’âge de 41ans. Titulaire de 280 succès au galop dont 163 en plat et 117 en obstacle en tant que jockey, Laurent de la Rosa avait été associé à sa compagne Florence Forneron dans l’entrainement de Vic Toto (Kaïd Pous), gagnant de cinq Groupe en obstacle, dont le Prix Alain du Breil (Gr1). Laurent de la Rosa et Florence Forneron ont aussi entraîné le bon sauteur Brave Mansonnien (Mansonnien). Au haras, il a entres autres donné le remarquable Bravemansgame (Brave Mansonnien), gagnant des King George VI Chase (Gr1) et deuxième de la Gold Cup de Cheltenham (Gr1) 2023.
Obstacle et pur-sang arabe… un mélange qui fonctionne
Martial Boisseuil n’a pas d’oeillères et il parle avec autant de plaisir des pur-sang arabes que de l’obstacle, en France et partout à travers le monde. Aujourd’hui, il n’hésite pas à distiller ses conseils à Guy Cherel, ancien entraîneur d’obstacle de premier plan et éleveur de sauteur à succès qui se lance avec passion dans le pur-sang arabe. Il compte déjà une quinzaine de poulinières arabes. La boucle est bouclée car Bruno Bellaud, l’éleveur de Lady Princess (General) et Mister Ginoux (Amer) a acquis Arrêt Station (Johann Quatz). Une jument qui a déjà donnéState Man (Doctor Dino), lauréat de cinq Grs1 sur les obstacles irlandais…
Photo fin article – Amidou Douzaia, Laurent de la Rosa et Arnaud Chaille-Chaille CREDIT Robert Polin